Dans la pénombre rougeoyante de la Poudrière, les murs de pierre voutée vibrent. Ce soir-là, les cinq membres d’Alta Rossa règlent leurs balances, encadrant la voix envoûtante de Lauve, invitée à les rejoindre sur deux titres. Quelques jours avant leur concert aux Eurockéennes de Belfort, l’ambiance est à la concentration. Réglages précis, figures concentrées, énergie contenue. Alta Rossa est prêt.
Ce groupe de metal venu de Besançon a beau n’exister officiellement que depuis 2020, son histoire plonge plus loin dans les sillons du temps. Tous sont dans la musique depuis plus de quinze ans, avec un passé dans des groupes de musiques divers. Certains jouaient dans Horskh ou Asidefromaday, d’autres se sont rencontrés au Bastion, pépinière bouillonnante de talents bisontins. « C’est un lieu qui crée des groupes autant qu’il en accueille », sourit l’un d’eux. « On était les suivants. »
L’alchimie s’est faite au fil des années. Il y a eu les groupes précédents, les concerts en France et en Europe, et puis l’envie d’un projet commun. « On voulait une nouvelle aventure, entre amis, entre gens qui se connaissent bien », résume Thomas Dubois, guitariste. Le chanteur Antoine Lauzel opine. Dernier arrivé dans l’équipe, il a été repéré au Moloco, à Montbéliard. Sa voix rageuse et écorché donne aujourd’hui sa couleur à Alta Rossa.
Le Minotaure
Pas de cases, pas d’étiquettes. Ils n’en veulent pas. Même si, sur Internet, on les classe du côté du post-metal ou du sludge, eux préfèrent parler de démarche artistique. « C’est sombre, c’est puissant, mais c’est aussi réfléchi », explique David alias Dess Demesmay, bassiste d’Alta Rossa. Les textes naissent à plusieurs mains, avec un goût marqué pour les thématiques fortes : oppression, tyrannie, dualité humaine.
Le dernier album, sorti en novembre 2024, s’articule autour de la figure du Minotaure, monstre mythologique devenu métaphore de l’ombre intérieure. « C’est un rappel à soi, pour ne pas devenir le connard qu’on critique », glisse Thomas Dubois, guitariste et plus jeune du groupe.
Chaque concert compte. Leur toute première scène a été à Osselle, un village de moins de mille âmes, près de Besançon. Depuis, ils ont enchaîné l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, en petites salles comme dans des plus grosses de l’Est de la France. « On aime autant les squats allemands que les grandes scènes », affirme Antoine. « L’essentiel, c’est de transmettre l’énergie. »
Ce vendredi, à 23h15, c’est sur la scène de la Loggia qu’ils joueront pour la première fois aux Eurockéennes. Une consécration pour ces musiciens qui ont grandi à l’ombre de ce festival mythique. « Il y a une vraie fierté, quand tu viens de Franche-Comté », confie l’un des membres. « Que tu as toujours fait de la zik, que les Eurocks, c’est le gros festival dont tu entends parler depuis que t’es gamin. »
Certains membres du groupe comptent plus de vingt éditions au compteur, comme spectateurs… mais aussi comme techniciens présents sur le festival. « On le connaît jusqu’au moindre centimètre carré », sourient-ils. Cette fois, ils seront de l’autre côté des barrières. Et à une bonne heure : « On joue vraiment le soir où il faut jouer, parce que le vendredi, c’est à peu près le seul jour où il y a un peu de métal, un peu de musique divergente », souligne Dess.
Une grosse vitrine
La date est aussi stratégique : « C’est une grosse vitrine. Il y a le public, bien sûr, mais aussi le côté professionnel. Des gens importants dans le milieu, qui seront là pour nous voir. Et puis essayer de voir s’ils peuvent nous programmer par la suite, nous accompagner. C’est une date qui est top. »
Cette montée en puissance n’est pas le fruit du hasard. Alta Rossa est accompagné par la Rodia, à Besançon, et fait désormais partie du programme Iceberg des Eurockéennes, un dispositif d’accompagnement artistique transfrontalier. L’accompagnement officiel débute en septembre, mais le groupe est déjà propulsé dans le grand bain. Depuis l’annonce en début d’année de leur participation, les cinq musiciens ont intensifié le travail : nouvelles configurations, ajustements du son, répétitions, adaptation du matériel. « On sent qu’il y a un cap qui a été passé cette année. Notre nouvel album, qui date de la fin d’année dernière, est très bien accueilli. »
Cette énergie brute, sincère, est leur fil conducteur. Ils ne cherchent pas à séduire : ils jouent. Ensemble, entre amis, en famille musicale. Sur scène, leurs morceaux lourds, sombres et puissants tissent une atmosphère oppressante, cathartique. « Un voyage où l’espoir et la rage sont les clefs d’un espoir vertueux. »
Leur plus grosse scène
Lauve, jeune artiste de 23 ans, les rejoindra le temps de deux morceaux. Sa voix, habitée, éthérée et puissante, a été repéré par Jordan Daverio, guitariste du groupe. Elle aussi découvrira les Eurocks pour la première fois.
Le groupe le dit sans détour : ce sera leur plus grosse scène à ce jour. Et peu importe la taille du public, tant qu’il y a cette connexion immédiate. « Il y aura un public averti et non averti, et on défend un style qui n’est pas grand public », explique Dess. « Mais parfois, des gens qui n’écoutent pas du tout ce genre viennent nous dire qu’ils ont aimé, qu’ils ont ressenti quelque chose. Ça nous surprend presque… Ça veut dire qu’on a réussi à transmettre l’énergie, la sincérité. C’est ça qu’on vise, à chaque fois. »
Une tournée est prévue cet automne, ainsi qu’une date au Petit Bain à Paris. Mais pour l’heure, les regards sont tournés vers Belfort. Une scène, un peu moins d’une heure de performance, une foule à convaincre. Et six musiciens prêts à tout donner. Car chez Alta Rossa, la noirceur sera à découvrir sous la lumière des projecteurs.
Alta Rossa, scène de la Loggia, 23h15 vendredi 4 juillet.