Les médecins généralistes montent au créneau après un reportage d’Elise Lucet qui accuse, en partie, les professionnels de santé d’être responsables de la désertification médicale.
Les médecins généralistes montent au créneau après un reportage d’Elise Lucet qui accuse, en partie, les professionnels de santé d’être responsables de la désertification médicale. Le syndicat Union française pour une médecine libre (UFMLs) s’est insurgé et dénonce les conditions, depuis le début de la crise sanitaire, d’une profession en souffrance. Décryptage, tout en nuances, avec Loïc Lavaill, membre du syndicat et médecin généraliste libéral à Offemont.

Le reportage de Cash Investigation, produit par Elise Lucet, a fait monter les professionnels de santé au créneau. Pourquoi ?
Dans son reportage, Elise Lucet met en avant un vrai problème : la désertification médicale. Mais le reportage fait reposer l’ensemble des problématiques sur nos épaules à grand coups de lieux communs. Elle met aussi en avant qu’il y a des gens détestables dans ce métier. Comme dans tous les métiers. On ne peut pas tout nous mettre sur le dos. Il nous est reproché de ne pas nous installer dans les déserts médicaux. Alors même que l’État, lui-même, a déserté les écoles, les mairies.
Nous avons été sidérés d’un reportage dans une telle période. La plupart des confrères sont épuisés à cause de la crise sanitaire et cela a exacerbé les tensions. Mais c’est le paradoxe de notre métier. Nous sommes le chef d’orchestre, l’élément central dans le parcours médical d’un patient. Mais à la fois, les médecins sont toujours les premiers sur lesquels on tape. Notamment sur la question du désert médical.

Les médecins généralistes sont « épuisés ». Quelles sont les conditions dans lesquelles vous exercez aujourd’hui ?
Contrairement à certains confrères, j’essaie de ne pas voir tout en noir. La première vague a été la plus compliquée. Aujourd’hui, il n’y a plus de communes mesures. Par contre, nous sommes beaucoup plus sollicités qu’avant. Par les autorités, par les patients aussi.
Nous recevons, au moins une fois par jour, un mail sur les procédures à appliquer, avec des éléments de doctrine à chaque fois différents. Et nous voyons bien que l’on nous demande d’appliquer les ordres. Les médecins généralistes sont les soldats de cette crise. Et c’est sûrement la bonne stratégie : appliquer ce que l’on nous dit. Mais pour cela, il faut que l’on ait le temps de s’imprégner des protocoles. Et ce n’est pas possible lorsque nous recevons des injonctions paradoxales toutes les 48 heures. Il ne faut pas oublier que les médecins généralistes ne sont pas épidémiologistes. Alors nous essayons simplement d’appliquer les doctrines qui nous semblent légitimes. Mais ce n’est pas toujours simple.

Combien de temps en plus passez-vous au cabinet par rapport à l’avant crise ?
Nous y passons 25 à 50% de temps en plus. On passe beaucoup de temps à répondre à des questions, notamment sur les vaccins et la dose de rappel. Concernant la doctrine vaccinale actuelle, nos patients se retournent beaucoup vers nous pour des renseignements. Et c’est bien normal, nous sommes leurs premiers relais. Mais tout cela, c’est en plus des consultations habituelles. Heureusement, les pharmaciens et le contact tracking (qui permet de générer des arrêts maladie pour cause de covid-19) nous ont beaucoup aidés.


Vous avez dû, en plus, vacciner en cabinet…
Cela a ajouté une charge de travail supplémentaire. Il a fallu solliciter beaucoup de notre temps. Mais c’était un engagement personnel. Je le fais, car j’y crois. De mon côté, j’ai réussi à vacciner en proposant des créneaux de 18h30 à 22h le vendredi. Ce n’était agréable ni pour moi, ni pour mes patients. Mais il a bien fallu procéder ainsi. Le côté positif, c’est que j’ai réussi à convaincre un grand nombre de patients.
Cela nous a aussi permis de déceler des dynamiques de vaccination, par exemple, avec Pfizer. Nous nous sommes rendus compte que la sollicitation était très forte pour ce vaccin et qu’il s’était fait une place très forte dans le cœur des Français. Ce qui a rendu, parfois, la tâche difficile. Pour un flacon de 20 doses de Moderna, seuls 7 patients ont accepté de se faire vacciner. Le reste a dû partir à la poubelle.

Quelles ont été les mutations profondes de votre métier au sein de cette crise ? Qu’est-ce qui restera ?
Tout d’abord, il y a le sujet des consultations à domicile. La crise a profondément changé les pratiques. Un médecin qui se rend chez un patient à 2 h du matin pour une poussée de fièvre, cela n’existera plus. Il y a eu une mutation profonde de ce côté-là, mais c’est quelque chose de propre à chaque crise. Nous avons changé de paradigme. Sans compter qu’une visite à domicile demande 45 à 60 minutes. Soit le temps que nous passons au cabinet pour examiner 4 patients. On ne peut pas, en même temps, traiter de plus en plus de patients – car il y a de moins en moins de praticiens – et en même temps continuer des visites à domicile. Il y a eu une prise de conscience de ce côté-là. Même constat pour les consultations libres en cabinet. Nous les avons remplacés par des créneaux d’urgence à J-1 ou J-0. Mais ce qui a sûrement subi la plus grosse mutation, c’est la téléconsultation. Nombreux sont ceux qui s’y sont mis lors de la crise. C’est un procédé qui restera.


Votre collègue syndical, Jean Tafazzoli, a fait paraître un communiqué qui liste un certain nombre de frustrations. Dont le fait que vous soyez de moins en moins nombreux. Comment l’expliquez-vous ?
La vision du médecin généraliste aujourd’hui, c’est l’image de professionnels submergés entre les consultations, les ordonnances, les visites, les réquisitions. Les journées ne font que 24 heures et les gens n’ont plus envie de ça. Cela participe au désamour du métier et de la médecine générale. La déconsidération de la branche participe également. C’est une affaire de positionnement. Déjà, il y a 20 ans, lors de mes études à Strasbourg, j’entendais des insultes : « Toi, tu vas finir médecin généraliste dans la Creuse », comme si être médecin généraliste était une insulte. Il y a une dévalorisation totale du métier. Sans compter les menaces et le fait qu’on soit beaucoup chahuté par rapport au sujet du vaccin. Cela exacerbe encore le désamour du métier.

La question de la rémunération des consultations semble aussi être source de frustration…
C’est un sujet qui fâche. Parce que nous ne sommes pas là seulement pour l’argent. Même si l’on donnait 12 000 euros net à certains médecins, cela ne changerait pas les choses. Mais la rémunération des consultations, à 25 euros, est la plus faible de toute l’Union européenne. Alors que les spécialistes facturent environ 50 euros leurs consultations. Cela génère des frustrations alors qu’au coeur de cette crise, les médecins généralistes donnent de leur temps pour répondre aux questions, consulter par téléphone, pour vacciner. C’est notre métier, mais en même temps, c’est du temps que l’on ne facture pas, qui n’est pas valorisé. À force, ces facteurs réunis aggravent l’agacement des professionnels.

Qu’est-ce qui pourrait soulager la submersion au sein de la profession ?
Il y a un point que nous soulignons depuis longtemps, mais qui n’est pas simple. La délégation des tâches, aux infirmiers ou aux pharmaciens. Une convention est passée inaperçue, mais plusieurs pharmaciens peuvent désormais prescrire des antibiotiques. Pour des cas comme des cystites, par exemple. Mais d’un côté, les pharmaciens, avec la crise, en ont aussi beaucoup bavé. Ils sont, eux aussi, submergés.
Sur ce même sujet de la délégation des tâches, il y a aussi la question du numerus clausus avec la sélection de seulement 10% des promotions. Faudrait-il être moins intransigeant sur la formation ? Pas sûr que cela soit une solution. Néanmoins, le résultat, c’est une pénurie de médecins généralistes. Dans le cabinet où je travaille, nous sommes deux. Et nous suivons, depuis l’ouverture, il y a deux ans, 3 600 patients. C’est énorme. Ce qui repousse nos rendez-vous à 2 ou 3 semaines hors urgence.
Créer des auxiliaires médicaux qui sortiraient en master, cela pourrait être une solution. Cela fait des années qu’on aurait dû se réveiller sur le sujet, mais ce n’est pas encore le cas.