Le leader syndical de la CFE-CGC de l’entité turbines à gaz de General Electric a mené la lutte contre le géant américain, à Belfort. Il a bousculé les codes du syndicalisme. Avec un certain succès.
Le leader syndical de la CFE-CGC de l’entité turbines à gaz de General Electric a mené la lutte contre le géant américain, à Belfort. Il a bousculé les codes du syndicalisme. Avec un certain succès.
“Je ne connaissais rien aux syndicats”, avoue Philippe Petitcolin, barbe de trois jours et cernes sous les yeux. La rencontre est programmée fin septembre, dans un restaurant belfortain dont le bâtiment témoigne de la grandeur d’Alstom au XXe siècle. Le conflit à General Electric dure alors depuis plusieurs mois. Et se durcit. À 37 ans, le délégué syndical CFE-CGC de l’entité turbines à gaz de GE, un syndicat catégoriel de cadres et de techniciens, est un jeune militant. Son engagement s’enracine en 2013, alors que l’entité est bousculée par un plan social. Déjà. Depuis son bureau, il s’agace. “Je ne comprends pas, car on fait des millions de bénéfices et on licencie”, tance celui qui était responsable approvisionnement.
Étudiant à l’UTBM
Son histoire ne le prédestinait pas à cet engagement. Son père est chef d’entreprise. Les syndicats, Philippe Petitcolin en avait plutôt “une image négative”. “Ils ne savent que gueuler”, sourit-il pour schématiser sa pensée d’alors, même s’il reconnaît la nécessité de défendre “l’intérêt commun”.
“Quand t’es un employé moyen, poursuit-il, tu n’as pas accès aux informations.” Cet ingénieur en conception mécanique, issu de la première promotion de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM), qu’il intègre en 1999, veut parler stratégie industrielle. Cette soif de compréhension motive son choix. “Il est arrivé comme un ovni”, se souvient l’expérimenté Francis Fontana, de Sud Industrie. Six ans après son engagement, il est secrétaire du comité social et économique (CSE) et membre du bureau du comité groupe France de GE.
Quand il se syndique, en 2013, la section de la CFE-CGC n’a qu’une poignée d’adhérents. Aujourd’hui, les drapeaux de son syndicat sont plus nombreux à flotter dans les cortèges. Les cadres et techniciens se mobilisent. C’est aussi une population moins protégée qu’avant. “Le bureau d’études va presque être délocalisé avant la production”, remarque le trentenaire, déjà bien dégarni.
Changer les moyens de lutte
Philippe Petitcolin est originaire des plateaux du Doubs, entre Besançon et Pontarlier, près d’Ornans. Il comprend rapidement qu’il ne faut pas se limiter à la grève et aux piquets. “Et si tu ne prends que la loi, tes marges de manœuvre sont limitées”, poursuit ce fin analyste. Il faut être pédagogique. L’intersyndicale multiplie les rencontres pour informer : journalistes, élus, acteurs économiques ou citoyens. Elle a créé une mobilisation citoyenne. Au cœur du conflit, les syndicats vont à Paris pour éclairer le gouvernement. Ils ont démonté méthodiquement les arguments justifiant le plan social, notamment le recul du marché des turbines à gaz. “On connaît le marché, on connaît les concurrents, on connaît le dossier” argue Philippe Petitcolin. Les experts, ce sont eux. Leur travail a permis d’exhumer le contrat de 2014 passé entre l’État et General Electric après le rachat de la branche énergie d’Alstom, de mettre la pression sur le gouvernement et d’investir le terrain judiciaire.
Après avoir construit un rapport de force, il faut proposer des alternatives, en s’appuyant sur cet accord qui consacre Belfort comme pôle européen des turbines à gaz 50 Hz. Pour créer du “business”, comme il le formule. Déjà, en début d’année, c’est l’intersyndicale qui a envisagé le projet de diversification vers l’aéronautique, qui prend corps depuis quelques semaines.
Syndicalisme responsable
Le débit de parole est rapide. À l’image du nombre d’idées qui fusent. “Il a la fougue de la jeunesse” loue Francis Fontana. Il est déterminé. Cadré. Certains diront dirigiste. Mais il aime coordonner. “C’est le genre de mec avec qui tu peux partir faire la guerre”, confie un collègue qui apprécie son “écoute”. Ces dernières semaines, des huées ont résonné lorsqu’il approchait des piquets de grève ou des ateliers. La méthode ne passe pas avec tout le monde. Notamment à la CGT. Certains lui reprochent sa trajectoire, mais surtout de ne pas être un vieux militant.
Philippe Petitcolin revendique une image de “syndicaliste responsable”. Chez les politiques, on veut capitaliser sur cette figure. À quelques mois des élections municipales, il a reçu plusieurs propositions… Qu’il a gentiment rejetées.
Aujourd’hui, le Belfortain incarne les vertus syndicales. Mais il est lucide sur les réalités et la place qu’on leur accorde. “Le syndicalisme, c’est très dur. Cela demande beaucoup de compétences et nous avons peu de formation. Nous négocions dans l’urgence des choses préparées pendant des mois. C’est très usant”, souffle celui qui fume un paquet de cigarettes par jour depuis le mois de mai. Il n’était pourtant que fumeur occasionnel. Pendant 5 mois, les syndicats ont mené un dur combat pour limiter l’ampleur du plan social. Mais le combat n’est pas fini. S’ouvre aujourd’hui une période d’âpres négociations pour accompagner au mieux les 485 qui vont partir et préserver l’avenir des 1 275 qui vont rester.