« Pas de médecins, pas d’hôpital ! » scande une soixantaine de praticiens hospitaliers, ce mardi midi, dans le hall de l’hôpital Nord Franche-Comté. Ils sont chirurgiens, dermatologues, gastro-entérologues, gynécologues, urgentistes, gériatres. Ils sont praticiens ou internes. Tous crient leur ras-le-bol, à l’appel de plusieurs syndicats. Ils ont déployé à proximité de l’accueil une banderole sur laquelle est inscrit : « Hôpital moribond, sous perfusion. » C’est même à se demander si le cœur de l’hôpital peut encore battre. Les médecins se regroupent et s’assoient au sol pour tracer une croix. Ils sont fatigués. Épuisés. Ils crient leur colère.
« Les hôpitaux vont directement dans le mur », estime Jean-Baptiste Andreoletti, chirurgien-plasticien, par ailleurs président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’hôpital Nord Franche-Comté. Lundi, le syndicat Samu – urgence de France a appelé les services des urgences à mener l’opération « Pas de brancard dans le couloir », afin de « mettre en avant la sursaturation des services d’urgence », témoigne un soignant des urgences, souhaitant conserver l’anonymat. On ne parle même plus de saturation. On a déjà dépassé ce stade. Normalement, le service est dimensionné pour accueillir 40 patients simultanément ; tous les jours, il y a des pics à Trévenans avec des prises en charge de 80 patients simultanément. Avec, parfois, des montées au-delà de 100 prises en charge simultanées. C’est colossal. Sur 24 heures, l’hôpital Nord Franche-Comté enregistre 220 à 250 passages aux urgences, le plus important flux de Bourgogne-Franche-Comté, dépassant même les flux des hôpitaux universitaires de Dijon (Côte-d’Or) et Besançon (Doubs). « Par la force des choses, les gens sont entassés », regrette ce soignant. La promiscuité est forte. « Il y a des difficultés de prise en charge », convient-il.
À cette situation s’ajoute souvent un manque de disponibilité de lits à l’hôpital pour des gens nécessitant une hospitalisation. Les patients attendent donc aux urgences, dans le couloir, qu’une chambre se libère. En début d’année, un patient a pu attendre 60 heures sur un brancard avant de pouvoir intégrer une chambre, après avoir été pris en charge par les urgences. Ce manque de lits, aggravé par des problèmes d’effectifs, crée une situation de goulet d’étranglement à la sortie des urgences. Saturée à l’entrée. Limitée en options pour la sortie.
Selon le président de la commission médicale d’établissement, une centaine de lits sont actuellement fermés à l’hôpital Nord Franche-Comté, en soins médicaux et de réadaptation, en médecine ou encore en chirurgie, par manque d’effectifs. Depuis le début de l’année, les blocs opératoires fonctionnent aussi « au ralenti », confirme-t-il. 9 à 10 blocs sont ouverts, estime-t-il, sur les 17 potentiels. Et 3 semaines de fonctionnement hyper bas des blocs est programmé cet été. Ces problèmes de recrutement ont poussé l’hôpital a plus communiqué, par exemple, sur le dispositif de cumul emploi-retraite (lire notre article).
« On arrive au bout du rouleau »
« Partout, l’hôpital public assure la continuité des soins, 24 heures sur 24 », rappelle le docteur Jean-Baptiste Andreoletti. Aujourd’hui, le cercle est vicieux. « Moins on est nombreux, plus on a de travail et plus on fait de gardes. » La fatigue s’accumule. « Cela agit comme un repoussoir », met-il en garde. « Tout le système de santé se déverse sur les urgences », appuie un soignant. Les hôpitaux ne sont plus attractifs. À cet égard, la fédération santé et action sociale de la CGT réclame « un plan massif de formation et d’embauches de personnel », « de véritables revalorisations de salaire », et « l’arrêt de restructurations et de fermetures de lits et de structures ». « On arrive au bout du rouleau », souffle le chirurgien. Face à ces problèmes, les plans blancs se multiplient. La crise devient une situation normale, comme le dénonçait en janvier le directeur de l’établissement (lire notre article). « Chaque fois, on dit que c’est pire que l’année d’avant », valide Jean-Baptiste Andreoletti.
Après le covid-19, le gouvernement avait bien dégainé le Segur de la santé. « Du mercurochrome sur une jambe de bois », estime Jean-Baptiste Andreoletti. « C’est largement insuffisant. » Au mois de mai, l’entrée en vigueur de la loi Rist devait limiter « la course à l’échalote » entre les établissements pour le paiement des médecins remplaçants. Finalement, c’est « la double peine », observe le chirurgien. Les remplaçants ne viennent plus. Et l’argent n’a pas été fléché vers la revalorisation des salaires. La loi « prend le problème par le mauvais bout », regrette le médecin.
Comment tiennent encore les agents ? Ils sont viscéralement attaché à l’hôpital public confient-ils, unanimement. Les praticiens aiment aussi le contact avec les jeunes médecins, internes, à qui ils transmettent. Malgré tout, « l’été va être très compliqué », alerte le docteur Jean-Baptiste Andreoletti, glissant par ailleurs que la situation risque d’être pire sur la côte, où des services ferment faute de personnel, mais où les estivants débarquent en nombre. « Quand vous êtes en vacances, vous avez intérêt d’être en bonne santé », souffle le chirurgien. L’été sera chaud pour l’hôpital.