« Au moins 80 milliards d’euros de manque à gagner ! » C’est le coût de la fraude fiscale, en France, selon Quentin Parrinello, porte-parole d’Oxfam France et responsable plaidoyer justice fiscale et inégalités ; pour comparaison, l’impôt sur le revenu génère 86,8 milliards d’euros de recette à l’État. Ce sont autant de manque à gagner pour les caisses de l’État à déplorer à la suite de fraudes à la TVA, sur les impôts sur les sociétés ou autre. Ce jeudi, l’entité française de General Electric, qui fabrique des turbines à gaz, a été perquisitionné (lire notre article) par le service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), à la demande du parquet national financier (PNF). Celui-ci a été saisi par les syndicats Sud Industrie et CFE-CGE, le 30 mai, pour blanchiment de fraude fiscale, abus de confiance, faux et usage de faux et recel (lire notre article). ; les syndicats avaient déjà dénoncé ces pratiques en novembre 2021 (lire notre article).
À l’origine de cette saisine, des expertises du comité social et économique de l’entreprise, qui s’étonnait de la dégradation des résultats de l’entreprise. Largement bénéficiaire, puis déficitaire. L’expertise estime alors qu’entre 500 millions et 1 milliards d’euros de profit ne sont pas localisés à Belfort, mais sont redirigés vers des États plus avantageux fiscalement, notamment l’État du Delaware, aux États-Unis (lire notre article).
Avec cette perquisition au retentissement médiatique, « la lutte contre l’évasion fiscale a pris une dimension politique plus forte », observe Quentin Parrinello. « C’est un bon signal, ajoute-t-il. Cela montre la volonté de l’autorité judiciaire de regarder. »
Au détriment des services publics
La frontière entre fraude fiscale et optimisation fiscale est floue. Poreuse. On utilise parfois des dispositifs, non créés à cet effet, pour dissimuler des profites et « éviter l’impôt Cette zone grise, entre légalité et illégalité, est l’évasion fiscale. « On utilise les failles du droit », explique le porte-parole. À ce titre, « le cas de General Electric est emblématique », convient Quentin Parrinello. « Les profits ne sont pas ici alors que l’activité est ici », rappelle-t-il, citant le design, la fabrication mais aussi le service après-vente des turbines à gaz.
Aujourd’hui, le droit français permet cependant de signer des convention judiciaire d’intérêt public. À l’instar de McDonnal’d (lire ici), qui doit payer une amende de 1,1 milliard de dollars. Par contre, si la firme paie bien l’amende, négociée face à des accusations de fraudes fiscales, on ne reconnait pas sa culpabilité. « Philosophiquement, ça pose problème, estime le porte-parole. On n’est pas reconnu coupable pour des fautes comises. » Selon lui, l’amende est sûrement plus faible que les montants évacués par l’intermédiaire de ces dispositifs. Surtout, la démarche éteint toutes démarches judiciaires. « On ne peut plus faire d’autres investigations. », regrette-t-il. Donc si les pratiques de l’entreprise sont encore plus répréhensible, on ne peut pas le savoir. Paradoxalement, en pensant régler le problème, « on donne des clés », dixit Quentin Parrinello. « C’est un enjeux démocratique et politique extrêmement fort », souligne-t-il. Et cela donne le sentiment d’avoir « deux poids deux mesures entre les contribuables », dénonce-t-il. « Nous, nous ne négocions pas la peine avant d’entrer dans un tribunal », compare Quention Parrinello. Ces convention judiciaire d’intérêt public ne sont que « des approches comptables », regrette-t-il.
Selon lui, il faut faire évoluer les règles, pour qu’elles soient plus claires. Et surtout renforcer l’idée de payer l’impôt là où se situe l’économie réelle. « Ce serait un véritable changement », estime le responsable du plaidoyer. Ensuite, il invite à donner des moyens pour mener des enquêtes. Il encourage enfin à avoir un jugement plutôt qu’une négociation préalable. Mais « cela nécessite des moyens », convient-il. Pourtant, les moyens de l’administration fiscale réduisent fortement. Selon une enquête de l’hebdomadaire Marianne, 3 100 postes ont été supprimés dans les services fiscaux depuis 2010. Et si on les justifie par le recours aux outils numériques, les spécialistes précisent que ces outils sont pertinent pour les fraudes simples. Pour les montages juridiques complexes, on ne remplacera jamais les moyens humains.
Ces fraudes, « ce sont des manques de moyens pour les hôpitaux, les services publics, les administrations car, indirectement, cela diminue la fiscalité locale », conclut Quentin Parrinello.
« Le Grand Belfort doit se constituer partie civile »
Bastien Faudot, Samia Jaber et Jacqueline Guiot, élus de gauche à la Ville de Belfort ont réagit à cette perquisition, par communiqué de presse. Ils estiment que le Grand Belfort doit se constituer partie civile sur ce dossier. Sans revenir sur leur analyse de la perquisition, ils demandent à la collectivité de réagir. Et de déclarer : « Il appartient maintenant à l’État et aux collectivités locales pénalisés et spoliés d’agir. » Et d’ajouter : « À l’heure où les budgets des collectivités ne peuvent être bouclés sans matraquage fiscal, que les prix de l’énergie et de l’alimentation s’envolent et nous contraignent à réduire les services, il serait juste et indispensable de demander enfin des comptes. » Au mois de février, les élus communautaires du Grand Belfort avait approuvé une motion portée par le groupe En Commun pour Belfort et Mathilde Regnaud, qui lançait une étude sur la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Entre 2021 et 2022, la CVAE enregistrait un manque à gagner de 718 000 euros (lire notre article).