La démonstration est bluffante. Diablement efficace. Une victime est allongée au sol. Olivier Rognon, 50 ans, est équipé du Système R-O. Deux pochettes sont accrochées de part et d’autre de son bassin, sur sa ceinture ; les deux pochettes sont liées l’une à l’autre. Il assoit l’individu et se saisit des deux boucles Cobra qui dépassent de chaque pochette. Il passe le système sous les aisselles de la victime et clipse les deux boucles au niveau du torse. Il sert aussitôt les sangles depuis chaque boucle. L’opération solidarise immédiatement les deux personnes. Il se lève et peut tirer la victime.
Olivier Rognon est sapeur-pompier professionnel. Aujourd’hui, cet ancien de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est le responsable communication du service départemental d’incendie et de secours du Territoire de Belfort (Sdis 90). Cette idée de système de sangles est née alors qu’il débutait « à la brigade », comme il appelle affectueusement l’unité d’élite de soldats du feu qui défend Paris et la Première couronne ; il réfléchissait à un système simple pour évacuer les victimes. Intuitif. C’était au début des années 2000. L’idée est restée dans un coin de sa tête.

Récompensé par le prix Lépine
Un nouveau déclic intervient en 2015. La France est secouée par une série d’attentats. D’abord à Charlie hebdo en janvier 2015, épisode qui se termine par la prise d’otages de l’Hyper Casher, porte de Vincennes, le 9 janvier. Puis au Bataclan, le 13 novembre. Deux événements tragiques qui provoquent des évacuations d’urgence d’un grand nombre de victimes. Dans des contextes extrêmes. Ça le fait réfléchir. Il sort sa machine à coudre et s’installe dans son garage. Il dessine alors ses premiers patrons. Coud ses premières esquisses. La première est orange. Le projet n’est pas encore abouti. Il le laisse mûrir. C’est au moment du covid que tout s’accélère. L’idée est prête. Il la finalise et trouve des partenaires pour se lancer.
En 2022, il se présente au concours Lépine, qu’il remporte ! Il reçoit la médaille d’or, prix du préfet de Police de Paris. « J’ai reçu ma médaille des mains de Denis Safran, médecin-chef de la BRI (brigade de recherche et d’intervention, NDLR), le premier médecin à être entré dans le Bataclan en 2015 », replace Olivier Rognon. Le clin d’œil est saisissant. Il reçoit aussi, à cette occasion, la médaille de bronze de la société française de la médecine, de l’exercice et du sport ; le corps médical salue cette innovation qui préserve « l’axe tête et colonne vertébrale », explique Olivier Rognon. La même année, il reçoit le premier prix innovation des sapeurs-pompiers de France, lors du congrès national des pompiers. L’idée séduit. Et convainc.
Rapidité d’utilisation et mains libres
L’adjudant-chef Rognon a travaillé sur quatre axes pour développer son produit. Le premier consiste à « couper l’effet de sidération ». Il faut que l’équipement soit prêt à l’emploi, mais surtout facile à utiliser. « Je voulais créer un geste simple, quasiment un réflexe, comme mettre sa ceinture », dévoile le sous-officier, grand amateur de photographie. Aucune préparation n’est nécessaire pour l’utiliser et évacuer la victime. La sangle enregistre une capacité de résistance d’1,2 tonne et les pochettes sont faites avec la même matière que les tenues de feu des pompiers.
Le second axe, c’était d’avoir les mains libres lors de l’extraction. Cela augmente mécaniquement les chances de survies. Le pompier peut ainsi tenir sa lance et continuer de se protéger des flammes. Et cette caractéristique intéresse fortement, aujourd’hui, les forces de l’ordre et les forces armées. En évacuant une victime, le militaire ou le policier peuvent continuer de tenir leur arme. Une particularité qui séduit les influenceurs, que ce soit le major Gérald ou l’ancien du corps des Marines des États-Unis, Byron Rodger. « La démonstration est impressionnante », a salué, pour sa part, l’ancien commando de marine Marius que l’on peut retrouver au cinéma ou sur Youtube, et qui a testé l’équipement dans une vidéo. Le système « libère les deux mains ! » apprécie-t-il.
Le troisième point, salué par les médecins, c’est de préserver l’intégrité physique de la victime. Le seul élément qui traine au sol, ce sont ses talons. « Le but, c’est de sortir les gens vite et bien ! » rappelle Olivier Rognon. Le dernier point est tout aussi essentiel. Le Système R-O gèle les différences de morphologie. « J’ai vu une jeune sapeur-pompier de 17 ans, d’à peine 50 kilos, sortir quelqu’un de 140 kilos ! raconte Olivier Rognon, qui n’en revient toujours pas : Elle m’a sorti le gars, sur deux étages, comme une fleur ! »
Cet équipement a également été testé au cours d’un exercice de grande ampleur qui simulait une attaque terroriste de masse ; les résultats obtenus tant en termes de vitesse d’évacuation que de chances données aux victimes dans l’urgence ont convaincu les autorités d’équiper les pompiers de leur département de cette sangle.

Le Système R-O est made in France
Le système se veut flexible. On peut porter les deux petites sacoches à sa ceinture. Mais elles ont surtout des systèmes d’attaches universelles. On peut donc les accrocher à son gilet pare-balle pour les forces de l’ordre, à l’appareil respiratoire isolant (ARI) des pompiers qui permet d’aller dans un bâtiment enfumé ou encore à un sac-à-dos. Seule nécessité : que la sangle fasse le tour de soi avant de l’accrocher à la victime. Pour être efficaces, les boucles doivent aussi être à portée de main.
Le produit est assemblé par une petite entreprise de la Somme, département où Olivier Rognon a travaillé. « Elle fait une qualité de dingue, félicite-t-il, avant d’ajouter : Tout est fabriqué en France. Les sangles, c’est à Saint-Étienne. »
Quelques corps de pompiers se sont déjà équipés ; le Système R-O est référencé sur l’UGAP, la centrale d’achats publics, via son partenaire-distributeur AMG Pro. Olivier Rognon a été approché par l’armée de terre et a pu faire des démonstrations d’extraction de blessés, depuis une tranchée. Les forces de l’ordre, notamment des unités d’intervention, sont aussi séduites par cet équipement et envisagent de l’acquérir. Olivier Rognon a également eu des touches à l’international, où ces initiales risquent d’être diffusées prochainement. « R-O », phonétiquement, c’est très proche de « héros ». Comme les héros du quotidien que ce système équipe et qui pourrait bien sauver des vies.