Les klaxons retentissent au loin alors que la police est en train de réguler la circulation et de bloquer la route. Seize tracteurs sont en train de remonter le boulevard Carnot à Belfort en direction de la préfecture ce mardi 28 novembre. Agriculteurs et exploitants agricoles du Territoire de Belfort ont répondu à l’appel de la fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui tire la sonnette d’alarme sur les conditions d’exercice dans le monde agricole.
« Enfant on en rêve, adulte on en crève ». Le premier panneau sur le tracteur en chef de file est explicite. De Bessoncourt, Montreux-Château, d’Alsace ou encore du Jura, une trentaine d’agriculteurs sont réunis, regroupant les jeunes agriculteurs du Territoire de Belfort et la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA). « On marche sur la tête », scande-t-on. À de multiples reprises, les représentants du monde agricole répètent cela pour déplorer un « trop-plein » causé par l’amoncellement des réglementations, le manque d’une rémunération juste pour les agriculteurs, les hausses des taxes. Ils plaident pour de meilleures conditions de travail.
Pour les manifestants présents, la situation actuelle relève de l’ « asphyxie », notamment à cause du travail « sur la réglementation en quantité infinie qui empêche de travailler au quotidien », explique Jean-Noël Monnier, président de la FDSEA 90. « Nous devrions pouvoir vivre décemment. Ce n’est clairement pas toujours le cas », poursuit-il. « Nous sommes dehors 365 jours par an, on survit, on trime. »
Dans les discours, le sujet qui anime le plus est le manque d’accompagnement des jeunes agriculteurs et des agriculteurs qui investissent. « Comment allons-nous assurer le renouvellement des générations avec cette conjoncture ? », fait remarquer un ancien agriculteur à la retraite. « S’installer est devenu mission impossible. La paperasse démoralise. Il y a trop de normes, trop de taxes », se désole Aurélien Richardot, jeune exploitant agricole de Montreux-Château. Il est amer face à la manière « dont les agriculteurs sont traités ».
Un «fiasco »
Selon les manifestants, cela fait un an que la situation s’est véritablement dégradée en termes d’aides, notamment depuis le transfert du pilotage des aides aux jeunes agriculteurs et des aides à l’investissement de l’Etat vers la Région. En Bourgogne-Franche-Comté, Le Monde titrait le 18 novembre dernier sur « le fiasco de la distribution des fonds européens aux agriculteurs » (lire ici). Lors de cette passation de compétences, il était prévu que l’Etat transfère des agents de la direction départementale des territoires pour aider la Région dans cette nouvelle mission. En Bourgogne-Franche-Comté, les agents ont refusé de s’installer à Besançon et Dijon, relate Le Monde. Des recrutements ont donc été lancés, sans succès. 17 postes ne sont pas pourvus. Conséquence : seulement 300 dossiers d’aides à l’investissement ou à l’installation ont été traités sur les 3 500 en retard de paiement. Aujourd’hui, la Région accuse de graves retards et dysfonctionnements dans la distribution qui mettent en péril les exploitations agricoles. Elle s’est engagée à prendre à sa charge les frais bancaires de ceux qui ont pu souscrire des prêts-relais, mais le retard a rendu caducs beaucoup de dossiers, détaille encore l’enquête réalisée. Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a lui même admis lors de la foire de Dijon, le 1er novembre, qu’il y avait un « un problème majeur en Bourgogne-Franche-Comté ».
Dans un document communiqué aux élus de la région que Le Trois a pu consulter, La Région explique ses difficultés. Elle expose un « déficit d’instruction des dossiers transmis par l’Etat sur la fin de gestion précédente, impliquant une reprise lourde de ceux-ci par [leur] service », obligeant à traiter 3 500 dossiers non soldés de la précédente programmation. Elle expose aussi des difficultés de recrutement sur les postes de chargés d’instructions des fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Plusieurs mesures ont été prises, détaille-t-elle, comme le renvoi de certains dossiers vers l’Etat, la prise en charge sur le budget Région des dossiers de moins de 5 000 euros, un accord, aussi, avec les banques pour mettre en place un fonds de solidarité.
Tanguy Follot, président des Jeunes agriculteurs du Territoire de Belfort explique que la montée des tensions est exacerbée par cette gestion régionale qui ne convainc pas malgré les ajustements en cours. « Les agriculteurs n’en peuvent plus. Les dossiers d’aides ne sont pas suivis, ou au mieux sont en retard. Seuls 300 dossiers ont été traités sur les quasi 5 000 déposés. Les investissements ne peuvent pas se faire et nombre de demandes atteignent la date butoir pour les travaux. On marche sur la tête. » Olivier Fridez, délégué syndical FDSEA fait aussi remarquer qu’aujourd’hui, « la moitié des agriculteurs partiront dans moins de 10 ans à la retraite et le travail avec la Région pour les installations traînent.» A Belfort, les manifestants ont attendu environ une heure et demie avant que le préfet, Raphaël Sodini, vienne à leur rencontre sur le parvis.
13 députés de la région saisissent le ministre de l’Agriculture
Nicolas Pacquot, député de la 3e circonscription du Doubs, alerte aux côtés de 12 autres députés de Bourgogne-Franche-Comté sur la « gestion calamiteuse des fonds européens agricoles par la Région ». Dans un communiqué de presse, les députés affirment que « les retards de traitement s’accumulent », laissant plus de 3 000 dossiers sans réponse. Ils dénoncent un « fiasco » qui « met en difficulté de nombreux investissements et l’installation de jeunes agriculteurs ».
Ils sollicitent une audience en urgence auprès du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, pour trouver une solution. « La région Bourgogne-Franche-Comté est l’une des seules régions de France à avoir fait le choix de centraliser une politique qui aurait pu rester décentralisée sur chaque territoire, en proximité directe avec les agriculteurs et l’appui des Chambres d’agriculture », appuient-ils.