Le 4e comité paritaire rassemblant l’intersyndicale de l’entité turbines à gaz de General Electric, le Gouvernement et la direction de l’industriel se tient ce mardi 30 juin. Cette instance suit le déroulement du plan social, dont un accord a été signé le 21 octobre 2019. Aujourd’hui, les partenaires sociaux attendent des engagements clairs. Et Philippe Petitcolin, secrétaire du comité social et économique (CSE) est prêt à activer de nouveau les recours juridiques si les contreparties au PSE ne sont pas tenues.
Le 4e comité paritaire rassemblant l’intersyndicale de l’entité turbines à gaz de General Electric, le Gouvernement et la direction de l’industriel se tient ce mardi 30 juin. Cette instance suit le déroulement du plan social, signé le 21 octobre 2019. Aujourd’hui, les partenaires sociaux attendent des engagements clairs. Et Philippe Petitcolin, secrétaire du comité social et économique (CSE), est prêt à activer de nouveau les recours juridiques si les contreparties au PSE ne sont pas tenues par General Electric.
Le 21 octobre, vous avez signé les accords concluant la fin du conflit social de l’entité turbines à gaz de General Electric. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoyait initialement 792 suppressions de poste ; il a été réduit à 485. Aujourd’hui, nous enregistrons 455 départs volontaires. Il reste 30 départs à effectuer. Une deuxième phase de départs volontaires est prévue à partir du 24 août, où des salariés travaillant dans des catégories touchées par le PSE pourront redéposer leur dossier ou déposer un nouveau dossier. À ce jour, nous estimons que le risque de départs contraints est quasi nul, de l’ordre de moins de 10 personnes ; et plutôt dans des catégories de techniciens ou de cadres. Nous sommes dans une phase de repositionnement dans l’entreprise.
Qu’en est-il du plan de réduction des coûts ?
Les deux mesures les plus importantes sont l’épargne salariale, qui est gelée pour l’ensemble des salariés pendant trois ans ; c’est environ 25 % du plan d’économie. Le 2e point d’économie, c’est la réduction des loyers. Le bâtiment 66 (le bâtiment orange, au cœur du Techn’Hom, rue de la Découverte, en face de l’entrée des ateliers), qui a été construit par General Electric, sera restitué d’ici la fin de l’année à Tandem. C’est la majeure partie des économies. Du point de vue des conditions de travail, il y a aussi l’accord, signé lors de la discussion des 40 000 heures (un projet de transfert d’activités, retrouvez nos articles ici), qui permet de repousser 8 jours de RTT non travaillés de 2020 à 2021. Cet accord est l’équivalent de l’accord « 1 400 heures » qui n’a pas été signé et qui donnait la possibilité à General Electric de faire travailler 8 jours de plus. En contrepartie, il y a deux choses majeures : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et le projet industriel.
Où en sommes-nous de cette gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ?
Une GPEC consiste à analyser les métiers actuels, à regarder comment ils vont évoluer, à repérer les métiers qui vont devenir à risque à court terme et à s’interroger sur ceux qui doivent évoluer. Quelles sont les compétences que l’on a ? Quelles sont celles que l’on a besoin de trouver et de développer ? C’est un outil de ressources humaines extrêmement puissant ; il permet d’anticiper les mutations des métiers. Logiquement, ce projet aurait dû se faire avant le plan social. Les premières réunions de cadrage devraient se tenir avant l’été, pour une mission « observatoire des métiers » de septembre à décembre, pour identifier dans chaque équipe quelles sont les ressources critiques, quelles sont les ressources à remuscler et celles qui ont tendance à disparaître. Le but est d’avoir une véritable prévision des compétences à venir, au regard de la stratégie, du marché, ect. C’est extrêmement important pour les salariés. Et cette GPEC s’adosse sur le projet industriel.
Où en est le projet industriel ? On a identifié 10 pistes en début d’année…
C’est rythmé par les réunions du comité paritaire, avec Bercy (ministère de l’Économie et des Finances, NDLR). On a eu une réunion au mois de décembre où nous avons présenté l’architecture de comment allait être organisé le projet industriel. Pendant la première phase, nous avons fait un inventaire de nos atouts et de nos forces et des opportunités et des risques sur nos quatre principaux métiers : commercial ; gestion de projet ; bureau d’étude ; et production. De ce travail, qui a duré à peu près deux mois, 10 axes de développement sont ressortis, qui correspondent aux atouts que l’on a à Belfort par rapport aux autres sites, qui correspondant parfaitement à la stratégie de GE et qui sont dans des niveaux d’investissement extrêmement mesurés.
Quels sont ces projets ?
Évoquons pas exemple le center line. C’est un type d’offre ; une offre pour laquelle nous avons toujours été très bons à Belfort. Le center line consiste à faire une offre standard, sur laquelle nous maîtrisons les coûts et les délais ; et nous ne vendons que ça. Et nous la vendons avec des ressources extrêmement faibles, avec une équipe, à Belfort, qui gère ce type de projets. Cela consiste à ne fournir que la turbine à gaz, l’alternateur et ses équipements proches. On s’associe ensuite avec quelqu’un pour tout le reste, là où il y a beaucoup plus de risques. Le modèle suisse [que nous avons adopté depuis 2015] consistait à proposer la centrale clé en main, sauf que nous ne sommes pas compétitifs pour le faire. La stratégie n’est pas de se battre contre les Suisses ou la régionalisation. L’idée, c’est de voir quelle part nous reviens, où nous sommes bons, où notre compétitivité et notre compétence sont indiscutables. L’idée est de faire un pôle Belfort-Baden (en Suisse, NDLR).
L’hydrogène a été aussi beaucoup évoquée dans la technologie de la turbine à gaz.
Ce projet autour de l’hydrogène est le plus compliqué à mettre en place en termes d’investissements. Mais c’est aussi celui qui permettrait d’ancrer Belfort à long terme, car nous savons que la turbine à gaz est une énergie de transition. L’avenir de l’énergie, c’est le renouvelable, le stockage et la stabilité des réseaux électriques. Dans ces trois axes, Belfort a tous les atouts. Mais pour cela, General Electric doit décider que Belfort soit le centre mondial de l’hydrogène.
Comment utilise-t-on l’hydrogène dans la technologie des turbines à gaz ?
Dans l’hydrogène et la turbine à gaz, il y a plusieurs axes. Certains à court terme, d’autres à moyens et longs termes. Ce qui est possible immédiatement, c’est de brûler de l’hydrogène dans nos turbines à gaz. Nos turbines savent le faire, tout dépend à quelle proportion. Belfort est bien placé. Il y a 20 ans, nous avons déjà installé une turbine qui brûlait 95 % d’hydrogène, en Corée du Sud. Cela ne demande pas des efforts énormes, car on ne parle que du système de combustion.
Est-ce intéressant aujourd’hui ?
Pour concevoir une turbine à gaz, il faut savoir deux choses : où est-ce qu’on installe la turbine (altitude, pression, température, environnement marin…) ; que brûle-t-on dedans. On dit turbine à gaz, mais on peut brûler du kérosène, de l’hydrogène, du fioul lourd… Pour l’instant, on sait que les turbines à gaz savent brûler de l’hydrogène, mais d’un point de vue économique, il n’y a aucun intérêt de brûler 100% d’hydrogène, sauf si tu es sur un complexe industriel qui ferait que par le processus tu aurais plein d’hydrogène. Sinon, ce n’est pas rentable. Avec l’évolution de la taxe carbone, quand on passera un certain seuil, il sera plus rentable de brûler de l’hydrogène que du gaz naturel.
La technologie de l’hydrogène avec les turbines à gaz ne concerne-t-elle donc que l’idée de brûler de l’hydrogène ? L’avantage de l’hydrogène, dans l’univers des énergies renouvelables, c’est sa capacité à stocker l’électricité…
L’intérêt de brûler de l’hydrogène dans une turbine à gaz c’est que l’on fabrique de l’électricité sans émettre de carbone. Le gros intérêt de l’hydrogène à long terme, ce sont les centrales mixtes : renouvelable ; stockage ; et turbine à gaz pour équilibrer le réseau.
Un projet s’attarde aussi sur la stabilité des réseaux.
Nous disposons aujourd’hui de beaucoup de données, au niveau européen, mais aussi en Angleterre avec le National Grid (c’est le gestionnaire du réseau électrique anglais, NDLR). Comme c’est une île, il n’y a pas d’interdépendances avec d’autres réseaux. Nous voyons encore plus facilement l’impact du renouvelable. On se rend compte qu’à chaque fois qu’il y a des perturbations sur le réseau, des pertes de fréquence, on n’arrive pas à gérer avec le renouvelable. On est obligé d’éteindre le renouvelable et de rallumer la turbines à gaz pour stabiliser le réseau. Stabiliser le réseau est une chose extrêmement complexe ; cela s’appelle l’opérabilité et c’est une compétence essentielle qui restent à Belfort. Nous avons à Belfort une petite équipe d’experts en opérabilité. C’est eux qui font toutes les études d’opérabilité pour tout General Electric dans le monde. C’est la science de comment s’adapter au réseau et comment le stabiliser. Avec la montée en puissance du renouvelable, cette compétence devient de plus en plus importante.
Quel est l’intérêt de cette activité pour la turbine à gaz ?
Pendant longtemps, les gens ont acheté des turbines à gaz pour produire de l’énergie ; demain, les gens vont acheter des turbines à gaz pour stabiliser leur réseau. Là où nous avons un atout à Belfort, c’est que nous avons blindé de capteurs notre turbine à gaz à Bouchain (Nord) ; maintenant, avec toutes les heures de fonctionnement, nous savons ce qu’elle est capable de faire. Nous nous rendons compte que notre turbine à gaz 9HA est beaucoup plus flexible que ce que nous pensions. Cela devient un argument concurrentiel important. L’avenir de l’énergie, c’est le renouvelable, c’est le stockage et c’est la stabilité des réseaux. Il faudrait que Belfort soit officiellement défini comme le centre mondial de l’hydrogène et de l’opérabilité. L’idée est de muscler cette équipe et de travailler sur ces domaines d’avenir.
La direction entend-t-elle ces éléments aujourd’hui ? Et a-t-elle les moyens de les faire entendre à Scott Strazik, le dirigeant mondial du business gaz de General Electric ?
Toute la question est là. Nous avons 50 personnes qui travaillent sur ces dix axes. Nous savons combien ça coûte, combien il faut mettre d’argent sur la table, combien de ressources, le temps que ça va prendre et où en est la concurrence. Nous avons un business plan détaillé. Maintenant, il faut convaincre les Américains d’investir et de développer le site. Nous sommes toujours dans l’ambivalence de ce que General Electric veut faire de Belfort.
La CGT émet de sérieux doutes, notamment à l’horizon 2024. Vous y croyez ?
On n’a pas le choix.
Dans quelle mesure le comité paritaire de ce mardi 30 juin est important ?
Tout ce que nous avons obtenu jusqu’à présent, c’est en mettant la pression sur le Gouvernement, qui a signé un accord avec General Electric en 2014, et qui a le pouvoir de sanctionner General Electric. Nous, nous avons le pouvoir de sanctionner le Gouvernement s’il ne sanctionne pas General Electric. Nous avons accepté de retirer notre plainte le 21 octobre 2019, à condition qu’il y ait un projet industriel qui repositionne Belfort comme centre mondial 50 Hz. Au-delà du centre mondial 50 Hz, dans l’esprit, c’est que l’on redevienne, sur des secteurs clés, un lieu de responsabilités mondiales, avec de l’autonomie et avec des développements.
Estimez-vous que la direction belfortaine investisse le projet ?
Les managers qui font partie du projet industriel sont mobilisés. Ils y croient et y mettent toute leur énergie. Le chef de projet est extrêmement impliqué. Après, nous n’avons aucune connaissance du niveau d’information des dirigeants américains. S’ils le soutiennent ou pas. Tout est entre les mains de monsieur Mafféïs, qui a des discussions ou pas. Ni Patrick Mafféïs, ni Hugh Bailey (le p-dg de GE France, NDLR) n’ont le pouvoir de décider et de mettre en œuvre ce projet en France. Seule l’équipe dirigeante de Scott Strazik a le pouvoir de mettre de l’argent sur la table pour que ces 10 axes se réalisent.
Qu’attendez-vous de la réunion du comité de suivi de ce mardi 30 juin ?
On espère avoir les engagements de General Electric. Cette 4e réunion du comité paritaire est censée, après avoir présenté les 10 axes au Gouvernement, que l’on ait le go ou non go de General Electric sur les dix axes. Il nous faut des engagements.
Dans les dix axes, nous n’avons pas évoqué l’aviation. C’était l’une des pistes pour maintenir des savoir-faire à Belfort. Avec la crise de l’aéronautique, les 200 emplois promis à la fin de l’année seront compliqués à concrétiser ; c’était pourtant le projet défendu médiatiquement par le Gouvernement. Où en sommes-nous ?
Le projet industriel tel qu’on l’entend, c’est d’avoir travaillé sur le périmètre actuel de Belfort. Ce sont 10 axes, dans la turbine à gaz. En parallèle, on a milité pour que l’on ait des activités de diversification. Depuis plus de deux ans, il y a plusieurs projets qui sont en cours ; le plus emblématique est le projet aviation, pour lequel General Electric s’était engagé à créer 200 emplois d’ici 2023. Au regard de la situation – General Electric licencie 25 % des effectifs mondial dans l’aviation – le projet est plus que compromis. Il n’y aura jamais 200 emplois créés d’ici 2023. L’idée est bonne, mais à condition que l’aviation reprennent.
Ce projet aviation était lié, dans l’accord du 21 octobre 2019, au transfert de la ligne de composants de combustion et de stator en Hongrie.
À la fin du PSE, 70 personnes devaient travailler dans l’aviation, début 2021. Maintenant que le projet est en stand-by ou annulé, on a 70 personnes qui n’auront pas de travail en 2021. Or, dans l’accord du 21 octobre, il est prévu que le transfert en Hongrie se fasse progressivement à la reconversion des salariés. Ce qui veut dire, que, comme le projet est annulé, le transfert est suspendu. Dans la ligne composants stator, on avait à peu près la moitié des gens qui devaient quitter l’entreprise et l’autre moitié qui devait être reconvertie dans l’aviation. On a bien la moitié qui est déjà partie de l’entreprise. Les 70 personnes qui restent, General Electric doit leur trouver un travail en 2021. Soit il conserve la ligne stator, soit il développe d’autres activités, peut-être des axes du projet industriel pour reconvertir ces personnes.
La maintenance pourrait-elle être une solution ?
L’objectif, c’est que ces 70 personnes ne soient pas licenciées. Ce qui paraîtrait le plus logique serait de conserver l’activité stator ; maintenant, si le transfert en Hongrie se réalise mais qu’en parallèle on crée un centre de réparation, que l’on crée de nouvelles lignes de production d’aubes turbines ou qu’on fait un centre de formation, on n’est pas contre. C’est juste que l’on ne peut pas perdre tout le temps. Ce serait contraire aux accords qu’il n’y ait pas d’aviation et que la ligne soit délocalisée en totalité en Hongrie.
Un accord c’est un compromis. Vous avez donné le PSE, donc vous attendez les retours…
On a gelé nos acquis sociaux pendant trois ans et 455 personnes sont déjà parties. La contrepartie c’est la GPEC qui ne débute que maintenant et le projet industriel, sur lequel on a travaillé pendant 6 mois. Nous attendons les engagements de General Electric, c’est la contrepartie effectivement. La réunion du 30 juin est cruciale.
Êtes-vous prêt à repartir sur un conflit si cela ne bouge pas ?
Oui. Tout à fait. Il est clair que s’il n’y a pas d’engagements, l’accord n’est pas respecté. On n’hésitera pas à aller devant le juge, soit contre le Gouvernement, soit contre General Electric, pour faire respecter les accords que nous avons signé.