En 2023, 458 faits de violences conjugales et intrafamiliales ont été constatés par les forces de l’ordre dans le Territoire de Belfort. C’est un niveau élevé, légèrement en baisse par rapport à l’année dernière. « On va vers une stabilisation. Il semble que nous ayons atteint une sorte de plafond », expose Jessica Vonderscher, procureure de la République du Territoire de Belfort. Pendant plusieurs années, les signalements ont été à la hausse, car depuis la crise sanitaire « les voisins, les amis, la famille, appellent quasi systématiquement lorsqu’il y a des violences », rapporte Raphaël Sodini, préfet du Territoire de Belfort. Les deux figures de la République estiment que le département est proche de la fin du « chiffre noir », des faits qui existent mais qui ne sont pas signalés. « Il faudra encore attendre un peu pour le confirmer, mais cette dynamique se dessine », estime Jessica Vonderscher.
Cette hausse des signalements se ressent dans les chiffres de la police et de la gendarmerie. En zone gendarmerie, en 2023, 142 faits constatés ont amené à 130 plaintes. En zone police, on recense 316 faits contestés cette année. Les violences intrafamiliales représentent 10% des procédures pour cette zone et 25% des gardes à vue toutes procédures confondues. Un chiffre très important, qui amène à avoir une réaction rapide. « Pour chaque fait rapporté, la garde à vue devient quasi systématique et les auditions se font dans les 48h », rapporte la procureure.
90% de réponses pénales
La réponse pénale est importante à l’issue. 90% des cas mènent à une réponse pénale. Pour autant, la procureure ne veut pas voir les poursuites comme une fin en soi. Il y en a eu 67 en 2023, soit une hausse de 25% par rapport à l’année dernière. Mais c’est moins que les alternatives aux poursuites : 98 jugements. Elles augmentent de 72% par rapport à 2022.
Pourquoi ? Car la procureure a une politique d’équilibre entre sanctions et justice résolutive. Trois axes majeurs sont définis depuis qu’elle est arrivée dans le Territoire de Belfort : prévenir, en sensibilisant et formant les professionnels. Agir en mettant à l’abri les victimes et en évitant l’auteur du domicile conjugal. Guérir, en prévenant la récidive des auteurs grâce à une prise en charge spécialisée et en accompagnant la victime. Et cela pour construire « une justice haute couture », détaille Jessica Vonderscher.
Dans cette veine, trois stages de communication conjugale ont vu le jour, qui s’adressent aux « primo-déliquants », interpellés pour des faits de faible intensité et lorsqu’il n’y a pas d’addiction liée. « Souvent, les violences surgissent dans un contexte de séparation mal acceptée, de difficulté de communication. La violence n’est pas forcément le comportement habituel », explique la procureure. Dans ce stage, ils reprennent les bases de la communication non-violente. Ils repartent, aussi, avec des adresses, des personnes relais pour s’en sortir face à des situations de conflit. Dans les deux mois suivant le stage, les auteurs repassent devant un délégué du procureure pour établir un bilan. Pour des faits de plus haute intensité, un autre stage existe, un stage de responsabilité pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple, animé par le service pénitentiaire d’insertion et de probation. « Le but est d’avoir un stage adapté à la gravité et de pouvoir travailler sur tous les types de situation », explique-t-elle.
Isoler l’auteur et aider la victime
Un travail a aussi été fait pour éloigner l’auteur de violences du domicile conjugal. Le centre de prise en charge des auteurs d’infractions, géré par l’Armée du salut, est passé d’une capacité d’hébergement de 4 à 8 places. Sur place, les auteurs, placés sur décision du tribunal judiciaire, sont accompagnés et ont un suivi psychologique et social. Ils y sont placés à plusieurs stades de la procédure : avant la condamnation dans un premier temps, puis après pour plusieurs mois s’il le faut. « Cela permet de déchoir l’auteur d’une forme de toute-puissance », décrypte Raphaël Sodini. Pendant ce temps, l’auteur est interdit de paraître au domicile ou de contacter la victime.
Plusieurs acteurs se mobilisent de leur côté pour les victimes : comme l’union départementale des premiers secours (UDPS), qui s’est portée volontaire pour transporter les victimes vers un lieu sûr lorsqu’elles en ont besoin. Le dispositif de transport est assuré par des bénévoles formés. Il permet un acheminement adapté de ces personnes et au besoin des enfants, alors qu’elles se trouvent dans une situation de fragilité extrême. 32 personnes victimes et 22 enfants ont bénéficié de cette prestation sur la première année du dispositif et 2 200 km ont été parcourus.
Sensibiliser les plus jeunes
La dernière pierre de tout ce travail engendré : la sensibilisation des plus jeunes, pour éviter que des situations de violence se créent. « Il faut travailler sur la prévention au maximum », défend la procureure de la République. L’idée est de mener autant d’actions de prévention de sécurité routière (500 actions en 4 ans) que d’actions de prévention pour prévenir la violence, inculquer le principe d’égalité des sexes et de respect mutuel. En initiant des actions de prévention à tous les niveaux: écoles, collèges et lycées.
Une initiative a d’ailleurs particulièrement retenu l’attention : celle proposée par Solidarités Femmes 90 et le CDIFF, qui ont fait venir un dispositif du Québec intitulé Les couloirs de la violence amoureuse (lire par ailleurs). Le préfet et la procureure voudraient créer un parcours pour les collégiens et les lycéens sur les violences intrafamiliales qui ressemblerait à ce qu’ils ont pu voir avec ce dispositif. « C’est nécessaire car les violences interviennent de plus en plus tôt », constate Jessica Vonderscher. 2024 devrait être une année charnière dans cette mise en place.