(AFP)
“Charles Piaget nous a quitté ce jour”, a déclaré Anne Vignot sur le réseau social X (anciennement Twitter). “Il a fait démonstration à toute une société que la force du collectif, force émancipatrice, est capable d’ébranler les poncifs et de rendre l’espoir aux victimes de l’injustice sociale. Cet homme a fait de Lip une aventure humaine singulière”, a ajouté la maire.
Elle a précisé que la ville de Besançon lui rendra hommage dimanche, en pleine année de commémoration de l’histoire de Lip, fondée en 1867 par Charles Lipmann, et qui, dans les années 1960, fabriquait 300 000 montres par an.
Il y a 50 ans, en 1973, les employés de la manufacture des montres Lip avaient pris les commandes de leur usine en faillite, dans un épisode d’autogestion post-mai 1968 totalement inédit.
Entré chez Lip en 1946, Charles Piaget, leader syndical CFDT, était devenu une figure de ce mouvement social hors norme. Dans une interview à l’AFP réalisée début 2023, l’ancien leader syndical datait le “déclenchement” du mouvement au 17 avril 1973: davantage intéressés par la marque que par l’outil de production, les actionnaires suisses de Lip déposent le bilan et le patron démissionne.
“Il n’y avait plus personne pour diriger, c’était donc une situation qui allait s’envenimer”, avait-il raconté. Pour éviter la perte de salaire d’une grève, la cadence de production avait été volontairement ralentie. Mais le 12 juin, c’est le coup de colère quand les administrateurs provisoires annoncent la liquidation et le licenciement du millier d’employés.
"Hors du commun"
La suite prend une tournure rocambolesque : des administrateurs séquestrés, un trésor de guerre de montres caché autour de Besançon, une usine occupée par ses salariés, des ventes sauvages organisées dans toute la France, des sacs d’argent transportés en train jusqu’à une banque parisienne. Mais également des nuits de réflexion et quelque 200 assemblées générales.
Charles Piaget avait évoqué à l’AFP cette “dizaine de jours” avant de décider qu’il n’y avait “pas d’autre solution que de fabriquer, de vendre et de se payer”. “C’était hors du commun, on se demandait si c’était possible”, avait expliqué l’ancien mécanicien-outilleur, filant la métaphore “des marins qui se révoltent parce que le capitaine est un salopard, mais, qui, une fois maîtres du bateau, ne savent pas lire une carte”. Jusqu’au moment où “les ouvrières de la chaîne sont venues nous engueuler vertement” en disant : “Mais enfin, vous croyez que c’était le chef qui faisait la qualité ? Vous croyez que c’était le chef qui faisait le rendement ? Ceux qui faisaient le boulot, c’était nous et on peut vous garantir qu’on fera de la qualité”, raconte Charles Piaget. “Et là, on s’est lancés”.
Les ouvriers se sont autogérés jusqu’à un accord de réembauche au printemps 1974 sous la houlette de Claude Neuschwander. Deux ans plus tard, autre dépôt de bilan et nouvel épisode d’autogestion, faute de repreneur, avant la création d’une Scop en 1977, jusqu’au milieu des années 1980.
Après diverses aventures, la manufacture Lip de l’époque a disparu, mais la marque a remis un pied en 2015 à Besançon, où sont de nouveau assemblées les montres. Cette expérience d’autogestion inédite n’aura pas sauvé Lip “mais quand même, c’est une idée qui a gêné, une idée subversive” avait souligné auprès de l’AFP Charles Piaget, gardant à plus de 90 ans sa fibre syndicale intacte. Son décès est survenu quelques mois après celui de l’ancien patron de Lip Claude Neuschwander, en août.