AFP par Damien Stroka
Trois heures durant, dans la salle des assises de la Haute-Saône bondée, Mes Sylvie Galley et Randall Schwerdorffer ont soumis l’homme de 33 ans à un feu nourri de questions, le poussant dans ses retranchements sur les éléments clés du dossier sur lesquels il a peiné à apporter des réponses convaincantes. À Me Schwerdorffer qui lui demande pourquoi il n’a, entre décembre 2016 et juillet 2020, date de son extradition, « jamais rappelé » la jeune femme, disparue le 5 décembre 2016 et avec laquelle il dit notamment avoir passé une nuit d’amour après des retrouvailles émouvantes, Nicolas Zepeda jure que c’est « faux », il l’a appelée une fois, mais l’étudiante n’a pas répondu.
"Disneylandisée"
« Il n’y aucune trace de cet appel dans le dossier. M. Zepeda, vous mentez ! », s’agace l’avocat du dernier petit ami de Narumi, Arthur Del Piccolo. Pourquoi avoir acheté trois boîtes d’allumettes et un bidon d’essence, juste après son arrivée en France le 1er décembre avant de revoir Narumi pour la reconquérir, selon la nouvelle version du Chilien ? « Un esprit mal intentionné pourrait faire le lien entre ces allumettes, ce bidon et le corps de Narumi », jamais retrouvé et qui aurait pu être brûlé, lui lance Me Schwerdorffer.
Pour l’accusation, Nicolas Zepeda n’a jamais supporté que Narumi le quitte : il est venu exprès du Chili à Besançon, où Narumi prenait des cours de français avant d’entamer un cursus en économie, et l’a tuée, sans doute en l’étouffant ou en l’étranglant. Il s’est ensuite débarrassé du corps dans une zone boisée de la région. C’est « un réflexe ridicule que je paye très cher aujourd’hui. Et pourtant j’ai fait cet achat », tente M. Zepeda qui avait expliqué lundi avoir acheté ce bidon afin de le remplir de carburant pour son véhicule de location. Lors de ce premier jour d’interrogatoire sur les faits, il était déjà apparu sur la défensive, souvent acculé par les questions du président François Arnaud et livrant des réponses souvent longues et brouillonnes. Il avait concédé de nouveaux « mensonges » et apporté quelques éléments nouveaux, notamment sur ses retrouvailles avec Narumi.
Une version « disneylandisée », a estimé mardi Me Schwerdorffer devant les journalistes. « Il ose tout, il n’a pas de limites » parce qu’il « essaie de sauver sa peau ». Me Galley a également mis l’accusé en difficulté. L’avocate a notamment exhumé des messages du Chilien à l’étudiante, dévoilant la relation de domination manifestement souhaitée par M. Zepeda, qui s’en défend.
Commandements
Il intime à Narumi d’être « une bonne femme », une « bonne fille », et dresse plusieurs commandements : « Tu ne causeras jamais un problème, tu ne seras jamais fâchée, tu ne seras jamais méchante, tu n’auras jamais un mauvais mot, tu ne négocieras jamais quoi que ce soit ». Me Galley insiste : « Dans votre histoire de couple, Narumi est tombée enceinte ». Et l’avocate de lire un message, terrible, adressé au Chilien : « Je n’oublierai jamais que tu m’as mise enceinte », « tu as fait du mal à mon corps », « tu as pris mon futur enfant », « tu m’as pris beaucoup d’argent ». « Elle a dû payer pour une IVG ? », demande l’avocate.
L’accusé nie que Narumi eut été enceinte. Sylvie Galley ressort un mail de Nicolas Zepeda : « Tu es tombée enceinte Narumi parce que tu as fait l’amour avec moi et que personne ne t’a forcée ». Cet échange s’est produit « à un moment où je suis en train d’aller à l’aéroport, je veux l’exprimer au conditionnel mais j’y arrive pas », bredouille l’ancien étudiant en économie.
"Si je vous dis que je ne vous trouve pas convaincant?"
Dans le sillage des parties civiles le matin, Etienne Manteaux a déroulé pendant plus de deux heures et demie ses très nombreuses questions, confrontant l’accusé aux multiples contradictions ou nouvelles versions qu’il a livrées au fil du dossier et de ce nouveau procès. Face aux interrogations « précises » du magistrat (avec des « questions ouvertes, vous prenez la main sur les réponses »), le Chilien de 33 ans est apparu à plusieurs reprises dans les cordes, peinant à se justifier ou avançant des explications peu convaincantes. Tranchant et haussant souvent le ton face aux réponse vagues de l’accusé, M. Manteaux a manifestement esquissé les réquisitions qu’il devrait prononcer mercredi.
"Jalousie maladive"
Il a pointé la « jalousie maladive » et la « fierté de mâle blessé » du Chilien qui n’a pas supporté que Narumi le quitte – alors que lui soutient qu’il a pris l’initiative de rompre. Il a lu les messages comminatoires envoyés par le jeune homme à Narumi, arrivée à Besançon fin août 2016 pour y apprendre le français et suivre un cursus en économie. « On est tous jaloux, je l’étais aussi, jusqu’à un certain point, c’est normal », a estimé le Chilien. Pour l’accusation, ce dernier est venu exprès du Chili en France et a tué Narumi, sans doute en l’étouffant ou en l’étranglant. Il s’est ensuite débarrassé du corps dans une zone boisée près de Dole. « Je suis totalement étranger à cette disparition », a de nouveau soutenu Nicolas Zepeda.
Questionné ensuite par l’un de ses avocats, Renaud Portejoie, il a fondu en larmes, le visage rouge : « On est trop concentré sur moi, je n’ai pas tué Narumi », a-t-il crié, tapant sur la barre. M. Manteaux déroule : l’achat d’un bidon d’essence et d’allumettes, peut-être pour incendier le corps de Narumi; ses passages dans une zone boisée près de Dole, là où les enquêteurs estiment qu’il a pu laisser le corps de son ex, jamais retrouvé; les messages envoyés à Narumi pour tenter de contrôler ses fréquentations masculines en France ou ses amis sur Facebook… Des courriers de caricature de domination masculine. « Elle est où, la liberté de Narumi? », questionne l’avocat général. « Je vais la quitter. C’est très cérébral, c’est très pragmatique, on cherche ce qui ne marche pas, pour se quitter », se justifie M. Zepeda.
« C’est elle qui vous a quitté parce qu’elle est oppressée », « harcelée », « elle termine même un message par un +va te faire foutre+ », lui assène M. Manteaux, fustigeant « l’incapacité à dire la vérité » de l’accusé, face auquel il brandit ce qui est à ses yeux la « preuve finale crucifiante ». Le 10 décembre 2016, le compte Gmail de Narumi actionne en effet l’adresse IP du cousin espagnol de Nicolas Zepeda, chez qui il se trouve, pour répondre à une personne demandant des nouvelles de l’étudiante. La jeune femme a alors disparu depuis cinq jours. « Cette partie, je ne la maîtrise pas, je ne sais pas ce qui est arrivé », bredouille l’ancien étudiant en économie. « Si je vous dis que je ne vous trouve pas convaincant? », rétorque Etienne Manteaux au Chilien qui reconnaît que Narumi n’était alors pas avec lui.
"On n'est pas au théâtre !"
« C’est la preuve centrale du fait que vous avez pris le contrôle du portable de Narumi après le 5 décembre », notamment pour continuer à faire vivre numériquement Narumi les jours suivants sa disparition, conclut le magistrat. L’audience a été marquée par quelques échanges tendus entre le représentant de l’accusation et les avocats de la défense, ceux-ci se plaignant des « hurlements » du magistrat. « On dirait un mauvais film de Louis de Funès, c’est pénible », lance Me Sylvain Cormier. De l’autre côté de la salle d’assises bondée, M. Manteaux simule des pleurs : « Bouh, bouh, la défense… » A des spectateurs un peu bruyants, le magistrat lancera également : « S’il vous plaît, on n’est pas au théâtre ici! » Condamné en première instance à 28 ans de réclusion, Nicolas Zepeda encourt la perpétuité. Le verdict devrait être prononcé jeudi.