Il était question, quelques mois plus tôt, de faire un choix entre rénover l’usine d’incinération en fin de vie de Montbéliard, ou de transférer les déchets non recyclables à l’usine du Sertrid, à Bourogne, dans le Territoire de Belfort. C’est la première option qui a été choisie par les conseillers communautaires de Pays de Montbéliard Agglomération (PMA), avec pour principal argument la possibilité de continuer à exploiter le réseau de chaleur qui alimente une partie du quartier de la Petite-Hollande à Montbéliard (lire notre article). Un vote qui s’est déroulé dans une ambiance très tendue.
La décision a fait réagir l’opposition, qui voit dans ce choix une démarche politique : celle de ne jamais travailler avec Belfort. Cette décision, actée le 11 juillet dernier, n’a pas semblé convaincre non plus le préfet du Doubs (qui plaidait pour rejoindre le Sertrid). Qui a donc saisi la chambre régionale des comptes pour faire vérifier la teneur du projet. Et la réponse est édifiante : « La chambre considère que la décision d’attribution à la société Valest (société choisie pour la rénovation de l’usine et son exploitation, NDLR) présente une fragilité juridique certaine. » Le ton est donné. Et le déroulé, édifiant.
Veolia au coeur du projet
PMA est propriétaire de cette usine d’incinération des déchets située à Montbéliard depuis 1988. Elle est liée à la société Alinéa (appartenant au groupe Véolia Propreté) par une délégation de service public jusqu’au 31 décembre 2023. Fin 2018, une série d’études a été lancée pour trouver une solution concernant cette usine en fin de vie. Puis en 2021, une consultation a été lancée auprès des entreprises, une démarche administrative obligatoire qui permet à plusieurs entreprises de déposer un dossier.
Premier hic relevé par la chambre régionale des comptes : l’Agglomération n’a pas été transparente concernant le mode de calcul des estimations sur la valeur du contrat. Elle a seulement porté à la connaissance des candidats l’estimation de valeur du contrat. « En assurant une complète transparence sur ses attentes, l’autorité concédante aurait permis aux opérateurs économiques de répondre de la manière la plus adéquate possible à ses besoins »
Ce qui n’a pas eu l’air de motiver les candidats, car après avoir modifié à trois reprises son dossier de consultation dédié aux entreprises intéressées, PMA n’a reçu qu’un seul dépôt de dossier : celui de la société Valest (filiale, encore, de Veolia). Pourtant, seize retraits de dossier ont été effectué par des entreprises.
Pour expliquer le faible nombre de candidatures, les services de PMA ont mentionné le faible dimensionnement de l’équipement. Avec une capacité prévisionnelle maximale de 30 tonnes par an, l’équipement que la communauté d’agglomération a choisi de rénover fera partie des 20% des usines de valorisation énergétique les plus petites au niveau national. Finalement, la candidature a été déclarée recevable au vu de cette analyse.
Changement de cap pendant les négociations
Une fois l’offre analysée et acceptée lors d’une séance communautaire le 20 juillet 2021, des négociations se sont ouvertes jusqu’au 27 janvier 2022. Des négociations où Valest a proposé des objectifs de performance et des investissements nettement supérieurs à ce qui était initialement prévu.
« PMA a d’abord cherché à rapprocher l’offre formulée à son projet initial de rénovation », explique la chambre régionale des comptes. Mais finalement, elle s’est rangée derrière la proposition de l’entreprise. Elle a alors acté le remplacement du four plutôt que la rénovation. Faisant exploser le budget prévu et modifiant totalement les prestations demandées au départ.
En clair, plutôt qu’une simple rénovation, lors des négociations, PMA a choisi de remplacer complètement le four. Elle a aussi revu à la hausse les performances environnementales et les travaux permettant de récupérer la chaleur pour améliorer la performance énergétique. Elle a aussi revu le fait de remplacer partiellement le pont roulant et le grappin. Finalement, l’Agglo a décidé de remplacer intégralement les deux équipements.
« Une fragilité juridique certaine »
Ce changement total de périmètre interroge la chambre qui émet des réserves sur le choix de PMA d’avoir poursuivi ses négociations avec un unique candidat. Alors qu’elle a constaté un écart très important entre son estimation initiale et l’offre du candidat, « qu’il s’agisse de la valeur du contrat ou du montant des investissements de rénovation de son usine d’incinération.»
De son côté, PMA s’en défend. Cet écart s’est creusé pendant les négociations. Et « la communauté d’agglomération a insisté sur la nécessité de raisonner en euros constants.»
Mais au total, la chambre régionale des comptes dévoile que le montant des travaux de premier équipement figurant dans l’offre « excède des travaux de l’estimation initiale de 90% environ.» Et après négociation : « L’estimation initiale est ramenée à 53% pour l’investissement et 20% pour la valeur du contrat de concession. »
Pour la chambre régionales des comptes, l’importance de ces écarts entre le projet initial et l’offre de l’unique candidat traduit une modification du périmètre de la concession. Et une redéfinition complète du partage du risque entre collectivités et délégataires. Dans ce contexte, la collectivité aurait dû relancer une nouvelle procédure d’attribution de la délégation de service public pour la rénovation et la gestion de l’usine d’incinération des déchets. « La chambre considère qu’en l’absence d’une nouvelle procédure, la décision d’attribution à la société Valest présente une fragilité juridique certaine. » Fragilité juridique qui pourrait conduire à des recours devant le tribunal administratif.
Grosses inquiétudes sur les finances
« Le délégataire supporte un risque réel, s’agissant du financement des investissements à hauteur d’environ 22 millions d’euros, transférés au délégant via un mécanisme de cession de créance », expose la chambre régionale des comptes dans son rapport.
Un risque réel, car la fixation du coût définitif des travaux et des conditions financières du prêt ne sera évaluée qu’en 2025, lors de la constatation de conformité des travaux. La chambre détaille qu’avec le contexte inflationniste, aussi bien concernant le coût des matières que sur les taux d’emprunt, il est impossible de savoir le coût du contrat que la collectivité devra finalement honorer. Même au cours des premières années.
Avec cela, c’est aussi le coût de la tonne qui flambe : il devrait passer de 88 à 143 euros. Ce qui aura, forcément, de lourdes conséquences sur les finances de l’agglomération et à terme, du contribuable.