« Attendez ! s’emporte un père d’élève au téléphone. Je le récupère où mon fils ? Qu’est-ce qu’on lui reproche ? » De poursuivre, avec un ton encore plus véhément : « Vous confiez mon fils aux policiers et vous ne savez pas ce qu’on lui reproche ? » Ce que le père ignore encore, c’est que son fils, en classe de 3e, est l’un des deux auteurs présumés d’un viol commis sur Marie, élève de 4e de ce collège de 550 habitants, situé dans une ville de 30 000 habitants, qui accueille une certaine mixité sociale, mais où l’on constate aussi une part croissante de familles très défavorisées.
Les faits se seraient déroulés dans les toilettes des filles, juste avant de rentrer en cours, après la pause méridienne. « [Ils] sont venus l’attraper et la maîtriser sans qu’elle puisse bouger », écrit le rapport de l’infirmier – qui a reçu immédiatement la jeune filles après les faits – adressé au chef d’établissement. Ainsi est lancé un exercice de gestion de crise, ce mercredi 24 mai, dans les locaux du collège Châteaudun, à Belfort.
« Je ne quitterai pas le collège tant que je ne saurai pas »
Dans la peau du père de l’élève, Xavier Baudiquez. En temps normal, il est le principal du collège Simone-Signoret, à Belfort. En cette dernière semaine de mai, c’est l’un des deux encadrants du stage de gestion de crise proposé par le rectorat de Besançon. Seize personnes y prennent part : des chefs d’établissement et des adjoints, ainsi que des directeurs d’école venus de toute la Franche-Comté.
Depuis 2018, le Territoire de Belfort accueille une ou deux fois par an ce type de stage organisé par le rectorat. Ce stage est le 7e du genre dans le département. L’évènement est coordonné par Christophe Boulat, principal du collège Châteaudun à Belfort ; il est par ailleurs réserviste dans la gendarmerie nationale. Pour l’organisation, il s’appuie notamment sur la délégation militaire départementale (DMD) du Territoire de Belfort, qui accueille les séances de travail et facilite l’hébergement des participants. En ce mercredi après-midi, les stagiaires participent à un exercice de synthèse, avec la mise en place d’une cellule de crise. Pendant trois heures, ils sont mis sous pression, subissent les évènements et doivent gérer.
« Je vais venir, cela va être plus simple, menace encore le père de famille au téléphone. Je ne quitterai pas le collège tant que je ne saurai pas. » Xavier Baudiquez met la pression à la première équipe. Juste à côté, c’est le directeur de cabinet de la rectrice, Fabrice Peyrot, qui joue le rôle du directeur académique des services de l’Éducation nationale (Dasen). « La presse est là ? », s’étrangle-t-il alors qu’il échange avec celui qui joue le rôle de principal dans la 2e équipe. Il subit les questions d’un journaliste, qui l’accule pour confirmer les informations qui circulent.
À côté, un bénévole prend ses consignes pour aller jouer le rôle d’un syndicaliste du corps enseignant. « Ça gronde en salle des professeurs », entend-on résonner au téléphone. Assis, concentré, Christophe Boulat scrute sa main courante. Tous les éléments de l’exercice de chaque équipe sont inscrits. Les prochaines séquences à déclencher. Les missions que doivent remplir les trois cellules de crise. En rouge, ce qu’on attend et qui n’est pas encore rempli. Dans ce poste de commandement, installé dans le bureau du principal, les coups de téléphone fusent. Ici, on cale l’exercice. Là, un bénévole joue un nouvel intervenant dans la séquence.
« Comment continue-t-on le service tout en gérant la crise ? »
« L’objectif est de faire vivre une cellule de crise dans un établissement scolaire, replace Christophe Boulat, ancien professeur des écoles, de manière à pouvoir gérer une crise de la meilleure des façons possibles, avec l’ensemble des éléments internes et externes qui peuvent intervenir. » Dans ce « de caractère d’urgence et dégradé », les mots d’ordre sont « s’adapter » et « éviter l’escalade ».
Pendant les trois journées complètes (du lundi après-midi au jeudi midi), les stagiaires sont confrontés à plusieurs type de crise : harcèlement, violence verbale ou physique, incursion dans l’établissement, vols, agressions sexuelles ou viols… « Ce n’est pas le quotidien », rassure Christophe Boulat. Mais ce stage permet « d’être prêt » si un tel évènement arrive.
« Le chef d’établissement est garant de la sécurité dans tous les sens du terme », replace le coordonnateur, « pour permettre la fonctionnement et la continuité du service ». Que ce soit pour un risque naturel, le froid, l’excès de chaleur ou une situation de crise forte. « Comment continue-t-on le service tout en gérant la crise ? » C’est ce qu’éprouvent les stagiaires pendant cette formation, où, eux aussi, se confrontent à leurs « propres limites ». Depuis 2022, le stage est reconnu au niveau national.
Le rectorat de Besançon compte plus de 1200 établissements scolaires publics et privés sous contrat, 210 000 élèves et 23 500 agents.