Le pays de Montbéliard et le nord Franche-Comté sont sous le choc. La nouvelle est dure à encaisser. Le FC Sochaux-Montbéliard est rétrogradé en National 1, faute de pouvoir fournir les garanties financières (lire notre article). En redoutant, qui plus est, une situation plus dramatique, qui conduirait au dépôt de bilan et au championnat de National 3.
Ici et là, on convoque les souvenirs. Notamment cette décennie des années 2000. On se souvient de Pierre-Alain Frau. De Mickaël Isabey. De Benoît Pedretti. Des joueurs formés au club. Des joueurs qui ont porté aussi une partie des plus belles pages de l’histoire du FCSM, notamment cette coupe de la ligue conquise en 2004 et cette coupe de France glanée en 2007.
Près de vingt ans plus tard, une autre page, dramatique, est en train de s’écrire. Le glas n’est pas loin de résonner pour le doyen des clubs professionnels français, créé en 1928. Le lionceau agonise. « C’est une situation grave, qui rappelle le cas de Bastia ou de Strasbourg, qui ont risqué d’être effacés de la carte du football professionnel », constate Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté, directeur de la revue Football(s), éditée aux Presses Universitaires de Franche-Comté. Une revue qui traite de tous les footballs et dont le n°1 a été édité en 2022. Il a écrit sa thèse sur une autre équipe européenne dont le nom résonne avec l’automobile et une famille : la Juventus de Turin, de la famille Agnelli.
Modèle menacé et qui fragilise
Depuis quelques jours, on loue aussi l’art de la formation sochalienne. À juste titre. On cite ces actuels joueurs qui font vibrer le football européen : Marcus Thuram, qui file à l’Inter de Milan (Italie), ou encore Ibrahima Konaté, qui fait la fierté des Reds de Liverpool (Angleterre). Ils sont aussi à l’image de cette révolution du football, de sa mondialisation. Ibrahima Konaté, ce sont 13 matchs en 2017 avec Sochaux, avant de filer à Liepzig (Allemagne), alors qu’il a été formé au club depuis 2014. Marcus Thuram, ce sont 43 matchs en deux saisons, après trois ans au centre de formation, avant de filer à Guingamp, puis en Allemagne au Borussia Mönchengladbach. Benoit Pedretti a joué 5 saisons, pour 168 matchs, avant de filer à Marseille, puis à Lyon. Pierre-Alain Frau, ce sont 7 saisons, 209 matchs, avant de filer à Lyon.
La vente des joueurs a toujours été nécessaire à l’équilibre économique du club. Dans les années 1990 et le début des années 2000, on vendait aux principaux clubs français, Marseille ou Bordeaux. Puis, les joueurs sont partis vers l’étranger. Le football s’est mondialisé. Mais il y a surtout « une accélération de la mondialisation et du temps du football », observe l’historien. « L’information va plus vite. Les clubs sont scrutés. » Les joueurs partent plus vite. Cette accélération fragilise le système. Les retombées pour le club sont moins importantes, notamment en termes de résultats. Les épopées sont plus rares. Et les ventes solides aussi. Avant, un joueur formé restait trois à quatre ans remarque Paul Dietschy. Là, au bout de quelques matchs de qualité, on évoque « déjà » son transfert. « Ils sont condamnés à produire très vite », résume l’historien, tout en sachant que la concurrence entre les centres de formation est aujourd’hui particulièrement féroce et a estompé la spécificité sochalienne, à l’instar d’Auxerre ou de Nantes. « Le FCSM est victime de cela », poursuit l’historien. Pour contrecarrer cette dynamique, le club a cette année beaucoup investi, pour combler ce déficit de joueurs issus de la formation. Pour faire face à la concurrence, ils ont aussi proposé des salaires élevés. « Ces investissements l’ont plombé », analyse Paul Dietschy. « Le modèle est menacé et le FCSM n’a plus son protecteur [Peugeot] », ajoute-t-il.
Mondialisation économique du football
Depuis le départ de Peugeot, il y a comme un sentiment que cette situation était écrite. Ledus ou Nenking sont venus chercher de la visibilité en s’appuyant sur un totem du football français, sans être très clairs sur « leurs assises financières et leurs intentions ». Surtout, ces nouveaux propriétaires sont installés très loin du club. Les clubs français, moins chers, sont de plus en plus ciblés par des investisseurs ou des fonds d’investissement, qui visent de la visibilité ou qui recherchent une rentabilité en vendant des joueurs ; et la formation française est particulièrement reconnue.
« Le football a toujours attiré les fortunes nouvelles », replace l’historien. En 1923, la famille Agnelli rachète la Juventus de Turin. En 1928, Peugeot suit une dynamique similaire en créant un club à Sochaux ; il s’est appuyé dessus à l’époque pour faire de la publicité sur ses voitures, un produit nouveau dans les années 1930. Ses pubs étaient très présentes dans la presse sportive, rappelle l’historien, liant la qualité du jeu sochalien avec les voitures de la marque. Les joueurs allaient dans les concessions. « C’est un sport populaire, ça donne de la visibilité », analyse Paul Dietschy. Et quand le constructeur a estimé que le club n’apportait plus rien, il l’a abandonné en rase campagne ; l’éloignement de la famille Peugeot du pays de Montbéliard et des décisions de l’industriel a facilité la démarche.
Les ressources économiques du club sont aujourd’hui à l’os ; il a manqué jusqu’à 22 millions d’euros, soulignant le déséquilibre du modèle. La relégation n’améliore pas la situation, entraînant un recul des recettes (droits TV, affluence au stade, retrait des sponsors…) et le modèle « formation » est fragilisé. La descente ne va pas non plus accroître la fréquentation. « Il y a un fort attachement au club, mais cela ne se traduit pas forcément dans l’affluence au stade, même en Ligue 1 », relève l’historien. Le stade Bonal, propriété de Pays de Montbéliard Agglomération (PMA), a une capacité de 20 000 places. Cette relégation pose inévitablement la question de son avenir, notamment si le scénario catastrophe continue de se dessiner et que le club est relégué en National 3. Et cette relégation entraînerait par ricochet la fin du centre de formation. Le cercle est vicieux.
Les réactions montrent bien le tsunami (lire notre article) créé par cette situation. « C’est une partie de l’identité de la ville qui risque d’être effacée », convient Paul Dietschy. En évoquant de nouveau l’exemple de Strasbourg et de Bastia, l’historien rappelle surtout que leur retour s’est construit « grâce à une base populaire ». La situation pose ainsi « la place du football dans la culture populaire et l’identité du pays de Montbéliard », estime Paul Dietschy. Soit il y a un sursaut comme à Bastia ou Strasbourg. Soit le FCSM devient un club régional, ce qu’est devenu Sedan. « Il disparaitra de la carte », poursuit-il. Au territoire de résister. Sur Twitter, un #SochauxVivra a fleuri.