Cela fait désormais plus de trois semaines que la maison d’enfants à caractère social (MECS) de Fontaine, a été placée sous administration provisoire. Une décision prise par le conseil départemental du Territoire de Belfort, qui est l’autorité de gestion de la structure, à la suite de nombreux signalements sur le pilotage de la Mecs par l’association Epona, et de « situations gravissimes » désormais dans les mains de la justice. Pour rappel, une enquête judiciaire est ouverte depuis fin août pour des faits « de harcèlement moral et de travail dissimulé », confirme le parquet du tribunal judiciaire de Belfort.
L’administrateur provisoire devait dresser un bilan de la situation dans les deux mois. Mais la teneur a changé. Il doit désormais le faire dans les dix jours « compte tenu de la situation », commente Florian Bouquet, président du Département, dans un point presse tenu ce lundi 23 septembre.
Un problème se pose pour rendre ce rapport : Martial Milaret, l’administrateur provisoire, affirme ne pas réussir à se procurer les documents pour analyser la situation de la structure. La directrice de l’établissement, mise en cause dans différents témoignages (lire notre enquête) ne lui a pas fourni les divers documents, poursuit-il. Elle affirmait pourtant l’inverse par téléphone, quelques jours auparavant (lire par ailleurs). « Il y a plusieurs points de blocage. Je me retrouve comme un pilote sans outil pour manoeuvrer mon avion, avec le risque qu’il s’écrase », explique Martial Milaret. « À ce jour, je n’ai aucun élément. Je suis dans l’incapacité de comprendre comment fonctionne cette structure », poursuit-il.
Par un arrêté pris ce lundi 23 septembre, le président du Département, Florian Bouquet liste le nombre de documents manquants. La liste est longue. La liste des jeunes accueillis. Leurs dossiers. L’organigramme. Les diplômes du personnel. Le projet d’établissement. Les fiches de poste. Les entretiens professionnels des salariés en poste et de ceux ayant quitté la structure les trois dernières années, ainsi que plusieurs éléments financiers : budget, bilans, compte, livres de comptabilité et état des stocks depuis 2021.
Retrait de l’agrément à Epona
« Le tic-tac a commencé », image Florian Bouquet. Si les documents ne sont pas donnés dans les 48 heures, il prévient : il fera retirer l’agrément à la structure « sur le champ ». Cela entraînera plusieurs conséquences : dont le déplacement des enfants, puisque les locaux appartiennent à la directrice et qu’ils ne peuvent pas laisser les jeunes dans ces bâtiments s’ils reprennent la gestion (lire ici).
Le département affirme que cela a déjà été anticipé. « Je ne vous cache pas que j’ai déjà appelé les présidents des autres départements. » Car à Epona, sont accueillis des enfants entre 12 à 18 ans, en grande difficulté psychique, de plusieurs départements : Haute-Saône, Doubs, Haut-Rhin, etc… Les enfants des autres départements devront donc être pris en charge par ceux-ci. Les jeunes du Territoire de Belfort pourraient être accueillis sur le site de la base nautique du Malsaucy le temps de trouver une solution plus pérenne. « Nos services sont déjà à pied d’oeuvre. » Ils sont quatre jeunes selon les dernières remontées, trois en accueil complet, un en accueil de jour, à être pris en charge par le conseil départemental du Territoire de Belfort .
Dans le cas où la directrice de l’établissement fournit les documents dans les 48 heures, l’administrateur provisoire rendra ses conclusions dans dix jours. Et le conseil départemental tranchera en fonction sur la suite à donner. « Mais la route est déjà presque tracée. Je ne vois pas comment les enfants pourraient rester intramuros. Ce n’est pas concevable, il y a quelque chose qui ne va vraiment pas là-bas », grimace Florian Bouquet.
« Manque d’encadrement »
À ce stade du processus, Martial Milaret a déjà cerné plusieurs dysfonctionnements. Le premier : le nombre de jeunes accueillis. La structure a une capacité d’accueil de 12 places, plus trois places d’accueil de jour. Mais le conseil départemental et l’administrateur provisoire affirment que les enfants sont bien plus : environ dix de plus. Ils ne savent pas dire qui ils sont, d’où ils viennent. « Cela nous fait passer pour des amateurs, mais cela montre aussi que nous n’arrivons pas à faire remonter les informations », commente le président du Département.
Autre problème, selon l’administrateur provisoire : « La directrice en place fait un travail de psychologue mais elle n’est pas en capacité de manager la structure. Elle n’a pas les diplômes requis.» Le département précise toutefois qu’elle avait une équivalence. Pas suffisante, selon l’administrateur provisoire.
« Quand on lui demande des données, c’est toujours la faute d’une autre personne », explique-t-il. Il a effectué une vingtaine d’entretiens avec le personnel. « Il y a ceux qui sont pour (qui soutiennent la direction, NDLR)… ceux qui sont contre. Mais on peut remarquer que les salariés sont plus critiques envers la direction quand ils ont des formations au préalable. »
Le témoignage de Martial Milaret renforce plusieurs témoignages anonymes recueillis la semaine passée. Il remarque que « tout est beaucoup plus sur l’affectif que sur le professionnalisme. Si je t’aime, ça passe, si je ne t’aime pas, cela se passe mal au sein de la structure. » Plusieurs personnes ne sont pas formées, affirme-t-il. Et certains n’ont pas entre les mains leur contrat de travail. « Le projet d’établissement est par exemple un document très important qui ne nous a pas été remis à Fontaine. » Il remarque aussi qu’il n’y avait pas d’entretiens annuels. En clair, « je ne peux pas parler de maltraitance mais de manque d’encadrement des professionnels. »
« Taper du poing sur la table »
Pendant les trois dernières semaines, les salariés se sont largement déchirés. Une quinzaine d’entre eux sont derrière leur directrice en expliquant que les accusations sont calomnieuses. Suivront-ils le département s’il retire l’agrément à Epona et demande le déplacement des jeunes ? Le conseil départemental ne le sait pas. Florian Bouquet explique être en contact avec des opérateurs qui « pourront arriver avec leur ressource » pour aider à gérer la structure.
En attendant, et même si la situation va très vite évoluer, sous dix jours au plus tard, l’administrateur provisoire explique avoir commencé à « taper du poing sur la table pour mettre en place des actions rapidement ». Le but, pour lui, dans les jours à venir : réussir à rassurer les jeunes « qui s’ouvrent et exposent avoir peur de se retrouver à la rue ». Et débloquer la situation pour le personnel. Avec huit arrêts maladies actuellement, plus les démissions et les licenciements actés début septembre, la qualité de travail, pour ceux qui restent, est très dégradée.
Quant à la directrice de l’établissement, elle ne souhaite pas répondre sur les différents points évoqués, mais transmet tout de même un message, adressé à notre rédaction. « L’ensemble des documents demandés concernant les jeunes et les signalements à effectuer ont été transmis à M. Milaret », explique-t-elle. « D’ailleurs on n’en parle plus dans ce nouvel arrêté. Quant aux pièces administratives demandées , elles ont toujours été tenues à la disposition de M. Milaret ainsi que tous les accès aux dossiers des jeunes et au serveur dans son intégralité. Il n’a pas dû prendre le soin de les consulter. Elles seront toutes remises en main propre dès demain matin. La plupart d’entre elles sont d’ores et déjà imprimées suite à l’arrêté rendu ce matin et celles ci sont déjà en possession de la brigade de recherches de la gendarmerie de Belfort venue perquisitionnée les locaux administratifs le 05 septembre dernier. »