Ici, un pompier « dépité ». Là, un sapeur « abasourdis ». Plus loin, c’est « le dégoût », qui règne. « On nous prend très clairement pour des cons », souffle même ce soldat du feu, contacté par téléphone. Les qualificatifs pour souligner le désarrois se succèdent au lendemain d’un comité technique. Ce lundi après-midi, on devait entériner le nouveau régime horaire des sapeurs-pompiers professionnels du Territoire de Belfort, dans le cadre de la réforme des 1 607 heures (lire notre article).
Les soldats du feu ont engagé une grève illimité le lundi 14 novembre. Le passage à ce nouveau régime horaire entraîne la suppression de plusieurs acquis sociaux, dont des jours de congés liés à l’ancienneté et des congés pour obtention de médaille. Les représentants du personnel sont d’accord pour afficher 1 607 heures mais demandent, au regard d’un dispositif légal de sujétions (lire notre décryptage), d’obtenir des compensations des pertes de congés compte tenu des spécificités de leur métier (pénibilité, risque, travail de nuit).
Retour à la case départ
Des canaux de communication s’étaient ouverts la semaine dernière. Des avancées étaient évoquées. La direction du service départemental d’incendie et de secours du Territoire de Belfort (Sdis 90) avait même sollicité l’intersyndicale (Syndicat autonome, Avenir secours, CFTC-SPASDIS, FO SIS) pour rédiger un protocole de fin de conflit ; elle l’a écrit ce week-end, en y glissant ses propositions.
Mais ce lundi, retournement de situation. On présente au comité technique le projet initial, sans prendre en compte les propositions formulées par l’intersyndicale et déposées ce lundi matin. Les syndicats ont voté défavorablement le projet ; une nouvelle commission doit donc être réunie lundi 28 novembre, sachant que le nouveau régime horaire doit être effectif au 1er janvier 2023. La situation semble désespérée. Florian Bouquet, président Les Républicains (LR) du conseil départemental, ne lâche pas prise.
Dans ce contexte, le ton est monté. Une soixantaine de pompiers – du sapeur au colonel – s’est invitée pendant la réunion du comité technique. La séance n’a pas été levée – cela aurait pu être le cas –, un échange s’est engagé, mais les pompiers dénoncent le mépris témoigné par Florian Bouquet à leur égard. « Cette attitude de passage en force, de mépris, de non prise en compte du dialogue social n’est plus acceptable, dénonce l’intersyndicale dans un courrier adressé à Florian Bouquet ce mardi 22 novembre, que Le Trois a pu consulter. Vous souhaitez appliquer la loi et les textes, nous aussi (les sujétions, NDLR). Mais pas uniquement les articles qui vous intéressent. »
Inquiétude
« Nous faisons tout pour sortir de cette grève, nous avons fait des propositions raisonnables, nous vous avons fait confiance, nous vous avons tendu la main pour constater qu’à aucun moment, vous n’avez fait de même, déplore l’intersyndicale dans son courrier. Puis de regretter : Vous négligez vos interlocuteurs et le dialogue social » Des pompiers, au fait du dossier, ont le sentiment que cette hausse du temps de travail cache maladroitement une volonté de régler les problèmes d’effectifs. « Ce n’est pas à nous de porter le manque d’embauches », estime Sébastien Boillot, du syndicat autonome. Le commandant Francis Erard, d’Avenir secours, attaché à la CFE-CGC, d’observer également que la perte de ces avantages ne rend pas le département des plus attractifs pour les recrutements.
Dans cette missive adressée à Florian Bouquet, les pompiers annoncent leur intention d’écrire au préfet du Territoire de Belfort pour solliciter une médiation. Ils vont envoyer un courrier ce mercredi, selon nos informations, pour conserver un espace de « dialogue », insiste Pierre-Arnaud Fillatre, du syndicat Force ouvrière. Mais les pompiers sont aussi prêts à monter d’un cran. « Nous ne fermons pas la porte à l’ouverture de procédures judiciaires », mettent en garde plusieurs représentants du personnel. Les représentants du personnel sont particulièrement inquiets. Inquiets de la tension qui ne fait que de croître dans les casernes. Mais aussi pour l’avenir : « On entretient [avec ce conflit] un état d’esprit que l’on va payer dans le futur », redoute le commandant Francis Erard. Notamment pour le fonctionnement de cet établissement public pas comme les autres.
« Nous avons envie de faire une délibération qui ne soit pas refoulé [par le contrôle de légalité] », relève Pascal Grosjean, maire de Bermont et 3e vice-président du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours (CASDIS) du Territoire de Belfort, en charge des affaires sociales et du personnel. Au Sdis, on souffle également qu’il ne peut pas avoir de régimes différents entre les agents. Pascal Grosjean indique que des calculs sont en cours, « que la porte est ouverte ». Toutefois, il ne veut pas parler à la place du président, tout en confirmant qu’il n’y avait pas eu d’avancées ces derniers jours. Sollicité à de multiples reprises, Florian Bouquet n’était pas joignable ce mardi a-t-on appris dans son entourage.