Il fait froid et brumeux ce jeudi 5 décembre, alors que les manifestants se réunissent devant la Maison du Peuple à Belfort. Les fonctionnaires avaient programmé cette manifestation pour défendre la fonction publique, alors que le projet de loi de finances prévoyait plusieurs mesures jugées injustes (lire ici). Malgré la chute du gouvernement la veille, mercredi 4 décembre, ils ont choisi de manifester. Jean-Philippe, délégué CGT au Grand Belfort, résume le sentiment général : « La censure du gouvernement ne va pas changer grand-chose. Le gouvernement est dans la destruction des services publics. Le changement d’adversaire politique ne va rien changer. Nous sommes sur une société basée sur l’exploitation. »
À ses côtés, Philippe, agent territorial depuis trente-six ans, porte un regard différent : « Ça montre qu’on peut le faire plier. » Il sourit : « La cerise sur le gâteau serait maintenant qu’Emmanuel Macron prenne ses valises. » Sur la suite ? « Ça ne peut pas être pire. »
Les deux amis fonctionnaires dénoncent la précarisation croissante des contractuels et le recours massif au privé. « Aujourd’hui, on réduit le nombre de fonctionnaires en s’appuyant sur des entreprises privées et des contractuels », explique Philippe. « Sauf que pour les contractuels, c’est un métier extrêmement précaire », ajoute Jean-Philippe. Il l’a été lui-même durant de très nombreuses années. « En ayant recours à eux, ils peuvent facilement les mettre à la porte. Ils n’osent pas faire grève, aussi… »
Philippe a vu se déliter ses acquis au fur et à mesure des années : « L’exemple à Belfort : nos jours d’ancienneté ont été réduits. Notre comité d’entreprise n’est plus ce qu’il était… », développe le fonctionnaire.
Un grand monsieur, à la barbe blanche, écoute religieusement. Il est fonctionnaire depuis vingt-cinq ans. L’évocation de la chute du gouvernement ? « Pour le commun des mortels, cela ne change rien du tout. Les fins de mois seront toujours aussi difficiles. » Pour les fonctionnaires, « le gel du point d’indice est très compliqué ». Il ajoute : « Il y a aussi le fait de travailler plus, avec moins de monde. Au Grand Belfort, par exemple, nous sommes passés de 33 à 52 communes sans augmentation de personnel. » Il poursuit : « Alors oui, il y a eu de plus en plus de recours au privé à côté de ça. Mais cela a des conséquences pour nous : le délitement des compétences, le fait de ne plus être remplacé. »
« Ça redonne de l'espoir »
Sous le drapeau orange de la CFDT, Mélanie Meier, déléguée syndicale à l’hôpital Nord Franche-Comté, met en avant les luttes du secteur hospitalier. Peu importe que le gouvernement change, les problématiques restent les mêmes. « On campera sur nos positions. Nous sommes opposés aux principales mesures et à la suppression de la garantie pour le pouvoir d’achat. Aujourd’hui, on marche sur la tête et on nous punit là où il faudrait venir récompenser la pénibilité de nos métiers. » Elle fait référence à la perte de salaire en cas d’arrêt maladie, ainsi qu’à l’augmentation du nombre de jours de carence (lire ici).
« Nous n’avons pas l’habitude de nous plaindre. Dans l’hospitalier, on est résignés avec ce qu’on vit au quotidien. Donc on a tendance à trop laisser passer. » Mais pas là. En effet, la déléguée syndicale craint d’autant plus pour l’attractivité des métiers du soin. Déjà jugés peu attractifs, « aujourd’hui, le gouvernement cherche à les faire fuir. » La question maintenant : quand est-ce que les syndicats pourront avoir des interlocuteurs pour faire part de leurs revendications ?
De son côté, Frédérique, vêtu de son gilet rose, est syndiqué Solidaires. Il est professeur au lycée Follereau. Il sourit à l’évocation de la motion de censure, adoptée hier soir. « Ça redonne de l’espoir. On est content que le gouvernement soit tombé. Il était illégitime. On se dit maintenant qu’il faut lutter encore plus. » D’où cette mobilisation. Dans son corps de métier, les revendications sont tout aussi nombreuses. « On est un groupe d’agents en grève aujourd’hui, et cela fait longtemps que nous n’avions pas été autant. C’est important qu’on le fasse. »
Pour lui, les mesures avancées dans le projet de loi de finances 2025 sont une aberration. « Je le rappelle, la fonction publique, c’est ce qui reste à ceux qui n’ont rien. Nous, en tant que professeurs, on se bat tous les jours pour nos élèves. » Avec des bâtons dans les roues, relate-t-il. Avec de plus en plus de temps administratif, de moins en moins de temps avec les élèves, de nouvelles missions : l’orientation notamment. Et avec une équipe de plus en plus garnie de contractuels, mal, voire pas formés. « Entre deux couloirs, on nous demande de leur filer nos cours. Ou de leur conseiller un site pour enseigner. C’est du délire. Depuis le début de l’année, on en a déjà vu passer quatre sur deux postes non pourvus. »
Alors qu’il relate le cas d’une contractuelle ayant pris peur, le cortège démarre. Les slogans scandés, les drapeaux en l’air, les manifestants ont prévu de s’arrêter devant des institutions telles que la direction académique des services de l’Éducation nationale ou encore devant les Finances publiques. Avec un espoir : se faire entendre. Et ce, même s’il n’y a plus de gouvernement ce jeudi 5 décembre. Selon les forces de l’ordre, ils étaient 550 ce jeudi matin.
« Macron est confronté à la réalité des élections »
Dans le cortège, Florian Chauche est l’ancien député de la 2nde circonscription du Territoire de Belfort (LFI). Il a été battu, aux législatives anticipées, par Guillaume Bigot (RN). « Aujourd’hui, on peut dire que Macron est confronté à la réalité des élections. Il aurait dû respecter le choix des électeurs et nommer un nouveau ministre du Nouveau Front populaire. Mais il s’est tourné vers la droite et l’extrême-droite. Quant aux députés macronistes et LR, lors des débats budgétaires, ils étaient très peu là. Preuve qu’ils comptaient entièrement sur un 49.3. Aujourd’hui, le gouvernement doit respecter le résultat des élections et doit faire voter le budget texte par texte. Si ce n’est pas fait, aucun gouvernement ne tiendra. »