Patrick Baer – AFP
“C’est un objet un peu unique parce que c’est une première mondiale. C’est un tournant technologique”, assure Jean-Baptiste Carnet, co-directeur général de SilMach (pour “Silicium Machinery”), à l’occasion du lancement mercredi de la montre baptisée “TheTimeChanger”.
Dans le coeur historique de l’horlogerie française, l’entreprise a installé son site de production de micromoteurs au silicium, dans lequel on entre avec de grandes précautions d’hygiène, pour éviter que des poussières se déposent sur la mécanique de précision.
SilMach, jeune pousse fondée en 2003, a élaboré depuis des technologies de pointe utilisées en médecine, dans la défense, les transports ou les infrastructures, comme des nanodrones ou des capteurs qui permettent de contrôler électroniquement la résistance aux chocs des trains d’atterrissage.
Au coeur de sa technologie : le silicium, un métalloïde présent sur un quart de l’écorce terrestre et qui est aussi le matériau dominant de l’ère du numérique, via les semi-conducteurs. Depuis 2018, Silmach a investi plus de 5 millions d’euros dans un nouveau projet : un moteur de montre au silicium remarquable par sa petite taille par rapport au moteur Lavet, utilisé massivement par l’horlogerie depuis des décennies.
“Notre moteur est plus compact: il permet soit de faire des montres plus petites, ce qui peut avoir de l’intérêt pour certains segments comme les montres pour dames, soit de garder une montre du même diamètre, mais d’y insérer plus de technologie”, explique M. Carnet.
10 ans d'autonomie
La société, qui présente sa montre comme “révolutionnaire”, insiste sur sa précision et sa sobriété : son autonomie peut dépasser 10 ans, assure SilMach. Autre avantage : le silicium est insensible aux champs magnétiques, qui peuvent perturber le fonctionnement des montres habituelles.
Mais pour l’entreprise, l’objectif principal est d’équiper le plus possible de montres en vendant son moteur aux horlogers du monde entier. “Avec une équipe de plusieurs techniciens, quelques opérateurs, on peut vite monter en millions d’unités” produites, assure M. Carnet.
Alors que la plupart des montres vendues actuellement sont vissées à la main dans des pays à bas coûts, SilMach fait valoir que son micromoteur peut être inséré dans une montre de façon automatisée. “L’intérêt de la technologie, c’est de permettre à nos clients horlogers de rapatrier une production, pourquoi pas en France, aux Etats-Unis, ou n’importe où dans le monde”, selon M. Carnet.
Prix et volumes
Mais ce pari va devoir surmonter des obstacles commerciaux et technologiques. Selon Jean-Jacques Weber, président de la Fédération de l’horlogerie française, le silicium “est une très belle technologie”. “Mais il faut quand même en faire une montre qui fonctionne et à un prix acceptable”, avertit-il, jugeant “les possibilités de développement de cette aventure limitées, voire inexistantes”.
Question fonctionnement, M. Carnet reconnaît “un taux de rebut qui est encore élevé”. Côté prix, la montre est vendue 1.850 euros pour une édition limitée, avec seulement 1 088 unités proposées aux premiers clients. Or, dans le créneau du haut-de-gamme, “une montre est Swiss made ou pas, à de très rares exceptions près”, analyse Oliver Müller, expert en horlogerie du cabinet LuxeConsult en Suisse.
Pour réussir dans l’horlogerie, il faut “des prix très bas que vous atteignez uniquement par des économies d’échelle en fabriquant en grands volumes”, souligne-t-il. Pour y parvenir, SilMach s’est associé depuis 2018 au géant américain Timex, présent à Besançon. “Les moteurs traditionnels sont vendus dans la dizaine ou une vingtaine d’euros”, rappelle M. Carnet, qui dit avoir l’objectif d’atteindre cet “impératif de compétitivité”.
Au contraire de la Suisse, qui a su investir le haut-de-gamme, l’horlogerie française a très mal résisté à l’invasion des montres à quartz japonaises dans les années 1970. La Franche-Comté a conservé une industrie horlogère, mais qui sous-traite souvent pour les marques suisses de l’autre côté de la frontière.
L’horlogerie figure au nombre des secteurs soutenus par l’Etat au titre de la réindustrialisation. Jean-Baptiste Carnet veut y croire. “Il y a un vrai engouement, une vraie relance du secteur au niveau français, avec beaucoup de belles marques qui émergent ou des marques historiques qui se relancent”.