Dominique Thiriet est secrétaire général du syndicat site de la CGT, à General Electric, qui rayonne sur les entités Manufacturing, TSB ou encore Power & automation. À la suite de ce nouveau plan social qui va saigner deux entités du géant américain en France, Hydro et Grid, il livre un regard sans concession sur ce démantèlement progressif, particulièrement à Belfort.
Dominique Thiriet est secrétaire général du syndicat site de la CGT, à General Electric, qui rayonne sur les entités Manufacturing, TSB ou encore Power & automation. À la suite de ce nouveau plan social qui va saigner deux entités du géant américain en France, Hydro et Grid, il livre un regard sans concession sur ce démantèlement progressif, particulièrement à Belfort.
On attend un nouveau plan social dans deux entités de General Electric, Grid et Hydro. 764 nouvelles suppressions de poste, dont 89 à Belfort. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela nous inspire toujours les mêmes réactions depuis le rachat par General Electric. Il n’y a aucune stratégie industrielle dans cette histoire. Nous ne sommes pas du tout avec un patron qui tient à conserver ou à développer un outil industriel. Nous avons un patron qui regarde les résultats au trimestre. Et quand ce n’est pas assez bon, il s’en débarrasse. C’est une catastrophe. [Ces plans], ce sont des dégâts humains, des dégâts industriels, des dégâts pour le pays. Nous sommes en charge de toute la maintenance des centrales électriques du pays. Nous sommes face à une catastrophe industrielle.
Depuis quelques mois, il y a beaucoup de discussions autour de la transition énergétique. Le message envoyé par des suppressions d’emplois chez Hydro et chez Grid n’est pas très bon dans ce contexte…
C’est un très mauvais message ! Je me rappelle quand il y a eu le plan social chez Hydro Grenoble (2017-2018). Bruno Le Maire était venu à Belfort, pour rencontrer tous les gens de La Traction (une usine d’Alstom qui devait fermer, NDLR). Tous les syndicats de l’énergie avaient demandé à le rencontrer. On avait fait un tour de table et on lui avait parlé de ces suppressions de postes chez Hydro à Grenoble. Bruno Le Maire ne s’était pas démonté. Il a dit qu’il n’y avait plus de marchés en France pour l’Hydro. Je ne vois pas pourquoi deux ans après il reviendrait sur ses déclarations. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, considère qu’il n’y a pas de marché en France pour l’hydro. Et donc que l’on peut fermer l’activité.
L’an dernier, le conflit social dans l’entité turbines à gaz a montré que même si on enlève les outils aux syndicats, on peut construire un rapport de force. La pression politique peut-elle servir aujourd’hui ?
Je l’espère fortement… Nous avons bien vu que toutes ces lois – les lois El Khomri, Macron – ont désarmé grandement les syndicats. Nous ne sommes plus non plus à une époque avec d’importantes masses ouvrières, qui étaient syndiquées. Nous avons nos rapports de force à l’intérieur des entreprises, mais il faut que l’on s’ouvre vers l’extérieur. En l’occurrence, là, nous sommes vraiment sur un sujet qui touche les citoyens : la politique énergétique d’un pays, ce sont les citoyens qui doivent en décider. Après, une usine comme celle de Belfort doit appliquer cette politique énergétique. Nous ne pouvons pas laisser un patron – qu’il soit Américain, Suisse ou même Français – décider de casser un outil industriel comme ça. Ce n’est pas possible ! L’outil a été construit sur la commande publique. Il a été construit par tout le développement des filières nucléaires, hydro, transports… Il ne faut pas l’oublier. Avant, c’était un tout, cohérent pour l’aménagement du territoire. Les politiques ont leurs responsabilités, leurs rôles à jouer et nous allons les interpeller.
Que peut-on encore espérer de General Electric, alors que les projets industriels que l’on attendait en échange du plan social dans l’entité turbines à gaz, ont du plombs dans l’aile et que l’on ajoute une couche avec ces plans annoncés à Hydro et Grid ?
Honnêtement, nous ne pouvons pas espérer grand-chose. Je ne pense pas que ce patron soit en capacité de faire ce pourquoi il est là. L’industrie, ce n’est pas leur job. Leur job, ce sont des tableurs Excel et des résultats en fin de trimestre.
Le fait qu’il n’y ait aucune autorité à Belfort, est-ce une faiblesse ?
Oui, c’est clair. Mais quand il y a véritablement un opérationnel qui essaie de défendre son business, quand il sait qu’il y a véritablement des investissements humains et matériels à faire, il ne reste pas longtemps malheureusement.
Par votre rôle de secrétaire général de la CGT site, vous avez une vision globale sur plusieurs entités de General Electric à Belfort. Selon vous, quel est l’enjeu aujourd’hui ?
Il faut reprendre la maîtrise de cet outil industriel, d’une façon ou d’une autre. On peut parler de nationalisation, on peut parler, comme monsieur Pierucci, d’un tour de table avec des investisseurs… Mais, il faut dégager General Electric.
Peut-on se projeter sur une construction locale de l’avenir industriel de Belfort ? On parle beaucoup de l’hydrogène actuellement…
Nous sommes un outil. La politique énergétique n’est pas fixée par l’outil. L’outil, il s’adapte. Si on nous demande de travailler dans le secteur de l’hydrogène, nous pouvons y participer ; je crois que les turbines à gaz sont prêtes à le faire. Mais ce n’est pas le truc magique qui va sauver le site. L’hydrogène, c’est un vecteur d’énergie, pas de l’énergie.
Que doit-on faire aujourd’hui ? Trouver un acheteur ?
Nous pouvons toujours le dire… Mais dans notre système, General Electric est propriétaire de ses parts sociales. Il ne vend pas s’il n’a pas envie de les vendre. Les rumeurs continuent à courir. Frédéric Perucci bât la campagne et dit qu’il organise le tour de table. Nous avons la Banque publique d’investissement (BPI). Mais elle ne peut pas investir s’il n’y a pas un investisseur privé qui marche dans le même système. C’est un truc à la con. Mais c’est comme ça… (silence) On vient d’hériter d’un commissariat au plan (rire) ! Je vais être clair : ce Gouvernement, je ne lui fait aucune confiance pour résoudre le problème. J’ai entendu ce qu’a dit Bruno Le Maire à propos de la filière Hydro. Une filière qui travaille à 80 % pour l’export, on ne peut pas dire que le marché est saturé en France donc qu’on peut fermer la boutique. On parle d’énergie renouvelable. L’hydro, c’est un formidable outil pour le stockage. Mais c’est ce qu’on sacrifie ! Qui est la personne qui peut prendre une décision ? On va essayer de la trouver dans les jours et semaines qui viennent.
Avec ce nouveau conflit social, on a le sentiment d’être désarçonné. Comment doit-on prendre celui-ci ?
Il y a une chose qui est claire… Et qui avait commencé avec Alstom. Ce n’est pas propre à GE. On a disloqué le site. Cela a commencé en 1994. Il y a eu les premières externalisations. Au lieu d’avoir un site qui était une enceinte fermée, avec toutes les activités nécessaires à la production, on a complètement explosé et on a fait appel à de la sous-traitance. À partir de ce moment-là, on perd le collectif et la CGT, comme les autres syndicats, perdent forcément leurs bases revendicatives. On est désarçonnés, d’autant plus que les interlocuteurs ne sont même plus en France. Nous n’avons pas d’interlocuteurs en France ! Et je ne vois pas Hugh Bailey intervenir, d’une manière ou d’une autre, dans le système. Nous avons des patrons suisses, des patrons américains. À qui on parle ? C’est aussi ça la difficulté.
Vous disiez tout à l’heure : « Il faut dégager GE ! ». Est-ce de l’espoir ou de la résignation ?
(Rire). C’est dur comme question ! Ce n’est certainement pas de la résignation. Nous n’avons pas trop l’habitude d’être résignés. C’est un message que nous portons. Il faut que collectivement nous reprenions les choses en main. Collectivement, ce n’est pas que la CGT, ce sont aussi d’autres entités.
On a le sentiment que cet aspect collectif a du mal à se déclencher depuis la semaine dernière…
Bien sûr.
C’est ce que nous avions eu l’an dernier dans l’entité turbines à gaz…
Si on regarde ce conflit : Belfort est touché ; Grenoble est touché ; Villeurbanne est touché. Bien sûr, nous sommes en contact les uns avec les autres. Dans une période sanitaire comme on le vit actuellement, faire de grands mouvements, se regrouper avec la distance, c’est tout sauf simple. On fait des coordinations, par Skype, mais cela ne fait pas une mayonnaise.
Votre homologue de la CGT de l’entité turbines à gaz, Cyril Caritey, dit qu’après 2024, date de fin de l’accord signé pour le rachat d’Alstom en 2015, ce serait fini General Electric à Belfort. Pensez-vous qu’on ira jusque-là ?
Pour le coup, je vais le craindre. Que se passe-t-il depuis 2015 ? Ce n’est que du démantèlement. Ce n’est pas totalement aberrant de dire que General Electric a acheté Alstom, le démantèle et s’est débarrassé d’un bon concurrent. C’est un scandale du début à la fin. Pourquoi se sont-ils acharnés, à travers le département de la Justice américaine, à foutre des gens en prison pour forcer Patrick Kron à vendre, et ne rien en faire derrière ? Ils auront fini le job en 2024. Au revoir, on s’est bien amusé, pour reprendre ce que disait Jeff Immelt ((l’ancien PDG de General Electric), en 2014 : « On va bien s’amuser. » Mais personne ne s’amuse dans l’histoire.