L’école supérieure des technologies et des affaires (Esta) fête ses 35 ans. L’école a connu une forte croissance ces dernières années, passant de 293 étudiants en 2019 à 385 en cette rentrée. Elle a aussi multiplié les investissements et se structure pour mieux faire reconnaître sa spécificité : associer le commerce à la technique. Interview avec la directrice de l’établissement, Laure Viellard, et le président de l’école, Jacques Jaeck.
L’école supérieure des technologies et des affaires (Esta) fête ses 35 ans. L’école a connu une forte croissance ces dernières années, passant de 293 étudiants en 2019 à 385 en cette rentrée. Elle a aussi multiplié les investissements et se structure pour mieux faire reconnaître sa spécificité : associer le commerce à la technique. Interview avec la directrice de l’établissement, Laure Viellard, et le président de l’école, Jacques Jaeck. Mis à jour le 18 septembre, à 12h37.
L’école supérieure des technologies et des affaires (Esta) a 35 ans. Quelle idée a motivé l’ouverture de cette école en 1986 ?
Laure Viellard – À l’époque, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) était surtout une chambre d’industries. Il y avait beaucoup d’industriels dans la gouvernance. Ils avaient un vrai problème de recrutement. Ils pouvaient recruter des commerciaux. Ils pouvaient recruter des ingénieurs. Mais ils leur manquaient un mix entre les deux : quelqu’un qui savait parler industrie, technique et qui allait partir en dehors des frontières du territoire mais aussi en dehors des frontières françaises pour commercialiser ces pièces industrielles, ces techniques industrielles très particulières. L’école devait répondre à ce manque.
Pourquoi est-ce si important d’associer commerce et technique ? Est-ce seulement pour une question d’ouverture au monde et de vente à l’international ?
Jacques Jaeck – C’est aussi une question pratique. Un commercial qui ne connaît pas le produit qu’il vend, ne vendra pas. Et le technique qui ne sait pas vendre, ne vendra pas non plus. Associer les deux, c’est très judicieux. Cette double compétence fait la réussite de l’Esta.
La dimension internationale était également présente dès le départ…
Laure Viellard – Aujourd’hui, dans toutes les grandes écoles, on apprend à parler des langues étrangères, et en particulier dans les écoles de commerce et de management. Mais il y a 35 ans, une école qui associait technique, commerce et international, c’était unique.
L’aspect industriel est important dans l’école. Vous avez une double compétence. Pourtant, l’étiquette « école de commerce » persiste. Ce qui a notamment des conséquences sur les publications de vos enseignants-chercheurs…
Laure Viellard – Aujourd’hui, les écoles double compétence ingénieur-manager, ça n’existe pas dans les critères d’accréditation du ministère de l’enseignement supérieur. Ils sont obligés de nous mettre dans une catégorie. Soit, nous sommes accrédités par la CTI (commission des titres d’ingénieurs, NDLR), qui accrédite les écoles d’ingénieurs, soit par la CEFDG (commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion, NDLR), qui accrédite les écoles de commerce et de business. Nous sommes obligés de nous retrouver dans une famille ou dans l’autre. Pour être dans la CTI, 60 % des cours doivent être des matières techniques, ce qui n’est pas notre cas. Nous avons 30 % de technique, 30 % d’international et le reste en business. Par la maquette pédagogique, nous nous sommes retrouvés avec les écoles de commerce et de management. Mais cela ne nous satisfait qu’à moitié, car quand nous faisons de la recherche technique, la CEFDG dit que cela ne l’intéresse pas.
Jacques Jaeck – C’est le problème d’être en avance. Dans 20 ans, cette double compétence sera peut-être reconnue. Mais actuellement, ça ne l’est pas.
Il y a déjà une reconnaissance… On observe un boom des inscriptions ces dernières années.
Laure Viellard – Ce n’est pas anodin. Il y a un important travail de communication, de promotion et de visibilité. Nous avons beaucoup investi pour sortir de notre territoire et se faire connaître. Aujourd’hui, de nombreuses écoles proposent des masters spécialisés ingénieur-manager. À Centrale Paris, par exemple, vous pouvez faire une 6e année de ce type. Il y a du chemin qui a été parcouru. Et cela frétille au niveau du ministère pour se dire : « Finalement, ces diplômes double compétence, n’y a-t-il pas moyen de les accréditer, de leur donner de la valeur. » Je milite pour ça.
Cette idée de double compétence est-elle plus valorisée à l’international ?
Jacques Jaeck – À l’international, il y en a beaucoup plus. En Allemagne, il y a 20 ou 30 écoles avec des doubles compétences.
Laure Viellard – Nous faisons partie d’une association qui s’appelle AASE : academic association of sales engineering. C’est un regroupement d’écoles qui offrent cette compétences « sales engineering », c’est-à-dire « l’ingénieur qui sait vendre ». Il existe quelques écoles en Allemagne où c’est intégré dans leur parcours, un peu en Finlande, en Autriche.
L’enseignement supérieur va être marqué par une réforme des IUT, qui crée un diplôme Bac+3, le Bachelor universitaire de technologie (BUT). Vous recrutez beaucoup d’étudiants titulaires d’un DUT et qui poursuivent leurs études à l’Esta. Quel regard portez-vous sur ce changement ?
Laure Viellard – Cela fait longtemps que nous savons que ces BUT vont exister. Nous nous sommes préparés et nous voulons une offre concurrentielle. Aujourd’hui, un élève qui sortira d’un bac pourra faire un BUT dans le cadre d’un IUT ou venir à l’Esta faire un Bachelor ; nous finalisons le programme. Nous voulons proposer un Bachelor sur nos domaines de compétences : la technique et le commercial. On aura moins la partie internationale, qui restera la spécificité du parcours grande école (en 5 ans). Pour que ce Bachelor soit compétitif avec un BUT qui est gratuit, nous allons proposer un programme tout en apprentissage.
Le défi de l’Esta, c’est de convaincre les lycéens de venir directement dans l’école, alors qu’auparavant, on avait peut-être ce volant de deux ans pour les recruter en IUT.
Laure Viellard – Cela a toujours été un challenge de recruter les Terminales, car ils restent cinq ans. Le parcours est plus logique.
Jacques Jaeck – [Ce recrutement en Terminale] représentait déjà une proportion qui n’était pas négligeable. Ce n’est pas nouveau. Il faut qu’on le conforte.
Pour cette rentrée, l’Esta accueille 385 étudiants. Les 400 approche. Mais cette échéance devait-elle arriver aussi vite ?
Laure Viellard – Quand on défend un dossier pour être accrédité, tous les 4 ans, on demande une projection d’effectifs sur les années à venir. Nous nous étions fixés 400 étudiants pour 2024. Nous avons été beaucoup plus vite. Maintenant, il faut aussi stabiliser. C’est du pilotage fin. À 400, cela correspond bien à la taille de notre école. Je préfère gagner en sélectivité et garder moins d’étudiants qui viennent postuler au concours pour garder les meilleurs, plutôt que de continuer à croître.
Qu’est-ce qu’on attend d’un étudiant qui postule à l’Esta ?
Laure Viellard – Sur la partie pédagogique, qu’il soit motivé par les matières scientifiques. On n’apprend pas de l’électronique, de la technologie et on ne passe pas du temps à faire des schémas si on n’a pas une appétence pour la technique. La partie commerciale/business, c’est quelque chose que l’on apprend au fil de l’eau. On grandit. On parle mieux. Et on sait leur apprendre. La technique, il faut en avoir le goût dès le départ. Et surtout, il faut avoir envie de travailler dans l’industrie.
Jacques Jaeck – Il faut aussi avoir l’envie de voyager et de l’ambition, l’envie d’évoluer.
Pourquoi faut-il recruter les étudiants issus de l’Esta ?
Jacques Jaeck – Cela rejoint la double compétence, essentiellement. Mais l’Esta, c’est aussi une famille. En entrant, les étudiants ne sont pas un numéro. Nous les suivons. Nous les bichonnons.
Laure Viellard – Tout au long de son cursus, l’étudiant de l’Esta a une expérience professionnelle, avec 5 stages sur 5 ans. Plus de la moitié de son temps, il le passe en entreprise. Il arrive avec une expérience, une expertise, une connaissance des métiers, des différents secteurs. Quand il décide de postuler dans une industrie pétrochimique, il sait pourquoi il a choisi ce secteur. Toutes les semaines, il y a un « petit déjeuner professionnel ». Une entreprise vient raconter ce qu’elle fait, dans quel secteur, si elle recrute, quels types de profils… Cela se termine par un café où l’on échange les cartes de visite. Les étudiants font leur réseau. Quand ils vont arriver le premier jour dans l’entreprise, ils ne vont pas tergiverser. Et ils sont capables de s’adapter.
Jacques Jaeck – Ils ont appris à connaître l’industrie.
Comment fait-on venir les étudiants à Belfort ?
Laure Viellard – Il y a plein d’avantages que nous savons mettre en valeur, comme le coût de la vie qui n’est pas important, une école en centre-ville qui permet de vivre sans voiture, le fait d’avoir plein d’entreprises autour, l’organisation du cursus… Nous appuyons beaucoup sur le côté bassin rhénan : nous sommes au cœur de l’Europe. Mais ne soyons pas naïfs : le fait d’être à Belfort est un frein.
Jacques Jaeck – Tous ces avantages, il faut leur expliquer. Quand ils viennent à une porte ouverte, on peut les accrocher. Mais quand ils s’inscrivent, ils regardent Lyon, Besançon, Strasbourg, mais pas Belfort…
Laure Viellard – Quand nous les faisons venir, c’est presque gagné. Par contre, avec le covid-19, où nous avons fait des entretiens à distance, nous en avons bavé car nous n’avions pas ce contact et les rencontres avec des étudiants et des professeurs.
L'Esta en chiffres
385 élèves (+ 20% par rapport à 2020)
20 salariés dont 11 enseignants
2,5 millions euros de budget
Plus de 1100 alumnis
92% des étudiants ont un emploi dans les 6 mois après la sortie de l’école
36 000 euros brut annuel : le salaire moyen à la sortie d’un élève de l’Esta
Aujourd’hui, vous occupez entièrement le bâtiment. Vous avez installé un amphithéâtre au rez-de-chaussée de 96 places.
Laure Viellard – Il faut se rendre compte que nous ne pouvions plus continuer de donner des cours à des jeunes dans les conditions dans lesquelles nous étions. Quand vous avez un effectif en croissance, il faut plus de places. Et puis, les étudiants ont besoin de salles de cours différentes de celles qu’on a connus. Nous étions capables de rester 3 heures assis sur une chaise en écoutant un professeur qui nous passait vaguement un power point ou des transparents. Aujourd’hui, ils ont tous un équipement informatique. Il faut qu’il puisse brancher leur ordinateur et ils ont besoin d’être connectés. Il y a une [interactivité] qui a beaucoup changé. Et le covid-19 nous a fait gagner 10 ans. Du jour au lendemain, il a fallu donner des cours à distance. Le peu d’investissements que nous avions fait dans une salle où il y avait de le visio dans de bonnes conditions, tous les professeurs voulaient y faire cours. Les étudiants se sont rendus compte de combien c’était confortable d’avoir des professeurs capables de faire des visio dans de bonnes conditions. Nous avons des salles de cours, nouvelle génération, un bâtiment agréable à vivre. C’était la moindre des choses de leur offrir ça.
Jacques Jaeck – C’est un beau bâtiment, lumineux. L’accroissement du nombre d’étudiants faisait qu’il nous fallait tout le bâtiment.
Quels sont les prochains projets ?
Laure Viellard – Le programme Bachelor, c’est un important investissement. Il n’est pas finalisé. Nous avons 6 à 8 mois pour peaufiner la maquette pédagogique, préparer la communication pour recruter des élèves et trouver les entreprises qui vont nous accompagner et adhérer au projet. Quand vous vendez un programme tout en apprentissage, il vous faut un élève pour une entreprise. C’est un challenge. L’objectif est une ouverture en septembre 2023. Il y a toujours des projets d’amélioration du bâtiment. On aimerait construire un incubateur ; il y a une vraie demande des jeunes pour construire leur entreprise. Nous avons mis en place des modules de cours, nous les challengeons, nous sommes partenaires de BGE, de PéPites. Il y a de très belles entreprises sorties de l’Esta ; je pense à Cuir Marin de France (C’est « une tannerie écoresponsable innovante qui réalise des cuirs marins de haute qualité dans une démarche éthique, à partir des peaux de poissons issues de l’agroalimentaire et initialement vouées à la destruction », peut-on lire sur le site Internet de l’entreprise, NDLR). L’année dernière, nous avons créé onze nouveaux emplois de jeunes qui ont créé leur boite ! Nous voulons essayer de les accompagner encore mieux. Sur la partie accompagnent pédagogique, nous venons de finaliser le programme sur les 5 années avec des modules et des intervenants. Et nous avons envie d’avoir un lieu, au rez-de-chaussée. Ensuite, il faut trouver le moyen de le mettre en route, de trouver des subventions, pour en faire un lieu original et unique sur lequel nous serons ravis de communiquer l’année prochaine (rire).
Jacques Jaeck – Le gros des investissements a été fait. Et nous avons été très aidés (l’école évoque le soutien des institutions, d’entreprises et d’alumnis, NDLR).