Vendredi 7 juillet. 12 h 15. De délicieuses odeurs de pâtisserie embaume le rez-de-chaussée du centre culturel et social Résidences-Bellevue (CCSRB), à Belfort. Dans la cuisine de la structure, louée pour l’occasion, des bénévoles de l’association Papillon rouge s’affairent. On casse des œufs. On mélange. On mixe. On coule de la pâte dans des moules à muffins. Au milieu de ces pâtisseries saveur pistache, on glisse une framboise. Puis on enfourne. La dizaine de personnes préparent des mets pour l’évènement culturel de l’année au quartier : la Butterfly Cup, organisée par l’association Papillons rouge dans le parc de la Douce, à Belfort. L’association compte 387 adhérents. Elle est née du dispositif Quartiers d’été, en 2019.
« Jihad ! interpelle Sarah, l’une des cuisinières, en lui tendant un muffin : Peux-tu aller chercher une maman à 14 h ? » Assis sur des marches près de l’entrée arrière du CCSRB, l’intéressé valide. Puis Jihad Bourouba enchaîne sur les valeurs de partage, d’entraide et de solidarité qui animent cette association. Et qu’elle transmet insiste ce trentenaire qui occupe le poste de président et déploie une énergie contagieuse pour monter des projets, comme ce voyage humanitaire à Madagascar (lire par ailleurs). En attendant, le temps d’un week-end, l’association a proposé des animations et des spectacles gratuits, notamment à destination des familles du quartier des Résidences qui « n’ont pas la chance de partir en vacances », confie-t-il. « C’est le vrai esprit des résidences. » Mais cette initiative sera-t-elle relayée, proposant une image festive du quartier ? Le président n’y croit pas, au lendemain des excès de fièvre qui ont emparé, pendant quelques nuits, des quartiers populaires de France.
« Ne pas tomber dans le piège »
Ces violences urbaines l’affectent. Évidemment. Il ne peut les cautionner. Mais, en même temps, il souffre de ces messages de stigmatisation qui touchent les quartiers, ses habitants, les parents. Il regrette « une liberté de parole non maîtrisée ». « Nous sommes des millions à ne pas savoir où se mettre », souffle-t-il. Pour autant, Jihad Bourouba regrette qu’on ne catalogue plus ces jeunes « comme des Français ». « Le message de diversité s’est essoufflé », enchaine-t-il, estimant également que « la parole est de moins en moins donnée ». Il invite, surtout, « à ne pas tomber dans le piège » de la division. « Aujourd’hui, on accentue la différence alors que l’on a été éduqué dans la non différence », observe le président de l’association.
Cette stigmatisation révolte aussi Faïza Chekouat, rencontrée quelques heures avant. D’abord hésitante, elle se confie. Longuement. À la suite des violences, elle a croisé une maman effondrée. En larmes. Son enfant s’était glissé dans les rangs de ces jeunes révoltés. Était-ce pour autant une mauvaise mère parce que son ado a suivi un mouvement ? Un peu facile, regrette cette salariée de Teleperformance. Le raccourci « est choquant et insultant », déplore celle qui se définit comme « une fille des résidences ». Née à Belfort, elle a grandi rue Dorey. Elle a été scolarisée à l’école Pergaud, au collègue Signoret. « C’est à l’image de notre société. On rejette la faute sur ce qui est inatteignable », estime Faïza Chekouat. « Il y a plein de facteurs [pour expliquer cette situation] », croit, pour sa part, Jihad Bourouba. Et de lister : la déscolarisation ; la monoparentalité ; la précarité. « Il y a la misère sociale », replace aussi le président. Faïza Chekouat pointe du doigt un rejet systématique. Sur les origines. Sur l’immigration. Sur le quartier. « Les jeunes sont conditionnés », met-elle en perspective pour essayer de comprendre. Les deux sont fatigués de devoir se justifier. « Mes enfants doivent prouver qu’ils sont Français, déplore-t-elle, avant d’affirmer : Nous sommes Français. » Elle reste attachée aux racines de sa famille, mais « comme tout le monde » dit-elle, soulignant son investissement systématique comme parent d’élèves.
Deux semaines à Madagascar
Jihad Bourouba va accompagner cinq jeunes pendant deux semaines, cet été, à Madagascar. Ils vont participer à un chantier d’installation d’une éolienne, dans un village autochtone, à Amboditavolo. Pendant 12 semaines, ils ont suivi un parcours à l’université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM), le jeudi en soirée, pour acquérir des compétences. Ils ont aussi construit un prototype d’éolienne. Ce projet, construit sur plusieurs mois, vise justement à transmettre des valeurs de solidarité et de citoyenneté, tout en sensibilisant le groupe aux enjeux climatiques ou de discrimination détaille Jihad Bourouba.
Elle rappelle les discriminations ou encore le sentiment d’injustice. Elle dit aussi que les messages de ces jeunes réclament justice et non vengeance. “Ils croient en la justice française.” Jihad Bourouba parle « d’héritage de 2005 ». « Ils veulent de l’attention », enchaîne Faïza Chekouat. Puis imagine, en se glissant dans la peau d’un jeune : « On dit de nous qu’on est des sauvages, alors on l’est. » La jeune femme rappelle aussi le contexte de cette jeunesse, qui a grandi entre la crise des Gilets jaunes, la crise covid-19 et à présent la crise économique. « Ils demandent qu’on s’intéresse à eux », valide Jihad Bourouba, sans approuver la méthode. « Les jeunes ne sont pas des sauvages », appuie-t-il toutefois. Les deux rappellent aussi le sentiment d’identification de ces adolescents avec Nahel. « Ç’aurait pu être moi », a ainsi confié un jeune à Faïza Chekouat, consciente du poids de la dynamique nationale et de l’effet Tik Tok dans la contagion du mouvement.
« Un arbre qui tombe fait plus de bruits qu’une forêt qui pousse »
Pour ces deux habitants des Résidences, il n’y a pas d’autres solutions que d’investir pour accompagner cette jeunesse. L’occuper. Cette mère de famille remplit l’emploi du temps des activités de ses enfants pour ne pas qu’ils trainent et tombent sur de mauvaises fréquentations. Mais lorsque la précarité est là, s’inscrire dans un club de sport n’est pas toujours aisé interpellent-ils. « Il faut s’appuyer sur les acteurs de terrain qui ont un rapport facile. Il faut leur donner du crédit et des crédits », recommande Jihad Bourouba. « Il y a beaucoup moins d’aides qu’avant », note le président, qui se mobilise à travers l’association Papillon rouge.
Au cœur des violences urbaines, l’association a communiqué sur une autre histoire. Celle où des jeunes volontaires ont aidé un couple de retraités du quartier à déplacer 8 tonnes de terre. « On n’entend pas les détracteurs sur les réseaux sociaux quand on fait des choses », regrette Jihad Bourouba. C’est pourtant « une minorité » qui est à l’origine de ce « chaos ». Et de philosopher : « Un arbre qui tombe fait plus de bruits qu’une forêt qui pousse. » Des mots. Sur des maux.