Cela a quasiment fait l’effet d’une bombe, mercredi 30 avril. Le média Challenge a dévoilé les contours d’un projet 100 % français d’un véhicule capable d’assurer des tirs d’artillerie de longue portée : le projet Foudre, porté par Turgis Gaillard.
Aujourd’hui, la capacité de tir longue portée n’existe qu’au 1er régiment d’artillerie (1er RA), à Bourogne. Elle est assurée par le lance-roquette unitaire (LRU, à découvrir dans notre article), véhicule capable d’embarquer douze missiles disposant d’une précision métrique à une distance de 70 kilomètres.
Problème : d’ici deux ans, on sera bien incapable de lui assurer son maintien en condition opérationnelle. La guerre en Ukraine, mais aussi le conflit dans le Haut-Karabagh, ont pourtant consacré la place « centrale » de l’artillerie, comme le souligne le rapport d’information sur l’artillerie rendu par les députés Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch, parlementaire (Union des droites) du pays de Montbéliard. « Le format et les capacités de l’artillerie sol-sol française ont été́ considérablement réduits, au risque de ruptures capacitaires majeures », alertent les deux députés, ce 30 avril.
Obsolescence du LRU
Le renouvellement de ce vecteur n’a pas été anticipé. Le 1er RA est doté du LRU depuis 2014 ; c’est un équipement acheté sur étagère, aménagé sur le châssis chenillé du M270 Bradley datant de 1981. Le programme est d’autant plus important qu’aujourd’hui, très peu de systèmes LRU sont opérationnels. Officiellement, on en évoque neuf. Certaines sources évoquent plutôt sept à huit équipements en état de marche, dont trois sont en Roumanie, dans le camp de la division Otan, à Cincu, qui assure la défense du flanc Est. Quatre systèmes avaient aussi été fournis à l’Ukraine (lire notre article).
Afin d’éviter la rupture capacitaire, un plan doit permettre de pérenniser jusqu’en 2030 la disponibilité des LRU : mais avec combien de systèmes opérationnels ? Tout en sachant qu’il faut parfois six mois pour recevoir une pièce des États-Unis. Et le nouveau système sera-t-il opérationnel et livré ? « Si les artilleurs du 1er régiment d’artillerie peuvent toujours s’entrainer au tir LRU grâce aux simulateurs, la faible disponibilité des LRU combinée à l’absence actuelle de solution temporaire palliative risque à terme d’entraîner une perte de compétences des artilleurs français sur ce segment », mettent en garde les deux auteurs du rapport.
Deux projets sur les rails mais pas aboutis
L’actuelle loi de programmation militaire prévoit 13 systèmes du type LRU à l’horizon 2030 et 26 pour 2035. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, était spécialement venu à Bourgogne, au printemps 2023, pour annoncer ce programme de 600 millions d’euros pour renouveler le LRU, comme le rappelle Cédric Perrin, sénateur Les Républicains (LR) du Territoire de Belfort, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du sénat, qui avait justement organisé la visite. Un matériel que l’on souhaite « souverain », rappelle-t-il.
Un programme a été lancé par la direction générale de l’armement (DGA) pour le remplacer, avec un premier travail sur la frappe jusqu’à 150 km et un autre pour tirer au-delà de 500 km voire 1 000 km. Safran et MBDA d’un côté et Thalès et ArianeGroup de l’autre travaillent des solutions. Mais ces solutions ne pourront pas être vues avant mi-2026 alertent les députés.
L’achat d’un équipement étranger n’est pas privilégié, malgré les risques capacitaires. Mais l’option n’est pas totalement rejetée. « L’achat sur étagère d’un système préexistant pourrait en théorie concerner le M142 HIMARS américain, le K239 sud-coréen, l’Europuls germano-israélien ou encore le « Pinaka » Indien », indique le rapport parlementaire. Compte tenu des commandes d’autres pays européens de ces équipements, la livraison pour la France ne serait pas plus en amont que le développement d’une solution souveraine. Qui implique aussi ce trou capacitaire, à une période où la tension s’accroit et que disposer de cette force de frappe est vital dans la conduite des opérations.
Précaution face au projet Foudre
C’est en cela que le projet Foudre de Turgis Gaillard est intéressant. Développé dans la plus grande discrétion, il sera présenté au Salon du Bourget, au mois de juin. Mais personne n’a pu le voir. Ni n’a pu le tester. Il faut donc faire preuve de la plus grande « précaution », invite Matthieu Bloch.
Le grand espoir est qu’il pourrait prendre le relai du LRU dès 2027 et éviter « le trou capacitaire » tant redouté par les autorités, glisse Matthieu Bloch, joint par téléphone. L’autre intérêt de ce matériel, « c’est qu’il est rétrofitable », précise Cédric Perrin, sénateur Les Républicains (LR) du Territoire de Belfort, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du sénat. Il pourrait tirer les stocks de missiles dont dispose aujourd’hui la France, puis les prochains qui seraient développés. Mais le sénateur de préciser : Foudre n’est que le vecteur qui tire. Il faut aussi la munition qui va avec pour toucher au but. Et elle est toute aussi importante dans la portée de l’équipement.
Si la pertinence se confirme, « le gouvernement doit permettre de faire des tirs sur l’île du Levant [dès que possible] », insiste Matthieu Bloch. Cette nouvelle devra accélérer la concurrence « entre industriels », souffle un observateur. À Bourogne, on doit regarder ce nouveau projet de Turgis Gaillard avec un certain intérêt. Et un certain sourire. L’une des devises du régiment ne dit-elle pas Decent Jovis Fulmina Prolem ? « La foudre de Jupiter protège nos enfants. » Sacré clin d’œil.