20 000 composants par heure. Telle est la vitesse de dépose de composants de la machine de Becker électronique, à Beaucourt, chargée de concevoir les cartes électroniques. Dessus, les différents composants – micro-processeurs, mémoire, résistance, condensateur ou encore transistor – rivalise pour se faire aussi petit que possible ; certains mesurent un demi millimètre de long. Elle est installée depuis 1996 à Beaucourt ; c’est le seul site de production en France. Aujourd’hui, l’entreprise compte une vingtaine de personnes et des postes sont ouverts au recrutement.
Cette entreprise est une société sœur de l’Allemande Becker Avionics, créée en 1956 et spécialisée en radiocommunication et dont de nombreuses applications sont déclinées dans l’aéronautique. L’entité de Beaucourt travaille notamment comme sous-traitante et fournit des cartes que l’on retrouve ensuite dans des systèmes de communications, de navigation, de recherche et de sauvetage d’hélicoptères ou d’avion commerciaux pour des clients comme Airbus helicopter, Bell ou ATR.
Industrie, médical, militaire
Becker Électronique travaille également pour l’industrie, notamment le secteur énergétique ou automobile, interviennent dans des systèmes de contrôle d’accès avec Klein access system, mais aussi pour l’univers médical ; elle compte parmi ses clients Zimmer ou encore Schiller medical, qui fabrique des défibrillateurs. « Ce qu’on fait dans le médical est non invasif », précise Jean-Paul Leroy, le directeur commercial de l’entreprise. Autre marché d’importance, le secteur militaire. Becker Électronique travaille pour de grands donneurs d’ordre de la base industrielle et technologique de défense (BITD) comme Nexter, qui fabrique des chars, des véhicules de combat et d’infanterie ou encore des véhicules de transport de troupe. L’entreprise collabore aussi avec l’institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis, qui réalise des recherches de pointe en défense et sécurité, comme par exemple autour du laser et des technologies électromagnétiques, mais aussi des techniques de vol des projectiles. Becker Électronique travaille aussi en direct pour l’armée de l’air et de l’espace. Les cartes électroniques fabriquées pour l’armée françaises intègrent des systèmes qui « permettent l’interopérabilité », répond simplement Jean-Paul Leroy. Kesako ? C’est la capacité de communication des forces aériennes françaises et de leurs équipements avec les autres forces de l’Otan. Le matériel permet aussi de se positionner. À l’heure de la guerre en Ukraine, où le spectre d’un engagement majeur se pose avec les alliés français de l’Otan, ces outils revêt une importance stratégique pour faciliter la coordination des différentes unités.
Becker Électronique enregistre un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros par an, indique Jean-Paul Leroy. Dans les grandes lignes, 20 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concerne le militaire, 20 % l’industrie, 20 % le domaine médical, 20 % l’aéronautique et 20 %, ce qui reste. Conscient de l’importance de la commande publique dans son chiffre d’affaires, l’entreprise est particulièrement investie dans la réserve. Elle a signé une convention pour favoriser l’engagement de ses salariés (lire notre article). Jean-Paul Leroy voit cela comme un « acte patriote ». « Nous sommes contents de jouir de la commande publique, confie-t-il. C’est un renvoi d’ascenseur. »
Pénurie des composants
En sillonnant les allées de l’atelier d’une superficie de 1000 m2, on repère vite que la situation actuelle n’est pas simple. Des cartes électroniques non finies garnissent les étagères. Des composants manquent à l’appel. En attend, le produit est retardé. « C’est de l’argent immobilisé », déplore Jean-Paul Leroy. Cette situation affecte inévitablement la trésorerie de la PME. La carte sera terminée ultérieurement, lorsque les composants seront disponibles. En 2015, l’entreprise a déjà souffert d’approvisionnement de PCB, les circuits imprimés, dont le marché est détenu par la Chine. Mais depuis le covid, la situation s’est aggravée sur d’autres composants. Les chaines d’approvisionnement ont été bousculées.
Jean-Paul Leroy dénonce surtout un « énorme système de spéculation ». Les demandes ont fortement augmenté et les savoir-faire nationaux ont été perdus en la matière ; Taïwan les concentre particulièrement. Par ailleurs, les problématiques de sécheresse ont pu ralentir la production, en Indonésie par exemple. La demande a aussi entraîné une augmentation des prix. Certains composants sont passés de 1,7 dollar à 190 dollars illustre le directeur commercial. « Pour avoir prix raisonnable, il faut accepter des délais d’environs 100 semaines », observe le spécialiste. À cela s’ajoute des problèmes de contrefaçon, qui appelle à la vigilance. Une contrefaçon que l’on ne peut détecter qu’à la fin du montage, lors des tests de vérification ; et si un composant est défectueux, il faut démonter et remonter la carte. Perte de temps. Perte économique. Encore une situation qui fragilise la PME. Une carte électronique, c’est grosso modo un euro le gramme, indique le directeur commercial. « Comme un Airbus », ajoute-t-il pour comparer. On saisit bien l’enjeu.
De nombreux sous-traitants dans l’industrie de défense
Selon l’Insee, la base industrielle et technologique de défense (BITD) française compte 1 190 entreprises industrielles. Avec 200 000 emplois, elle existe et témoigne d’une certaine vitalité. 45 entreprises concentrent la majeure partie du chiffre d’affaires militaires (80 %), centrées autour des maîtres d’œuvre industriels suivants : Airbus, Arquus, Dassault aviation, MBDA, Naval group, Nexter, Safran et Thalès. La Bourgogne-Franche-Comté n’est pas la région qui concentre le plus d’acteurs. Arquus, dans la Nièvre, et Safran, en Côte-d’Or sont les deux principaux opérateurs. Par contre, la région compte un réseau de sous-traitants de qualité, notamment dans les pièces d’usinage. Dans le nord Franche-Comté, on compte notamment Lisi (Grandvillars), Usiduc (Faverois), MGR (Chaux), M-Plus (Lachapelle-sous-Rougemont), Metalhom (Étupes). Cette absence d’entreprises de munitions témoigne aussi de la méfiance de Napoléon d’implanter ce type d’industrie à la frontière, rappelle le sénateur Les Républicains (LR) Cédric Perrin, membre de la commission de la défense. Il vient de participer à la commission mixte paritaire qui a validé la future loi de programmation militaire, dont le montant global atteint un niveau historique, de l’ordre de 413 milliards d’euros, d’ici 2030. Dans son travail parlementaire, le parlementaire veut aider les entreprises à s’insérer dans ce domaine singulier de l’industrie de la défense, long pour se faire labelliser. Il a notamment plaidé pour qu’une partie des crédits innovation de cette nouvelle loi soit fléchée vers les entreprises de taille intermédiaire et les PME et non pas seulement vers les grands groupes. Il a aussi inscrit un amendement qui permet d’utiliser des directives européennes visant à accélérer des procédures d’achat, dont les délais peuvent décourager les petites entreprises à répondre.