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General Electric assigné en justice « pour fraude au droit à la participation des salariés »

Manifestation de salariés de General Electric, entité turbines à gaz, en mai 2019, quelques semaines avant l'annonce du plan social.

Le syndicat Sud Industrie et le comité social et économique (CSE) de l’entité turbines à gaz de General Electric (GE EPF) intente un procès à GE au tribunal judiciaire de Belfort « pour fraude au droit à la participation des salariés », indique l’avocat des plaignants, maître Roland Zerah.

Le syndicat Sud Industrie et le comité social et économique (CSE) de l’entité turbines à gaz de General Electric (GE EPF) intente un procès à GE au tribunal judiciaire de Belfort « pour fraude au droit à la participation des salariés », indique l’avocat des plaignants, maître Roland Zerah. mis à jour le 11 janvier 2022 à 11h59

“Comment agir ?” Les représentants du personnel de GE Belfort se sont posé cette question à de multiples reprises. Depuis plusieurs années, des alertes leur indiquent que les flux financiers internes au groupe General Electric (lire par ailleurs) étaient défavorables à l’entité française GE EPF. Cette entité conçoit, commercialise, fabrique et installe les turbines à gaz dans des centrales électriques. De là à évoquer de l’évasion fiscale, il n’y a qu’un pas ; et les représentants du personnel se questionnent très fortement.

Partant du principe que les pratiques financières du groupe fragilisent l’entité française, ils ont lancé un droit d’alerte économique en 2021, démarche qui a permis de mandater une expertise des flux financiers. L’expertise a été menée l’an passé, « avec beaucoup de difficultés », relève maître Roland Zerah, avocat spécialiste en droit du travail. « En qualité de représentants des salariés, le seul intérêt à agir est de dénoncer le mauvais calcul de la participation », note Alexis Sesmat, délégué syndical Sud Industrie et membre du comité social et économique (CSE) de GE EPF, pour expliquer la manière choisie pour questionner les pratiques financières et fiscales du groupe.

Ainsi, le syndicat Sud Industrie et le comité économique et social (CSE) de GE EPF assignent cette entité devant le tribunal judiciaire de Belfort « pour fraude aux droits à la participation des salariés », indique Me Roland Zerah, conseil des plaignants. Cette assignation, que Le Trois a consultée, a été remise à General Electric, par huissier, le 30 décembre 2021. Elle permet ainsi de regarder les pratiques financières du conglomérat américain et de savoir si Belfort reçoit la juste part à sa contribution aux bénéfices.

Facturation entre filiales

« Nous partons du principe que la participation permet aux salariés de bénéficier des fruits de l’expansion de l’entreprise », note maître Roland Zerah. Or, « le fruit de l’activité économique de Belfort est dispatché vers d’autres filiales », affirme l’avocat. L’expertise confronte « les pratiques économiques de GE », dixit Alexis Sesmat, avec les normes éditées en octobre 2015 par l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE), regroupées dans ce que l’on appelle le BEPS, base erosion profit shifting. Ces principes ont été introduits en droit français en 2018 ; un décret d’application a été publié en janvier 2019. Le premier principe stipule notamment que « les bénéfices doivent être faits là où on crée la valeur ajoutée », détaille Alexis Sesmat. Le deuxième correspond à la logique suivante : « Une dépense est égale à un risque et un risque à une dépense. » Le dernier, résumé par le syndicaliste : « Une entreprise doit défendre ses intérêts, pas ceux du groupe. » L’assignation cite un autre objectif du BEPS : « [Que] les bénéfices soient imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les génèrent. »

L’entité française paie au groupe General Electric des redevances de technologie, pour fabriquer les turbines, et de marque, pour utiliser les logos de General Electric. Pour les premières, selon l’assignation, les redevances sont payées à des entités du groupe basées en Suisse, pour les autres, à une entité du groupe basée dans l’État du Delaware, aux États-Unis, connu pour ses pratiques fiscales avantageuses. De 2015 à 2019, pour ces deux redevances, GE EPF a versé 236,5 millions d’euros, selon l’assignation qu’a pu consulter Le Trois. Au mois de novembre, les syndicats avaient détaillé ces pratiques (lire notre article).

Un déficit obtenu « artificiellement »

Les représentants du personnel ont repéré en 2017, grâce à une expertise, que des redevances de groupe, de marque et de technologie, « pénalisent artificiellement les résultats de l’entreprise », rappelle le communiqué de presse de Sud Industrie, interpellant sur cette assignation. En 2016, lors d’un comité d’entreprise, leur entité était passée en quelques semaines d’un résultat de plus de 60 millions d’euros à – 60 millions d’euros. En 2021, le CSE émet un droit d’alerte économique « pour un examen détaillé des flux financiers ». Cette expertise conclut que GE EPF « contrevient aux normes de l’OCDE sur l’érosion de la base fiscale et transfert de bénéfices ». L’assignation judiciaire repose sur cette expertise et sur le décalage entre les normes encadrant les flux financiers entre filiales d’un même groupe et les pratiques réelles.

General Electric ne nie pas l’existence de ces prix de transfert. « Toutes les entreprises qui opèrent et fabriquent dans plusieurs pays ont une politique de prix de transfert pour s’assurer que toutes les transactions inter-sociétés se font à un prix de pleine concurrence (c’est-à-dire à des prix qui s’appliqueraient aux transactions entre parties non liées), répond General Electric par l’intermédiaire d’un communiqué, sans s’attarder sur la démarche judiciaire. Il ne s’agit pas seulement de facturer des produits, mais également de répartir les dépenses de recherche et développement, les frais commerciaux, les coûts de projets… entre les diverses entités de l’entreprise pour reconstituer équitablement le coût complet des contrats. »

« Abus »

Mais dans l’assignation, on peut lire que l’expertise mandatée par les représentants du personnel relève par exemple que la société qui perçoit la redevance de marque « n’a aucun salarié, aucun actif clairement identifié et est gérée par une entreprise extérieure dénommée The trust company, qui fait écran à toute tentative de transparence ». Concernant la redevance technologique, plusieurs méthodes ont aussi été utilisées, sans qu’il y ait pourtant contractualisation, observe l’assignation. « Ce que nous payons est démesuré », regrette Alexis Sesmat. L’assignation dénonce : « L’application de ce prix de transfert a donné lieu à de nombreux abus, tant au niveau fiscal qu’au niveau social. »

Au regard de ces transferts de fonds, l’assignation demande au tribunal de recalculer les bénéfices réels de la société GE EPF pour les années 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020. « Ce que fabrique Belfort ne bénéficie pas [aux salariés de Belfort] », dénonce l’avocat. Ces pratiques « réduisent » le bénéfice réel, donc la participation. General Electric, répond, de son côté : « Les transactions inter-sociétés de GE sont conformes à toutes les règles et réglementations internationales et nationales en vigueur. Elles sont bien documentées et régulièrement auditées par divers organismes, y compris les commissaires aux comptes et les autorités fiscales, en France et dans le monde entier. »

« Une injustice »

Si les représentants du personnel se saisissent du dossier des pratiques fiscales par le biais de la participation des salariés, « c’est que l’Administration ne s’en charge pas », regrette maître Roland Zerah. Il précise que « l’initiative de la plainte en fraude fiscale est à l’initiative de Bercy (le ministère de l’Économie, NDLR). C’est une procédure pénale ».

D’ici trois mois, General Electric va présenter ses réponses à cette assignation, détaille maître Roland Zerah, auxquelles les plaignants pourront également répondre. Et « d’ici 12 à 18 mois, il y aura un procès », projette l’avocat, qui précise que dans cette procédure civile, le demandeur « a la maîtrise du calendrier ». Dans son communiqué, les syndicats rappellent que GE leur a répondu qu’il subissait actuellement « un contrôle fiscal ». Le communiqué d’indiquer : « N’oublions pas que Hugh Bailey, l’actuel président de GE France et ancien haut-fonctionnaire, tutoie encore ses ex-collègues de Bercy. Nous n’affirmerons pas que les conclusions du contrôle fiscal seront biaisées. Il nous est cependant permis de penser que ce soudain contrôle ne soit qu’un contre-feu qui vienne constituer le seul argument « solide » présenté par la direction. »

Si des représentants du personnel de l’entité turbines à gaz de GE se lancent dans ce long combat judiciaire, c’est qu’ils ont « envie que les gens se mettent dans [leur] sillage », confie Alexis Sesmat. Si le bénéfice de l’entité française est « tronqué », des collectivités comme les intercommunalités ou les municipalités peuvent aussi s’estimer lésée, par exemple dans le prélèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). « Les personnes qui organisent cette fraude ne sont pas encore menacées », regrette le délégué syndical, qui fait le parallèle avec la vague de dénonciation des pratiques de corruption dans les entreprises, dans les années 1980 et 1990, qui avait entraîné de nombreux procès.

Cette démarche judiciaire vise, enfin, à ce que les citoyens « prennent conscience des pratiques de ces groupes, des pratiques destructrices des services publics », dénonce Alexis Sesmat. « C’est une injustice que l’on ne peut plus tolérer », termine-t-il, insistant sur le fait qu’ils sont « déterminés ».

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