Les chiffres ont de quoi donner le tournis. En 2024, selon le centre national de la musique (lire ici), 48 % des 877 festivals de musique et d’humour analysés (2 082 sont cartographiés en France) sont déficitaires. Pis, parmi les 70 festivals atteignant un taux de remplissage de plus de 90 %, 44 % sont déficitaires. 23 % atteignent simplement l’équilibre financier.
Les festivaliers sont donc au rendez-vous des évènements. La pérennité économique, beaucoup moins. « Il y a un effet ciseau entre les recettes qui diminuent et les dépenses qui augmentent », observe Matthieu Pigasse, président du groupe musical et culturel Combat, qui détient notamment Les Inrockuptibles, Radio Nova ou encore Rock en Seine, ainsi que des participations dans Mediawan ou Deezer. Côté dépenses, les cachets artistiques s’envolent, au même titre que les coûts de sécurité et le prix des assurances. « Beaucoup de festivals sont en difficultés », déplore-t-il. Depuis le covid, cette tendance se renforce. Et c’est particulièrement vrai pour les festivals associatifs. Le repli des subventions, dans un contexte budgétaire morose, ne fait qu’amplifier le phénomène.
C’est fort de ce constat qu’est née la plateforme Combat Rock, annoncée au printemps. « Combat rock est une plateforme qui vise à mettre à disposition des festivals ce qui parfois leur manque », détaille Matthieu Pigasse, interrogé lors des Eurockéennes (retrouvez nos articles). Cela peut être un soutien autour de la logistique. Un soutien en termes d’expertise. Ou un soutien autour de la programmation, par exemple. « Combat Rock permettra de mutualiser les moyens et d’apporter aux festivals une pérennité et des perspectives de développement dans une conjoncture difficile », résume le communiqué de presse présentant l’initiative. Mieux, cette plateforme vise à conforter « l’identité » et « le positionnement » des événements. Elle est ouverte à tous les festivals associatifs et indépendants. Ce projet vise bien à maintenir l’offre culturelle partout, alors qu’elle est menacée si les festivals disparaissent, faute de soutien.
Les Eurocks en exemple
Ce projet est né d’une rencontre. Celle de Matthieu Pigasse avec Jean-Paul Roland, le directeur des Eurockéennes de Belfort depuis l’édition 2001. Avec « un trait d’union », assure Matthieu Pigasse : « La culture et l’engagement. » La plateforme s’appuiera notamment sur l’expertise de Jean-Paul Roland.
Les Eurockéennes ont un budget qui avoisine les 12 millions d’euros. Pour cette édition 2025, le budget sera « à l’équilibre positif », anticipe Jean-Paul Roland. La force du festival, aujourd’hui, c’est de s’appuyer sur des recettes propres, à hauteur de 95 %, ce qui lui garantit une indépendance, mais aussi de financer des actions culturelles toute l’année dans son territoire, à l’instar de l’opération Iceberg, qui accompagne la professionnalisation de groupes de musique amateurs. « Le modèle des Eurockéennes marche bien », indique Jean-Paul Roland. Cette situation lui permet de moins subir la situation actuelle.
Mais la pression n’en est pas moins forte. L’obligation de garantir une fréquentation élevée est importante, d’autant plus que « le coût accueil d’un spectateur est de plus en plus élevé ». Les festivals s’adaptent à la diversité des publics et aux attentes inhérentes à chacun d’entre eux. « La ligne de flottaison », formule joliment Jean-Paul Roland, est toujours plus haute. Et on peut facilement basculer d’un côté ou de l’autre, sans juste milieu. Là, la réussite. De l’autre, le bouillon. « Le risque est plus fort, car la mise est plus forte », résume finalement Jean-Paul Roland.
Cette expertise fournie par le boss des Eurocks est « compatible » avec son poste de direction du festival, garantit Matthieu Pigasse. « [Jean-Paul Roland] est une incarnation de ce monde associatif », argumente le président du groupe Combat, qui confirme aussi que cela ne signe pas un départ du directeur des Eurockéennes.
« Une arme face à la montée des extrême »
« Cette plateforme est un engagement au service de la culture », appuie Matthieu Pigasse. D’ajouter : « C’est une arme face à la montée des extrêmes. » Le contexte observé lors de la dernière édition des Eurockéennes, autour de l’annulation du concert de Freeze Corleone par la préfecture du Territoire de Belfort (nos articles), dans une dynamique initiée par le député du Rassemblement national, Guillaume Bigot, ne peut que le conforter dans cette idée.
La plateforme Combat Rock a été lancée avec la Route du Rock, programmée le week-end du 15 août, à Saint-Malo. « La cité corsaire de Saint-Malo, avec son esprit de résistance et de conquête, reflète notre propre mentalité de combat », note Matthieu Pigasse, dans le communiqué de presse de lancement. À Belfort, il retrouve aussi cet esprit de résistance. Il l’a incarné, dimanche soir, au nom de la liberté d’expression (notre article). Et il compte bien le cultiver avec Jean-Paul Roland.
Il faut « amener la culture tout le temps à tout le monde », défend encore Matthieu Pigasse, pour résumer le sens de son engagement. « La culture n’a absolument aucun sens si elle n’est pas un engagement absolu à changer la vie des hommes », écrit Romain Gary dans La Nuit sera calme. Combat Rock semble avoir fait de cette citation un mantra.