30,9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021 pour la société F2J Japy, à Valentigney. 21,1 millions d’euros en 2023 (données à retrouver ici). Deux données qui illustrent le défi auquel sont confrontés les sous-traitants automobiles. Et la vitesse à laquelle il faut engager le changement. L’entreprise du pays de Montbéliard, dont l’histoire remonte à 1830, a été fondée par la famille Peugeot. Elle fabriquait alors des pièces pour les machines de filature textile. Aujourd’hui, elle est toujours liée au constructeur automobile Stellantis, qui représente 90 % de ses commandes.
« Nous fabriquons des sous-ensemble de boite de vitesse mécanique, principalement [des pièces] sur la commande interne », explique Thibault Coeurdacier, le directeur du site. « Nous avons une érosion des volumes tous les ans », convient le directeur, ce que corrobore la chute du chiffre d’affaires. Ce marché est voué à disparaître dans la prochaine décennie avec la disparition du moteur thermique, programmé en 2035 pour les véhicules neufs dans l’Union européenne. Mais ce marché claudique déjà depuis quelques années avec le ralentissement mondial des ventes de voitures et par la croissance du marché des boites automatiques, qui cannibalise le marché des boites de vitesse mécanique. Tout en en accélérant le mouvement. « Il y a tout le cocktail pour que cela n’aille pas dans le bon sens », regrette Philippe Gautier, maire Horizons de Valentigney (lire ci-contre).
Philippe Gautier : « Nous allons tout faire pour les accompagner »
« Il y a un vrai savoir-faire, une vraie technicité », confie Philippe Gautier, maire Horizons de Valentigney. « À terme, les marchés vont s’éteindre », poursuit-il, résigné. « C’est une casse sociale », pourfend l’édile, qui suit le dossier de cette société depuis plusieurs années. « Nous allons tout faire pour les accompagner. » Il est conscient que les usines liées à l’industrie automobile font face à un mur des difficultés. La diversification de l’économie concerne aussi les territoires. Si l’usine est amenée à réduire son empreinte foncière – l’usine s’étend sur 20 000 m2 – il faudra « regarder » pour faire venir d’autres implantations indique-t-il.
L’été dernier, Stellantis a annoncé, qui plus est, l’arrêt d’une ligne de production de boites de vitesse, pour laquelle F2J fournissait des sous-ensembles ; ce produit représentait 30 à 35 % de l’activité. Le coût est rude. La ligne est supprimée totalement et non pas délocalisée note Dany Beugin, trésorier du comité social et économique (CSE) de l’entreprise, syndiqué à Force ouvrière. L’arrêt est « brutal », valide Thibault Coeurdacier. « Six millions d’euros de chiffres d’affaires, c’est impossible de le renouveler en 6 mois, souffle-t-il, par téléphone, ce mercredi. On ne peut pas s’adapter aussi rapidement. »
« On offre notre marché aux Chinois »
Face à cette situation, la direction engage un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), présenté ce lundi aux représentants du personnel. Une quarantaine de postes sont en suspens. « Nous devons nous restructurer », explique le directeur. « Le but de la démarche, c’est de préserver l’activité restante, dans les meilleurs conditions possibles, assure-t-il, tout en étant le plus compétitifs. »
« On se doutait qu’il y aurait quelque chose, mais pas aussi brutalement, ni rapidement », avoue Dany Beugin. Les syndicats vont chercher à amoindrir la note, en tentant de « limiter » les licenciements secs, « alors que le marché de l’emploi fait peur », interpelle le représentant du personnel. La première réunion de négociations, consécutive à l’annonce du PSE, aura lieu ce vendredi 24 janvier.
L’intersyndicale Force ouvrière, CFDT, CFE-CGC juge ce PSE « brutal et inacceptable ». Le sixième en huit ans. « Les salariés de F2J Japy sont épuisés par cette spirale de restructurations répétées qui fragilisent non seulement leur avenir professionnel, mais aussi leur équilibre personnel et familial », écrit-elle dans un tract publié ce lundi.
Dans cette crise de l’automobile, « notre bassin purement automobile va y laisser des plumes », estime Dany Beugin. « Ce ne seront pas les derniers », redoute Didier Klein, vice-président de Pays de Montbéliard Agglomération, en charge de l’économie. « Les décideurs européens n’ont rien programmé. Bien sûr qu’il faut de l’écologie, mais il faut anticiper, tance Dany Beugin. Là, on offre notre marché aux Chinois ». « La transition écologique qui nous ait imposée va beaucoup plus vite que la capacité des industriels à se réinventer », rebondit Thibault Coeurdacier. L’intersyndicale réclame à l’État, aux pouvoirs publics et aux donneurs d’ordre, Stellantis en tête, de « protéger l’outil industriel et de préserver l’emploi en France ».
Diversification
Depuis près de 15 ans, l’entreprise se débat dans l’univers automobile et subit ses multiples crises. Le groupe industriel F2J a racheté la société Peugeot Japy en 2020 (lire notre article), alors que la société était en redressement judiciaire ; à l’époque, Peugeot Japy, qui appartenait alors au groupe Farinia, ne travaille plus que pour le constructeur automobile qui n’est encore que PSA, après la perte de marchés avec Bosch et General Motor. Aujourd’hui, « il faut sortir de l’automobile », valide le directeur, précisant que ce marché était déjà concurrentiel, mais que c’est de pire en pire. Les offres françaises ne pèsent plus grand-chose face aux propositions des pays low cost. « On ne peut pas lutter », glisse-t-il.
F2J Japy engage un projet de diversification. Ce n’est aujourd’hui qu’une poignée de pourcents du chiffre d’affaires. L’entreprise fournit des pièces pour un machiniste agricole, en Alsace. Elle produit aussi des châssis, en mécano-soudure, pour des générateurs hydrogène, pour un opérateur de région parisienne. Thibault Coeurdacier fonde beaucoup d’espoir dans ses pistes de diversification, mais elles prennent du temps. « L’hydrogène peine à démarrer, mais il démarrera, surtout sur des équipements comme les nôtres », estime-t-il. Cette diversification vers l’hydrogène s’appuie sur la décarbonation de l’industrie, plus prometteuse actuellement que la mobilité. D’autres pistes sont à l’étude. « En tant que spécialiste de l’usinage, nous n’avons aucune limite, assure le directeur, qui rappelle que l’entreprise travaille pour un secteur exigeant, celui de l’automobile. Notre particularité : nous savons usiner et assembler. Nous pouvons faire des modules complets. »
En 2000, la société comptait plus de 600 employés. En 2018, il n’était déjà plus que 300. Sur les huit dernières années, l’entreprise a connu six plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). En ce début d’année 2025, on compte 102 salariés. Ils ne seront qu’une soixantaine dans six mois. 10 fois moins de salariés en 25 ans. Une donnée vertigineuse à l’image des mutations de l’industrie automobile.