L’opération est restée secrète jusqu’au dernier moment. Une soixantaine de personnes s’est retrouvée sur un parking pour mener un convoi, mardi 11 avril, vers l’entrepôt Amazon de Fontaine. Le but de l’opération : bloquer les poids lourds entrants et arrêter les salariés sortants pour leur distribuer des tracts contre la réforme des retraites et le traitement de faveur réservé à Amazon par l’Etat. Vers 21h, les moteurs vrombissent, direction l’entrepôt. Dès leur arrivée sur place (ils étaient à ce moment-là une centaine) la gendarmerie est présente et relève les cartes d’identité des participants. Autour d’un barbecue se réunissent syndicalistes, manifestants, d’anciens gilets jaunes, aussi, ainsi que quelques personnes investies contre le pass sanitaire il y a dix-huit mois. Parmi eux, quelques membres du collectif Gafamazone, venus en soutien. Une majorité de personnes est réunie ici par un appel de l’« assemblée citoyenne ».
Entretenir la mobilisation
Des assemblées citoyennes se sont créées il y a environ deux semaines à Belfort puis à Montbéliard. Elles réunissent une cinquantaine de personnes dans chaque ville, environ. Dans les rangs de cette nouvelle initiative, de nombreux « déçus » de la mobilisation actuelle et de la non-réponse du gouvernement à ces manifestations. Pour autant, ces contestataires de la réforme des retraites ne se positionnent pas en opposition avec l’intersyndicale. La plupart participent à chaque journée de mobilisation depuis le début. « Mais ça ne suffit plus », souffle l’une des manifestantes présentes sur place. « On a envie d’en faire plus, en direction des jeunes, des retraités. Et surtout, créer du mouvement entre deux grèves », explique Romain Rogo, manifestant et membre du parti politique La France insoumise (LFI). Parmi les personnes présentes ce mardi soir, de nombreux visages familiers du cortège belfortain qui s’est détaché de l’intersyndicale jeudi 6 avril (lire notre article).
À quelques mètres du barbecue éteint par la pluie, plusieurs hommes déplacent un pneu ainsi que des palettes. Ils allument un feu pour empêcher les camions d’entrer ou de se garer. Les braises volent haut dans un ciel sombre et nuageux. La quinzaine de gendarmes présents observent la scène. Des voitures sortent de l’entrepôt, les salariés applaudissent. Trois employées prennent le tract : « Merci de faire ça pour nous. Nous, on ne peut pas se permettre de faire comme vous.» Elles haussent les épaules, klaxonnent et s’en vont.
Un peu plus haut, un livreur s’énerve et descend de son camion. Il souhaite se garer sur le parking qui fait face à l’usine pour dormir. Les manifestants lui expliquent pourquoi ils sont là. Pour dénoncer les conditions de travail des salariés et livreurs d’Amazon, exemple-type, selon eux, de pourquoi il n’est pas possible de travailler jusqu’à 64 ans. Le livreur s’emporte : « Vous pensez que c’est facile pour nous de faire grève ? Tout le monde ne peut pas ! ». Il part en marche arrière se garer sur le parking, très énervé.
Amazon dans le viseur
Dans un tract distribué, on lit à la lueur du feu qu’Amazon « est coupable de fragiliser nos services publics ». notamment en ne payant « pas d’impôt en France malgré son chiffre d’affaires qui approche les 50 milliards d’euros en Europe. […] Le déficit est colossal pour l’Etat français. C’est donc beaucoup moins de moyens pour nos hôpitaux, nos écoles, notre police, et nos retraites ! ». Au-delà de cela, Karel Trapp, porte-parole du collectif Gafamazone, explique qu’il faut persévérer pour dénoncer ce type d’entreprises car « les gens y sont à plaindre. Ils travaillent dans des conditions lamentables et ont un rythme de vie juste impossible.»
Pour les manifestants sur place, être ici est un symbole, au-delà du blocage. Le symbole d’une résistance sourde à la réforme des retraites, qui « écrase ceux qui travaillent dans ce type d’entreprises », note Annie, qui ne manifeste plus pour elle, « car je suis en retraite depuis plusieurs mois », mais pour les autres.
Autour du feu, les manifestants échangent bières, pitch et chips. Il est 22h30 et peu de camions sont déjà arrivés. Il faudra attendre plusieurs heures pour voir arriver le flux de poids lourds. Certains veulent rester jusqu’au bout de la nuit s’il le faut pour donner de la force à ce blocage. Mais selon la gendarmerie, les manifestants ont finalement été évacués avec « fermeté ». Elle ajoute que cette évacuation s’est déroulée « sans heurts et avec intelligence » vers 23h30, pour permettre l’accès aux poids lourds. La prochaine mobilisation était attendue ce mercredi 12. « Nous allons tracter devant la gare de Montbéliard », explique Christian, manifestant et membre de LFI. En attendant une nouvelle grosse journée de mobilisation qui est programmée le jeudi 13 avril à Belfort à 10h et à Montbéliard à 14h30.