Des salariés du Granit ont fait valoir leur droit de grève, ce jeudi. Ils dénoncent les conditions de travail de la scène nationale à l’œuvre depuis la mise en place de la nouvelle gouvernance. On évoque un manque de communication, la suppression des outils de travail et un management brutal.
Des salariés du Granit ont fait valoir leur droit de grève, ce jeudi. Ils dénoncent les conditions de travail de la scène nationale à l’œuvre depuis la mise en place de la nouvelle gouvernance. On évoque un manque de communication, la suppression des outils de travail et un management brutal. Nouvel acte d’une dramaturgie au goût de plus en plus amer.
Trois barnums. Des banderoles « en grève ». Et entre 15 et 30 personnes qui tiennent un piquet de grève devant le théâtre Granit à Belfort, ce jeudi matin. On fait circuler une pétition pour apporter un soutien à la défense des conditions de travail des salariés. Les turbulences se poursuivent dans les locaux de la scène nationale belfortaine. Les tensions se nouent autour de la nouvelle gouvernance ; la directrice est en poste depuis le mois de décembre. On parle de « management brutal », « d’intimidation », pour reprendre les termes qui apparaissent sur le tract, siglé CGT. Depuis janvier, les arrêts de travail ont été nombreux. Deux licenciements pour fautes graves ont même été actés. Un autre est à l’étude apprend-t-on auprès des représentants du personnel. Le tout, alors que la structure embauche une vingtaine de salariés. Depuis le début de l’année, deux personnes ont été recrutées.
Depuis plus de deux mois, les déléguées du personnel ont manifesté un « une volonté de dialogue », affirme Marie-Émilie Gallissot, déléguée du personnel. Les deux représentantes du personnel ont alerté lors de réunions. Puis par écrit. Elles ont interpellé également les tutelles (collectivités locales et direction régionale des affaires culturelles), sans avoir de réponses. Elles ont même signalé la situation à la médecine du travail. « Les éléments amenés sont retournés comme des arguments infondés », regrette Marie-Émilie Gallissot, qui insiste sur le fait que « l’on ne remet pas en cause [le] travail [de la directrice] ».
Où sont les outils de travail ?
Les salariés en grève dénoncent « la mise à mal de l’organisation de travail et l’absence de communication », peut-on lire sur le tract. On regrette également « les manques de discrétion professionnelle de la part de la direction, parlant de certains salariés et des fautes graves qu’ils auraient commises ». Exemple : les salariés entendent parler de ruptures conventionnelles. Finalement, ce sont des licenciements pour fautes graves qui se jouent. L’incompréhension est forte sur les visages. On n’accepte pas non plus les critiques systématiques à l’égard de l’ancienne équipe. Pourtant, au mois de juin 2019, la présidente saluait le travail de l’équipe en place, en évoquant la programmation : « (…) équipe réunie autour d’une programmation qu’elle est fière de vous présenter. Une programmation riche, variée, ambitieuse, construite collectivement, locale et internationale, fidèle aux exigences du label des scènes nationales et adaptée à nos lieux. »
Surtout, les grévistes dénoncent « la suppression des outils de travail ». Un matin, l’équipe a déploré l’absence des disques durs. Les salariés n’avaient plus accès à leur messagerie électronique, ni à la billetterie, encore moins au serveur sur lequel on stocke les dossiers. Les fonctions supports n’étaient pas non plus accessibles, comme la comptabilité. C’était la première semaine des vacances scolaires. C’est le prestataire informatique qui constate cette disparition, qu’il signale dans un procès-verbal. Après avoir alerté la directrice, pour l’inviter à porter plainte s’ils ont été volés, elle précise qu’ils sont en « maintenance informatique », rapportent les déléguées du personnel. La situation a duré plus d’une semaine. Sans proposition d’alternatives. Sans avoir averti l’équipe.
Des couacs ont également été observés sur le versement des salaires fin février. Les salariés sur place ont pu bénéficier d’un acompte la dernière semaine de février. Les personnes absentes cette semaine-là ont attendu la première semaine de mars pour avoir un acompte. « Les personnes en arrêt n’ont pas été appelées pour venir chercher un acompte et n’ont pas été averties d’un dysfonctionnement dans les versements », regrette Marie-Émilie Gallissot. Et le tract de préciser : « La directrice accuse, devant d’autres salariés, la comptable (également déléguée du personnel, NDLR) en arrêt de travail depuis le 14 février de « graves fautes professionnelles et de prise en otage des salariés » pour expliquer ce non-versement de salaire. » Le 12 mars, l’une des salariées licenciées pour fautes graves, , depuis le 20 février, n’avait toujours pas reçu son solde de tout compte ni les documents que doit remettre obligatoirement l’employeur pour faire valoir ses droits. Face à cette deuxième série d’alertes, un nouveau courrier est envoyé aux tutelles de la scène nationale par les déléguées du personnel, évoquant des « risques psycho-sociaux ». Les réponses se font toujours attendre. Un mouvement de grève est alors acté.
Pas de réponse de la gouvernance
Dans l’environnement politique qui rayonne autour du Granit, certains ne sont pas étonnés d’entendre ces reproches à l’égard de la gouvernance. À la suite de l’arrivée de la directrice, on déplore par exemple l’organisation d’entretiens individuels avec les salariés, en présence de la présidente. Et sans représentant du personnel. « C’est quelque chose d’inconcevable », souffle une personne souhaitant conserver l’anonymat. D’autres, en soutien de la gouvernance, dénoncent « un petit groupe [de salariés] qui a pris l’habitude de gérer tout seul » et saupoudrent le propos avec des enjeux électoraux, invoquant l’engagement dans des listes à gauche, d’anciens salariés du Granit. « Qu’il y ait des changements et de nouvelles méthodes, nous n’avons pas de soucis avec cela », modère Marie-Émilie Gallissot. Aujourd’hui, ce n’est pas le sentiment qu’elles ont. « Nous ressentons un sentiment de défiance et de méfiance vis-à-vis des salariés », soufflent les déléguées du personnel.
Sollicitée, la directrice, Eleonora Rossi n’a pas souhaité s’exprimer, invoquant « un devoir de réserve », compte tenu des élections municipales. Ce devoir ne concerne normalement que des fonctionnaires ou des agents contractuels travaillant dans la fonction publique. Commentaire similaire de la part de la présidente du Granit, Fabienne Cardot, avec qui nous avons brièvement échangé par téléphone. Cette dernière précise qu’il y aura une communication après le 23 mars… Lendemain des élections municipales. Les deux femmes ont rapidement glissé que « [nous n’avions] pas tous les éléments » pour comprendre. On n’en sait, pour le moment, pas plus.
« [Le Granit] sera, avec vous, une aventure audacieuse après une fusion gâchée, une aventure que nous écrirons ensemble, dans l’écoute, le plaisir et le respect », écrivait Fabienne Cardot dans son édito introduisant la programmation 2019-2020. Dix mois après, l’écho sonne creux.