« La matière, c’est du vide », sourit Frank Palmino, professeur des universités, physicien, responsable du groupe nanosciences et de la plateforme Surface (à découvrir ici) au laboratoire de recherche Femto-ST, sur le site universitaire de Montbéliard. Ou d’ajouter, quelques minutes plus tard : « Quand on touche, on ne touche pas. » Autant d’éléments qui, à première vue, pour nos références newtoniennes, ne sont pas très intuitifs… Et pourtant. Le chercheur propose une plongée dans l’infiniment petit, un monde à l’échelle de l’atome. Un monde qui se mesure à l’échelle du nanomètre, le milliardième de mètre. Le rapport est le même entre la taille de la Terre et un ballon de foot, qu’entre un ballon de foot et un atome. C’est l’univers quantique. « C’est une incursion dans une autre dimension », reconnaît ce chercheur passionné et passionnant.
Frank Palmino est en train de présenter le nouvel équipement de son laboratoire : un microscope à effet tunnel ultravide à basse température. Un bijou de technologie unique en Bourgogne-Franche-Comté. Un seul autre équipement de ce type existe en France, à l’université d’Aix-Marseille (Bouches-du-Rhône). « C’est un équipement exceptionnel », insiste-t-il lors de la présentation. Il a mis deux ans à le monter. Le microscope a coûté 607 000 euros, un achat soutenu par plusieurs partenaires (Pays de Montbéliard Agglomération, la Région Bourgogne-Franche-Comté, le CNRS, l’université…).

Applications industrielles
Le microscope permet d’approcher une pointe extrêmement fine d’une surface et de faire passer un courant. On mesure le courant en chaque point de la surface, sachant que la distance entre la pointe et la surface est d’un nanomètre. « C’est comme faire voler un avion à 1 000 km/h au-dessus de l’Himalaya à 50 cm du sol », image Frank Palmino. La pointe peut se déplacer à une vitesse de 5 picomètres par heure, sachant que le diamètre d’un atome mesure 300 picomètres, indique le chercheur. Le tout est réalisé dans un environnement « ultravide », « de l’ordre du vide interstellaire », poursuit-il. Et à – 263 °C. L’ultravide est nécessaire, car l’oxygène « polluerait » la surface et influencerait les réactions des atomes avec. En effet, les chercheurs déposent sur les surfaces, notamment du silicium, des molécules et observent comment elles réagissent, s’organisent, bougent, se reconstruisent ou s’assemblent d’elles-mêmes. « On observe la matière à l’échelle atomique », résume Frank Palmino. Tout en préparant les innovations de demain.
De telles expériences de recomposition pourraient par exemple mener à produire autrement l’ammoniac, fabriqué aujourd’hui industriellement avec un procédé particulièrement polluant et nécessitant énormément d’énergie: 1 % de l’énergie totale consommée par les hommes sert à produire l’ammoniac. Leurs recherches peuvent ouvrir d’autres possibilités, car on peut regarder la matière et son comportement à l’échelle de l’infiniment petit. Si le laboratoire mène des recherches fondamentales, il travaille aussi avec les industriels pour les accompagner dans des recherches applicatives (lire ci-dessous) ; la plateforme a des échanges avec Lisi ou encore Framatome par exemple.
Le groupe nanosciences revendique plus de 60 publications dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture. Un témoignage de l’excellence.
Travail sur les revêtements des ustensiles de Cristel
« On ne crée pas de la richesse dans un bocal », observe Emmanuel Brugger, directeur général de Cristel. Et l’usine de fabrication d’ustensiles de cuisine haut de gamme l’a bien compris. « On a besoin du territoire », confie-t-il. « L’innovation est une dimension importante pour rester sur le marché », poursuit Emmanuel Brugger. Mais les PME n’ont pas les ressources pour disposer de ces capacités d’innovation nécessaires. Donc elles s’entourent. Cristel travaille avec la plateforme Surface depuis 2021. Si l’entreprise a développé des revêtements, pour ses ustensiles, elle ne maîtrisait pas forcément les composants de ces revêtements envoyés par ses fournisseurs. Elle a donc vérifié la qualité, pour savoir s’il n’y avait pas de nanoparticules qui pourraient avoir des conséquences pour la santé des utilisateurs. Avec le laboratoire, ils ont créé un protocole et une manipulation permettant à l’entreprise de vérifier la qualité des composants des revêtements. Une manière aussi de soutenir la recherche. « La recherche d’aujourd’hui, ce sont les emplois de demain », assure Emmanuel Brugger.