Lachapelle-sous-Rougemont est investie dans un projet expérimental pour penser autrement les politiques publiques à l’échelle locale. En impliquant mieux les citoyens. Et dans cette bourgade de 600 habitants, la R.D. 83 concentre les mots et les maux. On a organisé, ce dimanche 6 mars, son procès, pour pouvoir écrire l’avenir du village. Un faux procès. Une vraie démarche de démocratie locale.
Lachapelle-sous-Rougemont est investie dans un projet expérimental pour penser autrement les politiques publiques à l’échelle locale. En impliquant mieux les citoyens (lire notre article). Et dans cette bourgade de 600 habitants, la R.D. 83 concentre les mots et les maux. Elle a organisé, ce dimanche 6 mars, son procès, pour pouvoir écrire l’avenir du village. Un faux procès. Une vraie démarche de démocratie locale.
Il est 16 h 15. À Lachapelle-sous-Rougemont, la cour se retire. Quelques secondes. Elle reprend place sur son siège qui domine le tribunal, installé pour l’occasion dans la salle des associations, installée le long de la R.D. 83, l’accusée. La soixantaine de personne présente dans l’enceinte se rassoit. L’instant est solennel. Le président de ce vrai-faux procès, Nicolas Tinet, va lire le verdict, après avoir écouté accusation et défense, témoignages des habitants et compléments des experts. « L’histoire retiendra que le 6 mars 2022, à Lachapelle-sous-Rougemont, s’est déroulé un faux procès, mais un vrai exercice de démocratie locale », a relevé le président, pour mieux souligner l’importance de cette démarche politique et participative.
Pendant deux heures, les différents arguments ont été présentés au tribunal. On a démêlé les faits des sentiments. Mieux, ce procès a permis de s’écouter. « Pour de nombreux habitants cette route est une souffrance qu’il est important d’entendre. Le tribunal l’a entendu. Pour d’autres, elle est une chance, et il faut aussi savoir entendre ce point de vue », a rappelé le président à l’auditoire. La route était accusée de polluer l’air du village, de produire des nuisances sonores et de donner un sentiment d’insécurité. Elle était aussi accusée de couper en deux le village, de nuire à la cohésion sociale et à la vigueur économique locale. Enfin, elle était accusée d’enlaidir la commune.
10 000 véhicules par jour
Si parfois le jeu de la mise en scène du procès pouvait laisser s’esquisser des sourires, les témoignages, eux, étaient bien authentiques. Sincères. Et justifiaient en eux-mêmes, le format de l’exercice. Cette mère de famille de confier, par exemple, le diagnostic d’un ophtalmologue sur la présence de particules fines dans les yeux de sa fille, alors qu’elle vit à quelques mètres de la route. Un autre partage les « traces noires » sur les légumes de son jardin et cette jeune fille décrit les tremblements des meubles de sa maison plusieurs fois par heure, chaque jour. Inlassablement. « C’est un fléau cette route », entend-t-on souvent dans la bouche des témoins, rapportés par les enquêtrices Fanny et Nohémie, de la compagnie d’artistes PetitPoisPrincesse ; elles ont accompagné la démarche et recueilli les témoignages. Le mot « enfer » a aussi été rapporté confient les enquêtrices. Il y a de la colère.
Sollicitée, l’agence régionale de santé n’a pas de données spécifiques sur la pollution à Lachapelle-sous-Rougemont, seulement confirmé une concentration liée à l’axe routier Rhin-Rhône. Mais pas plus ici qu’entre Belfort et Montbéliard. Elle invite à bien laver et bien éplucher les légumes. Pour réduire la pollution, « invisible », il est indéniable qu’il faut réduire le trafic. Mais est-ce réellement possible ? « Quand bison futé dit que c’est rouge, on le sait à Lachapelle-sous-Rougemont ! » sourit un témoin.
10 000 véhicules traversent Lachapelle-sous-Rougemont chaque jour, dont 9 % de poids lourds. Pour réduire la nuisance sonore, c’est à la vitesse qu’il faut s’attaquer indique l’ARS. Rapidement, on cible l’autoroute, dont une partie du trafic se déporte sur la R.D. 83 pour éviter de payer le péage. À ce sujet, Dadier Vallverdu, vice-président du conseil départemental en charge notamment des routes, a été invité à témoigner. Il rappelle que le Haut-Rhin a payé sa partie financière, lors de la création de l’autoroute en 1986, pour ne pas avoir de péage, ainsi que Peugeot, entre Belfort et Montbéliard. Dans le Territoire de Belfort, le conseil général d’alors « n’a pas fait ce choix », d’où la persistance du péage de Fontaine ; aujourd’hui, on évoque le chiffre d’1 milliard d’euros si l’on veut racheter cette concession.
Sentiment d’insécurité
« Plus que le procès de la route, c’est celui du tout automobile », estime « maître » Cyril Blondel, qui défend la R.D. 83, mise en cause. Les témoignages évoquent plutôt, selon lui, « un non-respect des réglementations, des incivilités », relève-t-il. Il estime que l’on constate surtout un manque de politiques publiques plus qu’une responsabilité de « sa » cliente ». Sur les politiques publiques, le syndicat mixte des transports en commun a été sollicité et a répondu. Sur l’absence de plus de transports, par exemple, il note que l’usage de la voiture et très « ancrée », qu’il y aurait un manque de rentabilité.
Le tribunal a ensuite questionné le sentiment d’insécurité, invitant notamment à la barre une jeune collégienne qui longe la R.D. 83 pour aller prendre le bus. « J’ai très peur », confie-t-elle. « [Nos parents] nous ont appris à avoir peur », ajoute-t-elle, décrivant ses coups d’œil dans le dos et sa manière de se coller aux murs pour réduire les risques. L’avocat de la défense de relever qu’un sentiment, ce n’est pas très objectif et pas facile à juger. Selon des chiffres de la gendarmerie nationale, il y a eu sur la R.D. 83 six accidents constatés depuis le 1er janvier 2017, c’est-à-dire entrainant au moins un blessé. Il y en a eu un à Lachapelle-sous-Rougemont, deux à Menoncourt, un à Larivière, deux à Felon ; un accident mortel est à déplorer, à Menoncourt. Six en cinq ans. Les gendarmes ont par ailleurs constaté, entre le 23 février et le 4 mars 2022, 37 infractions, en étant présent tous les jours de la semaine, sur des créneaux d’une à deux heures. Sur ces 37 infractions, 27 étaient des poids lourds en infraction par rapport à l’arrêté municipal interdisant le transit des poids lourds de plus de 3,5 tonnes. Au cours du procès, on a confirmé l’installation de nouveaux équipements radars, prochainement, dans la commune.
Artère économique
Mais la route, c’est aussi l’économie, notamment les camions de livraisons de matières premières et d’expédition du groupe M-Plus, 200 salariés, dans la zone d’activités de la Brasserie ; François Cortinovis, p-dg du groupe M-Plus a témoigné à la barre de l’importance de cette route dans son activité, installée à Lachapelle-sous-Rougemont depuis 1987. « La route, c’est l’économie et l’économie, c’est la route », a conclu l’avocat de la R.D. 83 ; certains commerçants relèvent toutefois qu’il faudrait que l’on arrive à arrêter les véhicules dans la commune pour que les automobilistes consomment dans le village.
La R.D 83, c’est aussi un itinéraire de 3e catégorie, qui accueille les convois exceptionnels, notamment les turbines qui sortent des usines de General Electric à Belfort, pesant plusieurs centaines de tonnes. Ce sont des fleurons et les habitants ressentent de la fierté en les voyant passé. La R.D. 83 est « une route exceptionnelle » entend-t-on. Avec cette contrainte, une largeur minimale de 9 mètres est requise et aucune sur-élévation de la chaussée n’est possible, limitant ainsi les aménagements dédiées à casser la vitesse.
Procès-verbaux
Il est 15 h 45. Pour la première fois, l’accusée va pouvoir s’exprimer. On entend le vrombissement de la route dans les enceintes installées dans la salle des associations. On distingue le flux incessant des véhicules. On sent sa présence. Son poids. Malgré elle, elle rappelle toutes ses nuisances.
Avant que la cour ne se retire, un dernier témoin est appelé à la barre. Il invite à « dépasser les problèmes ». « À vivre avec. » Sa philosophie consiste à trouver des solutions. Et de reconnaître, qu’il est peut-être aussi « victime » de la route, mais aussi « coupable » du flux sur la route. « Ce procès peut nous fédérer », lance-t-il à l’auditoire.
C’est l’heure du verdict. « La route n’est déclarée coupable de rien, annonce le président. Il est reconnu qu’elle est là et qu’on doit vivre avec, avec ses défauts, nombreux, mais aussi ses qualités et ce qu’elle peut apporter au village de Lachapelle », relève le président du tribunal. Il demande quand même à la route de « se faire plus discrète ».
Des propositions de justice restauratives sont suggérées. Le procès a évoqué un système de covoiturage local et solidaire, un verdissement de la R.D. 83, la création d’un réseau de chemins de traverse pour circuler dans le village ou un aménagement des berges de la Saint-Nicolas. Lachapelle-sous-Rougemont sera encore accompagnée quelques mois par le collectif qui a organisé le procès, pour définir les priorités, lancer les démarches ou études de futurs projets. « Il y a plein de chose à imaginer », avait lancé le dernier témoin. Et les idées ne manquent pas.
Des procès-verbaux seront adressés aux Administrations, aux institutions politiques et aux acteurs concernés par ce tronçon, comme le concessionnaire de l’autoroute A 36, APRR. Pour que l’on sache qu’il y a eu un faux procès. Mais eu aussi une vraie volonté collective de se saisir de l’avenir de Lachapelle-sous-Rougemont… qui passe par la R.D. 83.