
Vous créez à la rentrée 2025 une nouvelle formation, dédiée à la souveraineté industrielle. En quoi consiste-t-elle ?
Laure Viellard – Ce module « Souveraineté industrielle : capacité des entreprises à assurer leur autonomie économique, stratégique et commerciale » va s’adresser aux étudiants en cinquième année, niveau master 2, de l’Esta, de l’UTBM ou encore de l’UMLP (université Marie-et-Louis Pasteur, NDLR). Ce sont des étudiants, en fin d’études, qui intégreront bientôt une entreprise. Cela s’adressera aussi aux chefs d’entreprises et aux cadres dirigeants qui sont intéressés par ces sujets de souveraineté industrielle ; le module sera alors proposé en formation continue par notre école.

D’où part ce projet ?
Laure Viellard – C’est d’abord un constat, fait par le pôle métropolitain Nord Franche-Comté : il n’existe pas ou peu de formations autour de l’intelligence économique. Le pôle métropolitain s’est rapproché de l’Esta parce que nous avons une certaine agilité pour monter des programmes rapidement. Nous avons interviewé des chefs d’entreprises, en passant par le Medef (partenaire du dispositif, NDLR), pour leur demander s’ils étaient intéressés par une formation autour de l’intelligence économique. Ils nous ont répondu que l’intelligence économique était un sujet extrêmement large. Nous sommes dans un territoire fortement industrialisé, concentrons-nous donc déjà sur un sujet important pour les industriels : la souveraineté industrielle. Par ailleurs, notre école est particulièrement tournée vers la citoyenneté, la défense (nos articles). Nous avons aussi des étudiants qui vont vers des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), de l’aéronautique ou du spatial. Nous nous sommes dit que si nous pouvions donner, à ces étudiants, cette option supplémentaire, cela leur donnerait des armes pour mieux se vendre encore dans ces entreprises. On en a parlé à l’université (Marie-et-Louis Pasteur, NDLR). Nous nous sommes rapprochés de l’UTBM (université de technologie de Belfort-Montbéliard, NDLR), un partenaire de longue date. Dans un premier temps, l’idée est de lancer ce module à la rentrée pour tous ces publics. Nous ensuite si on le renouvelle, si on le transforme, si on le concentre sur deux jours… C’est une première pierre. Le module reçoit également le soutien de l’institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

Qu’attendent les chefs d’entreprise de cette formation ?
Laure Viellard – Ils cherchent à se rassurer sur la façon dont ils produisent, sur la manière dont ils s’approvisionnent, sur la façon dont ils délivrent leur produit. Il y a des chaînes à protéger absolument : les chaînes d’approvisionnement ; les chaînes logistiques. Nous parlons beaucoup de cybersécurité, de protections des données. Mais il faut aussi protéger ses approvisionnements, ses ressources et ses brevets. Aujourd’hui, il y a un réveil des industriels et des chefs d’entreprise.


Estimez-vous que ces sujets sont suffisamment considérés par le milieu industriel local ? A-t-on suffisamment de compétences et de moyens humains pour le traiter dans son entreprise aujourd’hui ?
Laure Viellard – On n’y a pas fait autant attention ces dernières années. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, on parle énormément de souveraineté dans les discours politiques et dans les discours de nos militaires. Les chefs d’entreprises en prennent conscience. Maintenant, ils ne sont peut-être pas assez outillés, ni assez avertis. Ce module a pour objectif de leur donner des clés de compréhension, des warnings, des astuces ou des modes de fonctionnement à mettre en place dans leur entreprise pour justement garantir leur souveraineté.

Comment va se décliner ce module ?
Laure Viellard – Ce seront une trentaine d’heures de cours, dispensées sur environ 4 mois et proposées uniquement en fin de journée (17h-20h), les jeudis et vendredis. Des conférences seront aussi proposées. Ce sera lancé au mois de septembre, à la préfecture : la première conférence doit être animée par Geoffroy Roux de Bézieux, ancien président du Medef, qui a fait un travail pour le président de la République autour de la souveraineté économique. Il doit venir à Belfort pour présenter son rapport et sonner le lancement du module.


Quels cours seront dispensés ?
Xavier Greffoz – Nous avons axé les cours autour de quatre thématiques. La première, c’est la définition et les principes fondamentaux de la souveraineté. L’idée, c’est de positionner le sujet, autour de la souveraineté industrielle…

… Comment maîtriser son produit et en être maître ?
Xavier Greffoz – Tout à fait. Après, ce sont les défis et les enjeux de la souveraineté. Le troisième point, c’est la transformation et l’adaptation économique. Comment l’entreprise s’adapte à cette nécessité et comment elle s’organise pour déployer une stratégie ? Certains grands groupes sont déjà en ordre de marche, mais la souveraineté industrielle concerne tout le monde, même les TPE et les PME. Le quatrième point, c’est la mise en place opérationnelle de cette stratégie. L’idée, c’est d’apporter des outils et des retours d’expérience d’entreprises déjà entrées dans cette dynamique, pour renforcer leur capacité et surtout de sécuriser leur pérennité.

C’est important ce que vous dites pour les TPE et les PME. Une chaîne n’est jamais aussi solide que le plus faible de ces maillons. Si les grands donneurs d’ordre veulent être souverain industriellement, il faut s’intéresser à toutes la chaîne. Les fournisseurs et les sous-traitants doivent aussi être souverains industriellement.
Xavier Greffoz – Tout à fait. Nous sommes simplement en train d’expliquer un sujet qui [tire] les conséquences d’une dérive de 50 ans. C’est l’histoire de la mondialisation et de la globalisation. Nous avons voulu vendre à tout prix. Nous avons vendu des transferts de compétences et des plans pour nous retrouver [aujourd’hui] en concurrence frontale avec des produits qui ont été créés grâce aux compétences françaises.
Laure Viellard – Cela permet aussi d’éveiller sur la disparition de certains savoir-faire.

Comment cela va-t-il s’organiser ?
Les cours seront dispensés par Ludovic Gilet (lire notre article), consultant en intelligence économique et en souveraineté, diplômé de l’école de guerre économique. Ensuite, nous ferons venir des experts dont certains nous ont déjà confirmé leur venue comme Hervé Darmon, directeur de la souveraineté de Naval group. D’autres ont été approchés, comme Frédéric Pierucci (nos articles), ancien d’Alstom. Nous allons essayer de faire venir trois niveaux d’entreprises (PME, ETI, grand groupe) pour raconter des cas concrets, où les chefs d’entreprise se sont posé ces questions de souveraineté d’approvisionnement et sur la manière dont ils ont résolu le sujet.