Un pavé. Un nom. Une histoire. Pour la première fois, cinq Stolpersteine® seront posés dans le sol du Territoire de Belfort à Cravanche, Giromagny et Belfort. Ils évoquent l’histoire de résistants, de déportés politiques ou de personnes de confessions juives déportées en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains y sont morts. D’autres en sont revenus.
Les Stolpersteine® sont des pavés de la mémoire, avec une plaque en laiton, gravée. C’est un mot allemand qui signifie « pierre d’achoppement » ou « pierre sur laquelle on trébuche ». Évidemment, on ne peut pas insérer dans le sol un pavé qui risquerait de faire tomber les passants. L’image est ici plus symbolique. Ces pavés, qui s’apparentent à « des pavés parisiens », image Jean-Pierre Borgo, président-délégué de l’union nationale des associations de déportés, internés et familles de disparus du Territoire de Belfort, évoque « une mémoire qui nous fait trébucher », explique-t-il. Avec ces pavés, « on pose pour l’éternité », explique Jean-Pierre Borgo pour marquer la portée du message. On inscrit dans la pierre une histoire. C’est une reconnaissance. Une marque de respect liste-t-il.
En France, les premiers pavés de la mémoire ont été installés en 2013, en Vendée, indique le réseau français des Stolpersteine®. Mais l’initiative est née en Allemagne, au début des années 1990, sous l’impulsion de Gunter Demnig. « C’est un fils de SS qui ne s’est jamais repenti », replace Jean-Marie Borgo. Il pose le premier pavé en 1992, de manière illégale, devant la mairie de Cologne. C’était « un pavé avec l’ordre de déportation de Himmler concernant les tsiganes, gravé sur une plaquette de laiton qui le recouvre », raconte le réseau. En 1995, il en pose un second, puis 51 à Berlin, encore de manière illégale. La première pose officielle, relate le réseau Stolpersteine®, est faite en 1997 à Sankt-Georgen, près de Salzbourg. Depuis, plus de 100 000 pavés ont été posés en Allemagne et dans 25 autres pays européens. « [Les pavés] sont considérés comme le plus grand mémorial décentralisé du monde », indique Stolpersteine® France. Le président du réseau, Christophe Woehrle, sera présent à Belfort pour la pose des pavés.
Des mémoires représentatives
Dans le Territoire de Belfort, 575 personnes ont été déportées comme résistants ou déportés politique ; 328 en sont revenus indique l’Unadif. Environ 325 personnes de confession juive ont aussi été déportées, 29 rentreront, comme le rappelait L’Est Républicain en 2021, citant l’Unadif. La majorité des déportations a eu lieu en 1944, dans le Territoire de Belfort, l’œuvre notamment de la Milice française, retranchée dans l’Est.
C’est le cas de Jean Borgo, père de Jean-Pierre Borgo, arrêté le 17 novembre 1944 à Cravanche ; le pavé posé à Cravanche (retrouvez la liste par ailleurs) évoquera sa mémoire, là où il fut arrêté, à 6 h 30, par 14 miliciens et un militaire allemand. « Il n’a pas été pris dans le maquis, ni avec une arme », raconte son fils. Il a été déporté politique, non pas comme résistant, même s’il l’était, explique son fils ; « il passait des messages ». Il avait aussi refusé le STO.
L’idée d’installer ces pavés dans le département est initiée en 2022, par la nouvelle présidente Louane Grennepois, alors âgée de 21 ans. Lorsque l’association belfortaine contacte Stolpersteine® France, qui pilote et organise les poses, celle-ci indique qu’elle peut n’en fournir que cinq et qu’elle ne peut les installer que le 17 novembre… « Je ne tilte même pas que c’est la date de l’arrestation de mon père », en sourit, a posteriori, Jean-Pierre Borgo. Les cinq pavés sont retenus. Les cinq noms inscrits visent à être « représentatifs » des différentes situations : résistant, déporté politique, personne de confession juive d’une part, mais aussi avec de la parité entre les hommes et les femmes et entre des personnalités revenues des camps et d’autres mortes en déportation. Jean-Pierre Borgo coupe toute ambiguïté : le nom de son père a été défendu par la présidente de l’Unadif 90. Elle l’avait rencontré jeune et avait été beaucoup marquée par son récit. Les pavés sont posés là où les déportés ont été encore libres, dans la mesure du possible, en accord avec les municipalités ; les sœurs Blum ont par exemple été arrêtées dans l’Aveyron mais les pavés sont posés près de leur ancien domicile.
L’Unadif 90 fait vivre cette mémoire, avec la particularité d’accueillir de nombreux jeunes pour la porter. La moyenne d’âge du comité directeur est de 38 ans rappelle Jean-Pierre Borgo, président de l’Unadif 90 de 2010 à 2021, aujourd’hui président-délégué. L’association a lancé le mouvement Jeunesses et relayeurs, permettant d’associer les jeunes à cette mémoire. On peut intégrer la structure dès 10 ans, jusqu’à 21 ans ; elle fait ensuite la passerelle vers l’Unadif. « Le devoir de mémoire n’a pas de couleur, de politique, de religion, de rancune ni de haine », rappelle Jean-Pierre Borgo. Qui glisse également : « Sans passé, pas d’avenir possible. » Des pavés sont là pour le rappeler sur notre chemin.
Les Stolpersteine® posées dans le Territoire de Belfort
- Giromagny
Pierre Émile Chanoine (déporté, résistant, 15 ans)
Bernard Braun, agent de liaison de l’abbé Dufay
- Cravanche
Jean Borgo, déporté politique (17 ans)
- Belfort
Janine Blum, déportée parce que juive (rescapée)
Mado Blum, déportée parce que juive (morte en déportation)