« C’était lunaire » : le récit du commandant Francis Érard, revenu du plus grand incendie de l’été

Le feu, dans l'Aude, vu d'un camion de la colonne Alpha Est. | ©Francis Erard
Le feu, dans l'Aude, vu d'un camion de la colonne Alpha Est. | ©Francis Erard
Récit

Quelques jours après son retour à Danjoutin, le commandant Francis Érard, qui a dirigé la colonne Est Alpha dans l’Aude, revient sur ces journées d'intervention face au plus grand incendie de l’été.

La vidéo est toujours dans son téléphone. Une maison en proie aux flammes, au milieu d’une rue déserte. « C’était lunaire, mais on ne pouvait rien faire. Les maisons étaient foutues. » Le commandant Francis Érard, chef de la colonne Alpha Est, se souvient de tout : les odeurs des herbes, le vent qui tourne, les gestes des habitants. 

Désormais, le brasier qui a ravagé le sud de la France ces derniers jours ne flambe plus. Après avoir dévoré plus de 16 000 hectares – soit la superficie de Paris et de ses proches voisines – l’incendie de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, dans l’Aude, est désormais fixé. Les pompiers restent toutefois sur place, en surveillance, pour éviter toute reprise. Une femme y a perdu la vie, une vingtaine d’autres personnes ont été blessées.

Parmi les renforts envoyés depuis l’Est, six sapeurs-pompiers du Territoire de Belfort sont intervenus dès les premières heures (lire notre article), au sein de la colonne mobile « Est Alpha » qui rassemblait 71 hommes de huit départements différents (52, 55, 89, 58, 25, 39, 90 et 67). Cette colonne a été dirigée par le commandant Francis Érard, qui exerce au sein de la caserne Sud de Danjoutin. « Le feu a démarré mardi dernier vers 16 h. Nous avons été engagés et nous sommes partis dès 21 h », se souvient-il. Sa mission : mener 71 pompiers venus de huit départements, avec 25 véhicules, jusqu’au cœur des Corbières.

Rendez-vous donné sur l’A7, dans le Vaucluse. « À 12 h, la colonne Est Alpha arrivait sur le feu. On y est allés tout de suite. Pas question de prendre de pause. Nous ne sommes pas venus pour regarder. Il y avait de l’excitation aussi. C’est notre métier. »

Un monstre qui court vite

Les premières heures ont été intenses. Terrain escarpé, chaleur écrasante, vent capricieux… « C’était tellement grand que l’on n’a vu qu’un petit bout. Nous étions sectorisés. Il fallait se répartir judicieusement et les plans ont changé car le vent a vite tourné. Il a fallu faire preuve d’une certaine autonomie car tout le monde était occupé. »

Ce feu-là s’est propagé de façon spectaculaire. « 1 000 hectares à l’heure, à certains moments… C’est une vitesse énorme », insiste-t-il. Dans les Corbières, les reliefs compliquaient tout. « Le maquis, c’était le pire. Personne ne pouvait passer pour fixer le feu. Dans la nature, on ne fait pas du tout comme on veut. »

À la fatigue et aux conditions météo s’ajoutait un ennemi invisible : le brouillage des ondes. « Les radios n’étaient plus toutes opérationnelles. La communication par téléphone était très difficile avec le groupe. » Les routes étroites, les poteaux électriques tombés, les distances pour chercher de l’eau compliquaient tout. « L’alimentation en eau a été un vrai enjeu. Parfois, il fallait faire plus de 40 minutes pour en chercher. On ne connaissait pas le terrain, on s’est débrouillés. Il fallait savoir se démerder. » Il rit : « Ce n’était pas la guerre, mais presque ça quand même. »

La colonne Alpha Est. | ©Francis Erard
La colonne Alpha Est. | ©Francis Erard

 

La difficulté à échanger avec les autres secteurs imposait des décisions rapides et autonomes. « On sentait que la situation n’était pas stable malgré l’organisation », résume-t-il.

Mercredi, la colonne a travaillé à fixer l’incendie. Les jours suivants, il a fallu « traiter les points chauds, les lisières. Car tout est susceptible de se réactiver avec le vent et les fortes chaleurs. C’était un très gros enjeu ». L’humidité du matin laissait place à une sécheresse extrême dès midi, et des dizaines, parfois des centaines de points restaient à sécuriser.

Des scènes de désolation et de solidarité

Dans les Corbières, le feu a tout emporté. « Les habitations, les exploitations… et nous, on n’a vu qu’une petite partie. » Deux ou trois jours après le passage des flammes, le retour des habitants a été difficile. « C’était un carnage. Il n’y avait plus rien. C’était un spectacle de désolation. » Les arbres, eux, ont aussi brûlé à une vitesse folle. « Il faudra longtemps avant que les pins repoussent. »

Dans cette ambiance de cendres et de fumée, il reste des gestes qui marquent. « L’accueil des gens a été extraordinaire. Ils ont été d’une extrême gentillesse. Une petite mamie nous avait préparé des salades et voulait qu’on vienne manger chez elle. Humainement, ça touche vraiment. » Les enfants agitaient des pancartes pour les encourager. « Ces gens, qui ont choisi de vivre dans les Corbières, ont cet esprit-là. C’est une belle expérience de désolation et de solidarité. »

L’humilité comme ligne de conduite

Depuis ses premiers feux de forêt en 1989, Francis Érard sait qu’il faut parfois reculer pour mieux protéger. « Face aux feux de forêt, il faut rester humble. Cela n’a rien à voir avec un feu urbain, c’est mobile, dynamique. Il faut accepter parfois de laisser brûler des parcelles pour être dans une zone plus favorable à la lutte. »

Face à un maquis où personne ne peut passer, « la sécurité humaine reste la priorité.  Il y avait des endroits très dangereux. Et il ne faut pas être complètement fou. »

Le rythme, lui, a été épuisant, mais il ne s’en plaint pas du tout. « On a travaillé trois nuits avant d’avoir du repos », dit-il. Les hommes dormaient parfois dehors, parfois dans les véhicules. Le premier équipage de la colonne Alpha Est est rentré dimanche 10 août, mais d’autres repartent chaque semaine jusqu’au 8 septembre. 

Quatre pompiers du Territoire de Belfort se relaieront jusque-là. « Il faut des gens frais, pour enlever le risque de fatigue. » Lui, ne devrait plus repartir. Mais il se souviendra de ce moment. « C’était une sacrée expérience humaine », souffle-t-il, en guise de conclusion. 

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