De Metz à Belfort, les projets d’entrepôts géants se multiplient dans le nord-est de la France, au coeur de l’Europe de l’Ouest, mais leurs opposants brandissent le nom d’Amazon comme un épouvantail et misent sur la récente vague verte pour leur faire obstacle.
Béatrice Joannis, avec Angela Schnaebele – AFP
De Metz à Belfort, les projets d’entrepôts géants se multiplient dans le nord-est de la France, au coeur de l’Europe de l’Ouest, mais leurs opposants brandissent le nom d’Amazon comme un épouvantail et misent sur la récente vague verte pour leur faire obstacle.
Quelque 185 000 m2 sur une ancienne base aérienne près de Metz, 76 000 m2 sur une autre près de Belfort, 150 000 m2 à Dambach-la-Ville (Bas-Rhin), 190 000 m2 à Ensisheim (Haut-Rhin) : si les projets de platesformes logistiques fleurissent dans toute la France, ceux du quart nord-est donnent particulièrement le vertige.
Gigantisme, recours à la robotique, promoteurs du projet : pour Alma Dufour, chargée de campagne “surproduction” aux “Amis de la Terre”, un faisceau d’indices indique que derrière ces projets se cache un unique acteur, le géant américain du commerce en ligne Amazon, habitué à avancer masqué, en imposant des “clauses de confidentialité drastiques”. “Amazon ne communique pas tant que les projets ne sont pas aboutis et purgés de tout recours”, comme c’est le cas pour le centre qui sort de terre près de Metz, explique-t-elle. Contactée par l’AFP, la société n’a effectivement pas confirmé les projets de nouveaux entrepôts. France Nature Environnement et les Amis de la Terre ont déposé la semaine dernière un recours contre le permis de construire de la plateforme prévue près de Belfort, dénonçant entre autres “l’artificialisation d’une zone humide de 13 hectares”. À Ensisheim, les opposants promettent également d’attaquer le permis de construire, tandis qu’à Dambach, où une décision de la communauté de communes pourrait intervenir à l’automne, ils viennent de présenter des propositions alternatives face au “chantage à l’emploi” d’Amazon.
"Epine dorsale"
Ballet incessant de camions, incitation à “surconsommer des produits manufacturés sur d’autres continents” au détriment du commerce local, précarité des emplois, évasion fiscale : les critiques à l’encontre de la multinationale de Jeff Bezos sont récurrentes. Dans le nord-est s’y ajoute la crainte de voir Amazon y implanter son “hub” pour l’ouest de l’Europe. “L’Alsace est en train de devenir un couloir à camions du fait du GCO (le Grand Contournement Ouest, autoroute en cours de construction pour désengorger Strasbourg, NDLR). Amazon est intéressé par les autoroutes et la présence de deux aéroports, Bâle-Mulhouse et Strasbourg”, s’inquiète Pascal Lacombe, du collectif le Chaudron des alternatives.
Une implantation dans ces régions frontalières pourrait permettre à Amazon de livrer l’ouest de l’Allemagne et la Suisse, alors qu’outre-Rhin les plateformes logistiques se situent plutôt à l’est et que la Suisse privilégie le ferroutage pour le transport de marchandises. Le Grand Est était jusqu’à présent “un peu négligé” par Amazon, mais “la plaine d’Alsace offre des opportunités pour ce genre de projets”, qui peuvent difficilement s’installer dans le Land allemand voisin du Bade-Wurtemberg, où densité de population et ancrage écologiste plus forts font obstacle à la consommation d’espace, analyse Raymond Woessner, professeur de géographie retraité, spécialiste des transports.
“On entend beaucoup les élus dire que si on refuse ces projets, ils partent à l’étranger, mais le dumping européen, c’est nous et les Belges qui le faisons”, s’insurge Alma Dufour, en référence au “hub” de 200 000 m2 qu’un autre géant de l’e-commerce, le Chinois Alibaba, construit à Liège. Amazon, qui, avec une vingtaine de sites, se dit à l’origine de 30 000 emplois directs et indirects dans l’Hexagone, reconnaît s’y être développée “sur une épine dorsale qui va du Nord au Sud” et laisse des vides à l’Est et à l’Ouest.
Moratoire
L’entreprise insiste sur ses efforts pour réduire son empreinte au sol, grâce à l’installation de certains sites sur des friches et au recours à des mezzanines, ainsi que sur son engagement à atteindre “zéro émissions carbone” en 2040. “Lorsque vous comparez l’empreinte carbone de l’e-commerce avec celle du commerce traditionnel, vous vous rendez compte que la logistique de l’e-commerce est plus vertueuse”, assure une porte-parole.
À Belfort (retrouvez ici les éléments de l’enquête publique), dans un bassin d’emploi éprouvé par un plan social à General Electric, les centaines d’emplois que laisse espérer le projet ne sont pas négligeables, estime le député européen Modem Christophe Grudler, originaire de la ville. L’ancienne base militaire de l’Otan “n’est pas une zone naturelle ultra-sensible, c’est une zone industrielle déjà prête pour accueillir des entreprises, mais ça fait 20 ans qu’on n’y arrive pas”, ajoute-t-il. “On implante aussi 90000 panneaux solaires sur l’Aéroparc: ce sont des projets équilibrés”, souligne le maire (LR) de Belfort Damien Meslot, qui dit avoir “des propositions à faire pour compenser l’atteinte aux zones humides”. Pourtant, la vague verte qui a emporté des grandes villes françaises, dont Strasbourg, aux municipales, et l’arrivée au ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, favorable à un moratoire sur les entrepôts de commerce en ligne, donnent de l’espoir aux opposants. “Si on dit moratoire sur les zones commerciales, il faut dire moratoire sur les entrepôts, sinon on va encore accentuer les distorsions de concurrence”, insiste Alma Dufour. Selon la Fédération du e-commerce, ce secteur représentait en 2019 9,8 % du commerce de détail en France.