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Cette condamnation d’un journaliste pour agression sexuelle qui secoue L’Est Républicain

Lecture du journal L'Est Républicain, devant un porte affichette.
Un journaliste de la rédaction de Belfort de L'Est Républicain a été condamné par la justice pour agression sexuelle envers une collègue. | ©Le Trois – Thibault Quartier
Enquête

Un journaliste de la rédaction de Belfort de L'Est Républicain, spécialisé dans les faits divers, a été condamné cet été par la justice pour agression sexuelle envers une collègue. La victime, qui a quitté aujourd’hui le journal, avait alerté sa hiérarchie dès 2023. Une enquête interne a suivi, mais le journaliste est resté en poste. Une décision qui laisse un goût amer et divise au sein du groupe Ebra, propriétaire du journal.

En 2024, Lucie*, une ancienne journaliste en CDD de la rédaction de Belfort de L’Est Républicain, franchit le pas avec difficulté : elle porte plainte pour des faits d’agression sexuelle survenus l’année précédente. Elle choisit un commissariat éloigné de Belfort, « de peur des représailles ». L’auteur est un ancien collègue, journaliste spécialisé dans les faits divers. Le parquet de Montbéliard est alors saisi.

La plainte, déposée le 11 juin 2024, a débouché sur une condamnation pour « agression sexuelle » par le tribunal judiciaire de Montbéliard en août 2025. Contacté après plusieurs recoupements, le procureur de la République confirme. Il a bien été saisi d’une plainte de cette ancienne journaliste de L’Est Républicain, document que Le Trois a pu consulter. 

« La plainte faisait état de faits de nature sexuelle que j’ai requalifiés en agression sexuelle », indique le procureur, Paul-Édouard Lallois. L’enquête est diligentée par la brigade de recherches de la gendarmerie de Montbéliard. «  À l’issue de l’enquête, le mis en cause a été placé en garde à vue, puis a comparu devant moi cet été dans le cadre d’une procédure pénale, détaille le procureur. Une décision judiciaire a été rendue, reconnaissant officiellement le statut de victime à la jeune femme. La condamnation du mis en cause comporte l’octroi de dommages et intérêts en réparation de son préjudice. »

L’affaire n’a pas été jugée publiquement : la procédure s’est soldée par une composition pénale. En clair, le journaliste a reconnu les faits devant le procureur, dans son bureau, et a accepté la proposition de verser des dommages et intérêts. Une procédure discrète, rapide, mais qui vaut condamnation et mention au casier judiciaire. 

Le montant des dommages et intérêts correspond au préjudice financier lié à la perte de contrat de Lucie. Une somme estimée et demandée par la victime dans une lettre adressée au procureur et transmise au Trois. Elle y explique les difficultés rencontrées pour retrouver du travail, la défiance des employeurs et le sentiment de devoir se justifier continuellement. Elle y évoque aussi la douleur de devoir quitter une région et des personnes auxquelles elle s’était attachée.

Signalement interne en 2023

L’histoire ne débute pas avec l’agression. Dès son arrivée dans la rédaction, Lucie subit des propos déplacés. Ce sont d’abord des « blagues » et des sous-entendus. Puis c’est la dérive. En janvier 2023, elle est agressée dans une voiture par le journaliste. Elle en parle à deux collègues, puis aux élus du Syndicat national des journalistes (SNJ). 

Plusieurs rendez-vous suivent avec plusieurs cadres du journal. « Ce qui était horrible, c’était de devoir re-raconter chaque fois. La seconde fois, c’était l’un des pires moments de ma vie. On m’a harcelée pour un Cerfa (attestation sur l’honneur, NDLR). On m’a coupée à de nombreuses reprises pour des détails. On me testait. »

Le Trois est en mesure de confirmer qu’une commission d’enquête interne a bien été installée et que plusieurs cas ont été évoqués. Plusieurs autres jeunes femmes sont auditionnées dans le cadre de cette procédure. Le journaliste est suspendu quinze jours, le temps des investigations, mais aucun complément de sanction n’est pris par la suite. La direction affirme qu’« aucun élément supplémentaire » ne justifie une mesure plus lourde, rapporte une source.

Quand le retour du journaliste est annoncé, Lucie vit un moment de sidération. « Un jour de mars, on m’annonce qu’il va revenir le lendemain. J’ai fait une descente d’organes, confie-t-elle. Tout le monde était réuni pour annoncer qu’il revenait. La direction n’a rien dit sur la nature de l’enquête.  »

« C’était lunaire, poursuit-elle. Des collègues l’ont défendu devant moi. En affirmant travailler avec lui depuis toujours, en poursuivant sur le fait que c’est un homme super, qui fait simplement des blagues. Et moi, j’étais là, à devoir écouter ça et à faire semblant que ce n’était pas de moi qu’il s’agissait. »

Les jours suivants, elle vit un enfer : crises d’angoisse, migraines, nausées. « Et on ne m’a même pas proposé de voir un psy », souffle-t-elle. Elle continue de travailler à la rédaction de Belfort, avec le journaliste qu’elle accuse. Cela dure quelques mois. Elle passera encore par la rédaction de Montbéliard, pendant quelques semaines, avant de quitter définitivement le journal. 

L’auteur, lui, reste à Belfort, provoquant incompréhension et colère. « Comment la direction a-t-elle pu gérer cela si mal ? » s’alarme-t-on alors. Le rédacteur en chef de l’époque, Sébastien Georges, sera plus tard visé par une motion de défiance de sa rédaction – sans lien avec cette affaire. Lucie, elle, revit encore le moment quand elle en parle.  « Je me suis sentie laissée tomber par tous. Ils ont fait passer ça pour un cas isolé et ça s’est arrêté là. »

Les locaux de L'Est républicain, faubourg de France à Belfort. | © Le Trois P.-Y.R.
Les locaux de L'Est républicain, faubourg de France à Belfort. | © Le Trois P.-Y.R.

Un cas isolé ?

Était-ce vraiment un cas isolé ? Des témoignages racontent une autre réalité. Plusieurs voix s’élèvent pour évoquer des propos et gestes déplacés, certains très anciens, d’autres plus récents. Des voix qui ne veulent pas être identifiées, alors même qu’elles ne travaillent plus pour le groupe. La peur est toujours présente. 

De sources concordantes, bien avant 2023 déjà, des cas similaires sont portés à la connaissance de la hiérarchie. Les personnes concernées étaient jeunes, souvent en CDD. Aucune n’avait souhaité aller plus loin. La plupart ont fini par partir. Un ancien cadre de la rédaction avait adressé un mail à la direction, en 2019. Le Trois a pu le consulter. Il signalait déjà les propos du journaliste : « Toi, tu seras fouettée nue », « Je vais aller [la] violer… », « Je vais la sodomiser avec une poignée de graviers »,  lit-on dans ce texte alertant la hiérarchie.   

Une source se souvient d’une stagiaire d’été, il y a plus de dix ans : « Plusieurs fois, [le journaliste] sortait de son bureau en lâchant des phrases du type : « Toi, je vais te sodomiser sur une peau de bête. » Elle lui a demandé d’arrêter. Un jour, elle s’est levée et elle a démissionné. J’ai souvent repensé à elle, je n’avais jamais vu une stagiaire d’été démissionner. » Plusieurs témoins confirment cette scène.

« Hélas, tout le monde était habitué au bureau. Certains n’entendaient plus, d’autres le rabrouaient. Mais ça s’arrêtait là », déplore une source. « Il est dans la caricature de l’idiot de service à qui on pardonne tout. De voir ça pendant des années, c’était insupportable. Il y a un faisceau d’indulgence autour de ces personnages. C’était irrespirable. Ça abîme, ce sont des micro-agressions psychologiques tous les jours. »

Une gestion jugée "catastrophique"

Quand la jeune journaliste alerte en 2023, certains découvrent qu’aucune trace des précédents signalements n’existe. « La DRH du groupe est intransigeante sur ces questions. Est-ce que les cas ont vraiment été remontés jusqu’à elle ? » s’interroge une source. D’autres sont plus sévères : « Des solutions avaient été proposées pour protéger la victime, mais il n’y a jamais eu de retour. On a coupé court à cette histoire. La gestion a été catastrophique. »

Les regrets sont lourds chez plusieurs salariés. « On est venu me rapporter des mains sur la cuisse, des faits où il avait essayé d’embrasser des jeunes femmes, confie l’un de nos interlocuteurs. Maintenant, je me dis que les filles ont pu minimiser ce qui leur était arrivé. »

La méthode, lors de l’enquête interne, a aussi choqué certains. Plusieurs noms de jeunes femmes remontent. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) mène des recherches. La direction contacte les personnes concernées. Certaines refusent de témoigner : « L’entreprise s’y est mal prise. La méthode était terrible. Les filles avaient le couteau sous la gorge. Il fallait faire vite. L’approche était vraiment inadaptée par rapport aux faits. Ils sont venus chercher des gens qui sont partis de la rédaction, qui avaient envie d’oublier ! Et on leur demande de témoigner. Et vite », analyse une source. Un sentiment partagé par d’autres confrères. 

Éric Barbier, journaliste et membre du SNJ, a été intégré au sein de la commission d’enquête. Interrogé, il ne nie pas la difficulté du travail mené, ni l’épreuve que représentent les auditions : « Cela a été pénible pour les personnes auditionnées. Cela nécessite de fouiller dans la mémoire avec des détails précis, même quand cela remonte à plusieurs années. » 

Libérer la parole

Quoique délicat, ce travail mené par l’équipe du SNJ aux côtés de la direction était nécessaire, estime Éric Barbier : « On était préoccupés par le fait que les victimes puissent s’exprimer et on a contribué à créer un environnement dans un cadre légal. » Dans cette affaire, le SNJ s’est positionné comme un « lanceur d’alerte » face à un « cas de figure complètement inédit à L’Est Républicain ». Avant d’ouvrir l’enquête interne, le syndicat a dû rassembler « un faisceau d’éléments et de témoignages » pour convaincre la direction de créer une mission d’enquête, démarche ensuite consolidée « par la décision de justice de Montbéliard ».

Une tâche lourde pour le syndicat, confronté à un « public précaire, qui n’avait pas forcément envie de s’exposer davantage », souligne Éric Barbier. « Pour des CDD, il est compliqué de libérer la parole, alors notre idée était de les accompagner au mieux. » Il précise toutefois que le suivi des victimes a été limité car « la plupart avaient quitté l’entreprise ».

Sur la sanction prise par la direction, le syndicaliste se montre factuel : « Je ne vais pas atténuer la responsabilité de la direction. Mais c’était un fait nouveau. On ne maîtrise pas la sanction, ça nous échappe et nous ne pouvons pas commenter cette décision. En tout cas, le dossier a été étudié en conscience ; ça aide à ce que les victimes soient prises au sérieux. L’objectif désormais : que ça ne se reproduise plus. »

Rédaction de L'Est Républicain, à Belfort, faubourg de France.
Rédaction de L'Est Républicain, à Belfort, faubourg de France. | ©Le Trois – Thibault Quartier

"Faits intolérables"

Pour le syndicaliste, « il était de notre responsabilité de révéler ce genre de choses et que la parole se libère. Je dirais que, aujourd’hui, on ne tolère plus les méthodes patriarcales qui existaient il y a trente ans. On envoie le message que la société évolue et que ces méthodes ne prévalent plus. Ce sont des faits intolérables. Ça nous permet de dire qu’on ne souhaite plus les accepter. Ça servira à tout le monde. »

Aujourd’hui, le journaliste condamné continue de travailler à la rédaction de Belfort, notamment sur les affaires judiciaires. Selon nos informations, la direction a bien été informée de la condamnation. Éric Barbier confirme : « J’ai demandé à la direction d’avertir la commission d’enquête qu’une sanction pénale avait été prise. Pour le moment, il n’y a pas d’évolution. » Aucune sanction complémentaire n’a, pour l’heure, été prise.

Contactée par mails, la direction du journal n’a pas répondu à nos questions.

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