À la rentrée 2021, les médecins internes à Stellantis ont fait parvenir leur bilan de santé ainsi qu’une lettre de plusieurs pages, mettant en relief leurs inquiétudes concernant la santé des salariés sur les différents sites français.
À la rentrée 2021, les médecins internes à Stellantis ont fait parvenir leur bilan de santé ainsi qu’une lettre de plusieurs pages, mettant en relief leurs inquiétudes concernant la santé des salariés sur les différents sites français. Santé mentale, à cause de la charge de travail. Mais aussi santé physique, à cause de problèmes de sécurité et de prévention. À Sochaux, les syndicats mettent en relief cette lettre, consultée au mois de juin, et les difficultés sur les sites de Sochaux-Belchamp.
« Derrière la belle vitrine Stellantis, se cache le désespoir de l’ensemble des salariés », écrit dans son communiqué la CGT Sochaux. En conférence de presse, ce mercredi, ils dévoilent une lettre rédigée par l’ensemble des médecins du groupe Stellantis France, portée à la connaissance de la direction à la rentrée 2021, et débattue à l’occasion du bilan de santé annuel. « Pour que les médecins prennent la plume, c’est que les conditions se sont vraiment dégradées », pointe Jérôme Boussard, délégué syndical CGT. « C’est bien qu’ils l’aient fait, ça a jeté un pavé dans la mare », complète Benoit Vernier, délégué syndical CFDT.
Dans ce courrier, quatre points sont relevés : la dégradation des conditions de travail, l’employabilité à la baisse, l’augmentation du nombre de personnes en situation de risques psychosociaux et la difficulté de remontée des alertes. Les médecins évoquent, dans leur courrier, une « forte inquiétude » notamment liée à « la sévérisation des exigences au poste » ou encore liée à la diminution des passages à l’infirmerie. « On nous parle à ce sujet de la peur des conséquences, de la dissuasion des managers (variable d’un site à l’autre).» Avec des plus anciens, constamment dans « l’anxiété majeure d’inaptitude », qui se « surexposent ou qui sont sur-sollicités » et des managers « écartelés ». Ils dénoncent une réduction drastique des marges de manœuvre qui génère « des comportements inadaptés voire violents ».
« Usés », c’est ainsi que sont définis les salariés de Sochaux par les syndicalistes de la CGT. Une dynamique que l’on retrouve dans la lettre des médecins. « Ils (les jeunes) nous apparaissent de plus en plus écoeurés, cassés physiquement et souvent très vite.» En cause : des tâches difficiles, des postes non adaptés, exposent les syndicalistes. Avec une pénibilité amplifiée par l’activité partielle où « il faut faire le travail de 5 jours en 3 ou 4.» Et où « nous sommes sans arrêt à la disposition de la direction, quasiment 24h sur 24 et 7 jours sur 7.»
Par téléphone, une porte-parole de la direction tempère. La lettre et le rapport ont été rédigés en 2021 « dans une période vraiment chahutée par la crise des semi-conducteurs, le chômage partiel, le covid…» La direction reste persuadée que le nouveau site Sochaux 2022 permettra de résoudre bien des problèmes que ce soit de confort, d’ergonomie ou encore de sécurité. « À Sochaux, nous avons un nouveau site de montage beaucoup plus lumineux, beaucoup plus spacieux avec un vrai souci d’ergonomie », expose la porte-parole avant de compléter que la période 2021 était une période de flou : « N’oublions pas que le numéro vert est resté en place pendant huit mois », remet-elle en perspective avant d’ajouter qu’une cellule de veille destinée à la santé destinée aux employés est implantée sur le site.
Problèmes de sécurité
« Le sentiment au quotidien est celui d’une réalité d’usine low-cost, là où avait été annoncée l’usine du futur », écrivent sans détour les médecins dans leur lettre. « Nous observons sur les établissements un manque d’entretien et de renouvellement de matériel, y compris sur des éléments de sécurité (électriques, systèmes de ventilation) », est-il détaillé dans la lettre, précisant que « même certaines urgences ne sont plus traitées comme telles.»
À la CGT Sochaux, on reprend ces arguments concernant le site. « On nous a vendu une usine toute neuve. Mais rien que le toit : il fuit, ils mettent des rustines pour que ça tienne debout. Un jour, ça va nous tomber dessus », déplore encore une fois le syndicat.Il relève aussi que : « Pour le site de Sochaux 2022, nous n’avons pas été questionnés sur l’aménagement de nos postes. Pourtant, nous sommes les premiers concernés », déplore-t-il.
« Finalement, on a l’impression que tout est pour le profit et l’économie et rien pour l’humain », explose un délégué syndical de la CGT, tandis que le syndicat FO écrit dans un mail destiné à la direction (que Le Trois a pu consulter) que « l’avarice est un vilain défaut qui nuit au social ». Une dynamique repérée par les médecins, qui met en avant que « cet état de fait est mis en rapport avec la réduction des budgets et l’impossibilité d’arbitrer en faveur des problématiques de sécurité et de prévention.»
« C'était plus facile sur un plan »
Eric Peultier, délégué syndical FO, raconte avoir informé la direction de la prise de connaissance de cette lettre dès le 8 juin. « FO rejoint l’analyse faite par les médecins du travail. C’est pourquoi aujourd’hui FO alerte à son tour la direction sur les conséquences en termes d’atteinte à la santé physique et mentale », écrit-il dans un communiqué. Par téléphone, il raconte : « Le 16 juin, nous étions reçus par le directeur du site et le responsable du site Belchamp.» Il narre : « Ils ont pris conscience d’un certain nombre de choses. Ils avaient la tête dans le guidon sur le côté industriel avec Sochaux 2022 en partant d’une page blanche. Et ils ont squizzé la partie sociale.» Il confirme que certaines pistes d’améliorations sont en marche.
Au téléphone, la porte-parole de la direction l’affirme : « Rien n’est parfait, c’est sûr. Mais sur les questions de sécurité et de prévention, nous travaillons en continu en partie prenante avec les différentes équipes. Rien n’est jamais figé. » Elle détaille : « Ce qu’on avait imaginé était facile sur un plan. Mais ce n’est pas pareil une fois en marche sur le site. Pour signaler les problèmes, nous avons mis en place plusieurs choses », dont un outil développé pour les opérateurs afin de signaler des problèmes liés à la sécurité. « Il y aussi le système de “déclic”. Les salariés peuvent relever les problèmes, et si leur idée est très bonne, ils peuvent gagner jusqu’à 1 500 euros.»
Contre-pouvoirs
Pour la CGT, les instances de « contre-pouvoirs », telles que les ergonomes et les préventeurs sont en train de disparaître pour faire des économies. Tout comme le CHSCT, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, « qui permettait de faire contre-poids sur des questions de sécurité. Aujourd’hui, nous n’avons plus que des groupes de travail qui ne servent à rien », détaille le syndicat. Un avis partagé par la CFDT, qui déplore que les jours d’arrêt n’aient pas été mis à profit pour « faire venir les équipes 1 ou 2 jours pour étudier l’ergonomie des postes », comme « nous l’avions proposé », raconte Benoit Vernier. « Depuis que Sochaux 2022 est sur les rails, la partie prévention a été complètement délaissée », déplore-t-il.
FO, dans son communiqué, revendique « le renforcement de l’équipe médicale, des embauches pour avoir des effectifs en nombre suffisant et l’adaptation des postes aux salariés et non l’inverse ». Tout comme la CGT, qui plaide pour la baisse des cadences, l’aménagement de postes, mais aussi surtout pour le retour d’une équipe médicale plus nombreuse sur place.
« Il est grand temps pour la direction de Sochaux de remettre le social au cœur de sa politique avant que le contexte ne soit plus gérable et ne lui échappe » en écoutant ses salariés, écrit, pour finir, le syndicat FO.