A l’occasion des dix ans des constructions de Renzo Piano sur le site de Notre-Dame du Haut, Le Trois est parti visiter l’édifice dans son ensemble. A la croisée de trois artistes qui ont marqué l’histoire de l’art : Le Corbusier, Jean Prouvé et Renzo Piano.
A l’occasion des dix ans des constructions de Renzo Piano sur le site de Notre-Dame du Haut, Le Trois est parti visiter ce site d’exception avec une guide conférencière, Naïs Nour. une virée à la croisée des chemins de trois artistes qui ont marqué l’histoire de l’art et l’architecture : Le Corbusier, Jean Prouvé et Renzo Piano.
Depuis le bas du village de Ronchamp, on aperçoit déjà un bout de l’édifice de Le Corbusier. Une imposante bâtisse blanche, vétuste, pointue, à la toiture semblable à une coque de bateau. Qu’est-ce que c’est ? C’est le premier monument que Naïs, guide conférencière, se propose de nous faire visiter. Ce bâtiment, si particulier, est la chapelle de Notre-Dame du Haut, une chapelle de pèlerinage qui a une importance cultuelle majeure depuis le Moyen-Age.
La chapelle a été construite par Le Corbusier. Étonnant, quand on connaît ses influences. Ancré dans l’art moderne, difficile de croire qu’il ait pu s’intéresser à une chapelle liée au sacré. C’est bien le cas. Avant cette chapelle, il y en avait une autre, bombardée et entièrement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Quand l’appel d’offre est lancé pour la reconstruire, la proposition du nom Le Corbusier fait débat. Les propriétaires savent que son goût pour l’art moderne ne fera pas bon ménage avec la reconstruction d’une chapelle. Et de toute façon, il ne voulait pas travailler « pour une institution morte ». Les propriétaires finiront quand même par l’inviter pour lui faire visiter la colline. Il en tombe amoureux. Il est conquis par la vue dégagée à 360°. C’est vrai qu’elle est belle, cette vue. Au sommet de la colline Notre-Dame du Haut, les quatre points cardinaux sont dégagés, offrant un panorama imprenable sur la Haute-Saône et les Vosges naissantes.
Oeuvre d'art totale
Petit cours d’histoire de l’art, à présent, pour se mettre en jambes. Naïs, à propos de la chapelle, parle d’une « œuvre d’art totale ». Qu’est-ce que c’est ? Une œuvre d’art totale, c’est une œuvre pensée par l’artiste comme un ensemble où, du sol au plafond, du choix des couleurs au mobilier, tout est pensé pour que la forme réponde à la fonction. À Ronchamp, c’est bien le cas. C’était la manière de travailler de Le Corbusier. Et on retrouve sa patte. Comme s’il n’était jamais vraiment parti.
C’est en 1951 qu’il se lance dans les travaux de la chapelle. Mais aussi dans la construction d’une maison pour les ouvriers (qui deviendra la future maison du Chapelin) et un monument aux morts. Il pense le site comme un tout. Un lieu de vie, de culte, de mort. De l’extérieur, la façade interpelle par sa nudité, sa froideur. Les murs en béton sont imposants, dénués d’artifices Le toit quetionne par sa monumentalité d’une part, par sa forme surtout, semblable à une coque de bateau. Les ouvertures sont minuscules.
Naïs explique : « Le Corbusier a eu carte blanche pour son travail. Il a aussi su allier tradition et modernité. Il a par exemple orienté la chapelle à l’Est, pour respecter les traditions. » Elle poursuit : « Il a su se montrer ingénieux et mettre la tradition de l’art moderne au service de l’édifice. Puisque l’édifice était sur une colline dégagée, il a construit la façade sud de telle sorte qu’elle soit courbe, avec de petites ouvertures qui permettent à chaque moment de la journée d’avoir une lumière différente, toujours renouvelée et changeante à la fois. »
À l’intérieur, encore une fois, on s’étonne. Si Le Corbusier est réputé pour son modernisme, il a aussi su respecter les traditions chrétiennes. Les petites ouvertures, que l’on voit de dehors, ont été pensées dans le respect du culte. La lumière est douce, calfeutrée, intime. L’endroit reste un cocon de prièreS, un endroit où la lumière vive n’a pas sa place. Quelques rangées de bancs du côté droit, et de grands espaces pour les chapelles. Il y en a trois. Avec des puits de lumière qui diffusent une faisceau doux Peut-être une évocation de la lumière divine, selon Naël.
On ressort, on passe devant la porte arrière du bâtiment. Seconde surprise. Une fresque d’art moderne conçue par l’artiste. Il n’était pas seulement architecte. Il était aussi peintre. Il faut laisser aller son imagination pour comprendre la signification. Naïs décrypte l’œuvre avec nous : « Plusieurs symboles de la fresque rappellent la scène de l’Annonciation. Les couleurs bleu et rouge d’abord, rappellent la robe rouge de Marie et le drapé bleu de l’ange Gabriel dans l’œuvre de Léonard de Vinci. L’étoile est aussi un symbole de cette annonciation. Toutes les interprétations sont possibles. Religieuses et pieuses. L’artiste l’a voulu ainsi »
Héritage
Sur cette colline de Notre-Dame du Haut, deux autres artistes pionniers de l’art contemporain ont posé leur brique. Il s’agit d’abord de Jean Prouvé, fidèle ami de Le Corbusier. Il était connu pour son mobilier design et a été appelé pour concevoir des cloches pour la chapelle après la mort de l’architecte ; Le Corbusier n’avait pas voulu en construire. Pour lui, impossible de faire de l’ombre ou de modifier l’œuvre de son ami. « Il voulait respecter les œuvres du Corbusier avant tout », explique Naïs. Il a préféré faire installer le campanile plus loin, à quelques mètres de l’édifice, en retrait. « Il a fait simple, en s’éloignant au maximum de la chapelle pour ne rien gâcher de l’œuvre de son ami. Il éprouvait pour lui un profond respect. Plus encore, sur l’une des cloches, la plus petite, il rend hommage à son ami en dessinant l’un des motifs favoris du Corbusier », poursuit la guide.
Idem pour Renzo Piano. Il y a dix ans, l’artiste de renom a accepté de concevoir la Porterie et le monastère dédié aux sœurs à condition que l’on ne les voit pas depuis la chapelle. Pour ne rien gâcher de ce que Le Corbusier aimait. La vue dégagée. « C’était l’un des défis. Intégrer les bâtisses à la colline, les rendre imperceptibles pour ne pas obstruer la vue », décrypte Naïs. C’est ainsi que les deux édifices ont été conçus contrebas du sommet de la colline.
Pour un visiteur, c’est impressionnant. De tout en haut, impossible de distinguer la Porterie, lieu d’accueil des visiteurs, ou le monastère. Une fois redescendu à l’accueil, impossible de distinguer le monastère. Pourtant, il n’a fallu marcher que deux minutes et descendre quelques marches pour passer du monastère à la Porterie. En fait, le secret, c’est que le monastère est camouflé par un demi étage. Ce qui permet aux sœurs de vivre dans l’intimité des visiteurs.
Encore une fois, c’est la notion d’œuvre d’art totale qui revient ; tout est pensé pour que la forme réponde à la fonction. Un écho à Le Corbusier, sûrement. « En vérité, Le Corbusier vit encore à travers les œuvres de ceux qui sont passés après lui. Toutes les bâtisses de la colline sont un écho au travail qu’il a réalisé après la guerre », conclut Naïs. La colline Notre-Dame du Haut est un héritage. L’héritage de Le Corbusier, l’ingéniosité de Renzo Piano et la sonorité des cloches de Jean Prouvé, que nous entendons tinter en reprenant le chemin. Un chemin à la croisée de l’architecture, de l’art, de l’histoire et de la foi.