Lundi 14 avril, à l’usine d’incinération de Bourogne, les flammes avalent en silence les traces d’un vaste marché clandestin. Dans un ballet de poussière, de métal et d’odeurs âcres, les douaniers de Besançon supervisent la destruction de plus d’une tonne de marchandises saisies : 900 kilos de tabac et cigarettes de contrebande, 3 000 articles de contrefaçons, 171 kilos de produits dangereux pour la santé…
Au sommet du bâtiment, les cartons s’amoncellent sur le quai de déchargement. Ils glissent un à un vers la gueule rougeoyante de l’incinérateur, engloutis à 850°C. L’un d’eux attire l’attention. Un agent ouvre le carton : à l’intérieur, de petites boîtes bleues alignées comme à la parade. Dessus, des abeilles musclées s’affichent fièrement. « C’est vendu comme du miel aphrodisiaque, mais il y a dedans du sildéfanil : du viagra », explique un douanier. Selon lui, ces produits se retrouvent dans certaines épiceries, écoulés 15 euros la dosette. Des dizaines de cartons identiques attendent leur tour pour être détruits.
Un peu plus loin, des piles de cartouches de cigarettes sans marquage fiscal, des vêtements de marque copiés, des sacs contrefaits. Tout y passe. « C’est une saisie historique », souligne Estelle Rocklin, directrice régionale des douanes. La cargaison illégale, répartie en quatre affaires distinctes, n’atteindra jamais les rayons des vendeurs à la sauvette ou des épiceries peu regardantes.
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Économie souterraine
Parmi les plus grosses prises : 900 kilos de tabac et de cigarettes, interceptés à quelques kilomètres de Besançon. Aucun emballage n’arborait de bande fiscale. « Ce tabac était destiné au marché parallèle bisontin et à son économie souterraine, nous en sommes certains », affirme la directrice. L’affaire a démarré par l’interpellation d’un convoi de véhicules, soupçonné de faire transiter la marchandise. Un trafic très organisé, selon la douane, qui utilisait un système de « mules » et un entrepôt clandestin identifié depuis. Trois personnes ont été interpellées. L’enquête judiciaire est toujours en cours.
Au-delà du préjudice fiscal, les douaniers insistent sur les enjeux sanitaires économiques et fiscaux. « Ce que nous avons retiré de la circulation représente une quantité inédite à l’échelle régionale, stoppée avant d’atteindre le marché local franc-comtois », précise Estelle Rocklin.
Du "miel au viagra" au goudron des routes
Sur un autre front, celui de la contrefaçon, les douaniers s’adaptent aux méthodes des trafiquants. L’affaire des produits de contrefaçons a été élucidée grâce à des investigations numériques, notamment sur les réseaux sociaux. Une perquisition au domicile d’un particulier a permis la saisie de plusieurs milliers d’articles contrefaits : textiles, chaussures, maroquinerie. Le prévenu a été condamné à six mois de prison et à 50 000 euros d’amende.
Quant aux mystérieuses boîtes bleues, elles provenaient d’un particulier basé en Bulgarie, qui vantait les vertus de son « miel aphrodisiaque ». Mais les analyses du laboratoire des douanes ont révélé la présence d’une molécule apparentée au Viagra, sans contrôle ni autorisation. « On voit de plus en plus d’introduction de ce type de marchandises », observe Estelle Rocklin.
À Bourogne, les flammes ne font pas de tri : tout est réduit en cendres. Mais rien ne se perd. Le mâchefer – les résidus solides issus de l’incinération – sera utilisé pour construire des routes. De la contrefaçon au bitume, la boucle est bouclée.