Dans dix ans, la base aérienne Lieutenant-Colonel-Papin de Luxeuil-Saint-Sauveur va changer de dimension. Elle rejoindra le clan des bases aériennes à vocation nucléaire (BAVN). En 2036, deux escadrons de Rafales de dernière génération – le standard 5F – sillonneront le ciel haut-saônois. Et la BA 116 sera la première base française à être dotée du futur missile nucléaire hypersonique, l’ASN4G (missile air sol nucléaire de 4e génération). Emmanuel Macron l’a confirmé au mois de mars (lire notre article).
La base comptera une cinquantaine d’aéronefs, contre une vingtaine de Mirage 2000-5F aujourd’hui, spécialisés dans le combat aérien. « La BA 116 aura une importance particulière », souligne le colonel Emmanuel Roux, commandant de la BA 116. Aujourd’hui, la base aérienne de Saint-Dizier, dans les Vosges, est la seule qui héberge la dissuasion nucléaire aéroportée ; ce sont ses Rafales qui transportent la bombe.
Les Rafales sont des avions de chasse biplaces, embarquant un pilote et un navigateur. Les effectifs de la base vont donc mécaniquement gonfler ; les équipes de chasse vont ainsi quadrupler. La base comptera environ 800 mécaniciens, contre 300 aujourd’hui. « La base va doubler de volume », observe le colonel Emmanuel Roux. La physionomie de la base, qui s’étend sur près de 500 ha, va considérablement changer ; de nombreux bâtiments datent des années 1950. Avec le sourire, le colonel a confié avoir visionné une vidéo de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) montrant une visite du Général De Gaulle sur la base, dans les années 1960… peu de choses ont changé !
Des pilotes prêts
Du côté des pilotes, on se dit « prêt » à transporter l’arme atomique. « C’est une responsabilité vraiment lourde que l’emploi de l’arme nucléaire », reconnait le commandant Julien, dit le Sid. « C’est l’arme du dernier recours, mais je pense qu’on est tous prêts, pour protéger ceux qu’on aime et notre nation, à utiliser cette arme ».

Les principaux travaux débutent en 2029
La phase active des travaux va débuter en 2029. C’est la date à laquelle l’activité des Mirages 2000-5F, consacrée à la défense aérienne, cessera, après près de quarante ans de bons et loyaux services. La base ne fermera pas, mais il n’y aura plus d’activité aérienne. Les effectifs diminueront d’environ 30 %, avant de croître fortement avec l’arrivée des escadrons de Rafales. Les premiers Rafales sont attendus en 2032 et le premier escadron (25 avions) sera opérationnel en 2033 ; le second est attendu en 2036. D’ici 2029, on va préparer et concevoir la future base. À partir de 2029, on construit. Les travaux se poursuivront jusqu’en 2036, avec une phase très active au début de la décennie, avant l’arrivée du premier escadron. L’absence d’activité aérienne permettra de remettre l’ensemble de l’infrastructure de la base à plat ; une opportunité unique.
La vocation nucléaire de la base « conditionne pas mal de choses sur la sécurité, l’infrastructure, la piste, les hangars ou les taxis ways », énumère le commandant de la base. La piste, de 2 400 mètres, sera renforcée pour accueillir l’activité soutenue des futurs Rafales, plus massifs que les Mirages. Cet avion de chasse, conçu par Dassault, est aussi un avion plus grand ; il ne rentre pas dans les hangars actuels, qui datent des années 1950. Le nouveau système d’arme nucléaire va nécessiter un stockage et un système de sécurité particulier. Une sécurité qui doit prendre de plus en plus en compte la dimension cyber. « C’est complètement hors norme », résume le colonel Emmanuel Roux. Le chantier est estimé à 1,5 milliard d’euros.
Étude de l'Insee
La basse aérienne emploie un millier de personnes. On estime qu’elle génère 1 300 emplois directs, indirects et induits. C’est un acteur territorial de premier plan en Haute-Saône et on évoque un niveau de commande de 7,5 millions d’euros. Le colonel Emmanuel Roux, commandant de la BA 116, a commandé une étude auprès de l’Insee, fin 2024, pour connaître exactement les retombées économiques de la base sur son territoire et son poids démographique. L’étude doit permettre aussi de voir comment cela va évoluer dans les dix prochaines années.
Plus de 50 métiers à la base aérienne
En parallèle, il faut construire les bâtiments qui hébergeront et nourriront les futurs militaires interpellent l’officier, avec l’ambition de ne pas consommer plus d’énergie qu’aujourd’hui, alors que les effectifs seront deux fois plus importants. « Nous avons 10 ans pour construire la première base de France avec des avions qui n’existent pas, des armes [nucléaires hypersoniques] qui n’existent pas, une infrastructure qui n’existe pas et avec la moitié de la population de cette [future] base qui est aujourd’hui au lycée », résume, dans une jolie formule pour présenter la taille du défi, le colonel Emmanuel Roux, qui apprécie être de la génération « de ceux qui font les plans ». C’est un défi d’infrastructure. Un défi technologique. Et un défi humain. Car pour faire voler 50 Rafales, il faut 800 mécaniciens. Mais aussi l’ensemble des 50 métiers qui composent une base aérienne, à l’instar des pompiers, des contrôleurs aériens, des commandos chargés de la défendre, les services de restauration ou encore les spécialistes du radar.
Cet enjeu ne se réalise pas seul, insiste le colonel, qui ne sera plus là lorsque la base sera terminée. Il ne peut réussir que si la base est « enracinée » dans son territoire, souligne-t-il à plusieurs reprises. Des conventions sont en cours de préparation avec les collectivités locales, pour préparer ce chantier d’envergure, mais aussi l’accueil des futures familles. Les logements ou encore les écoles devront suivre. Derrière la puissance des biréacteurs du Rafale, c’est tout le cœur d’un bassin de vie qui bat.
Une étude 4-saisons lancée sur la faune et la flore
« Les enjeux de la protection de l’environnement sont intégrées dans les préoccupations du ministère des Armées », rassure le colonel Roux, à la suite d’une demande des écologistes de Haute-Saône, de disposer une étude des sols avant le lancement des travaux. Une étude 4 saisons vient d’être lancée sur la base, pour recenser « la faune et la flore ». L’armée dispose d’une organisation qui traite à ces questions. Elle est « indépendante de la chaine de commandement ». « La base aérienne est soumise au même code de l’urbanisme et de l’environnement », rassure l’officier. « On les respecte scrupuleusement. »