(AFP)
Les faits reprochés
Frédéric Péchier est accusé d’avoir volontairement pollué des poches de solutés ou de paracétamol utilisées lors d’opérations, provoquant l’arrêt cardiaque de 30 patients, dont 12 sont morts, dans deux cliniques privées de Besançon entre 2008 et 2017.
Les victimes, âgées de 4 à 89 ans, étaient opérées pour des interventions bénignes. Aucune explication médicale n’a été trouvée à leurs arrêts cardiaques.
Les autopsies, les analyses du matériel médical, les prélèvements sanguins ou encore les analyses des corps exhumés ont permis de révéler dans certains cas la présence anormale de potassium ou d’anesthésiques locaux.
Le docteur Péchier n’avait pas la charge de ces patients, à l’exception d’un seul cas, celui de Jean-Claude Gandon. Le parquet de Besançon et les enquêteurs affirment qu’un « faisceau d’éléments concordants » démontre l’implication du médecin.
Seul praticien employé à la clinique Saint-Vincent et à la Polyclinique de Franche-Comté au moment des arrêts cardiaques suspects, il est le « dénominateur commun » entre tous les cas, selon eux.
Sept ans d'instruction
L’enquête préliminaire débute en janvier 2017 lorsque la direction de la clinique Saint-Vincent alerte le parquet qu’une patiente de 36 ans, Sandra Simard, a fait un arrêt cardiaque suspect lors d’une opération.
Les poches de solutés utilisées sont analysées. L’une d’elles contient environ 100 fois la dose de potassium attendue.
Quelques jours plus tard, Jean-Claude Gandon, 70 ans, fait à son tour un arrêt cardiaque sur sa table d’opération, alors que les enquêteurs de la police judiciaire de Besançon se trouvent dans l’établissement. Pour M. Péchier, c’est la preuve qu’il a été visé par un acte malveillant.
Les enquêteurs soupçonnent au contraire l’anesthésiste d’avoir sciemment empoisonné son propre patient au lendemain de l’ouverture de l’enquête. L’objectif ? Se forger un alibi. Frédéric Péchier est mis en examen en mars 2017 et placé sous contrôle judiciaire. Le parquet a plusieurs fois demandé son placement en détention provisoire, en vain.
Quel mode opératoire ?
Du potassium ou des anesthésiques locaux ont été discrètement introduits dans des poches de solutés de réhydratation ou de paracétamol utilisées pour des opérations, à des doses potentiellement létales.
L’anesthésiste aidait souvent ses collègues à réanimer les victimes et était toujours le premier médecin à se présenter à la clinique le matin. Un moyen, selon les enquêteurs, de polluer des poches sans être vu ou de déposer des poches déjà frelatées en salle d’opération.
La plupart des victimes faisaient partie des premiers patients opérés de la journée, selon une source proche de l’enquête.
Quel mobile ?
Au début de l’enquête, les policiers ont émis l’hypothèse d’un « pompier-pyromane »: empoisonner les patients de ses collègues pour administrer l’antidote et démontrer ses propres talents et l’incompétence des autres anesthésistes.
Ils relevaient « l’omniprésence » du médecin lors des incidents et ses diagnostics étonnamment précis lors des réanimations. Les incidents ont d’ailleurs cessé depuis qu’il n’exerce plus.
Un autre mobile avancé par les enquêteurs est la volonté de nuire aux collègues avec lesquels il était en conflit, en empoisonnant leurs patients.
Certains de ses collègues pensent aussi que M. Péchier s’ennuyait dans son métier et qu’il préférait l’adrénaline apportée par la réanimation.
Les experts décrivent un homme à la « personnalité équilibrée » ne présentant aucun trouble expliquant un tel passage à l’acte. Mais une expertise psychocriminologique, contestée par la défense, évoque une personnalité « organisée sur un mode pervers, avec une composante narcissique ».
Que dit la défense ?
Frédéric Péchier a constamment clamé son innocence. Pendant l’instruction, il a admis que certains patients aient pu être empoisonnés. Il est ensuite revenu sur cette vision, attribuant les incidents à des erreurs médicales de collègues incompétents. Seul le cas de son propre patient serait incontestablement un empoisonnement, résultat d’un complot de collègues voulant lui faire endosser leurs erreurs.
Ses avocats fustigent un « emballement judiciaire » et un dossier construit « à charge » sur des « hypothèses ». Et « à force d’hypothèses, on finit par écrire un mauvais roman policier », ironise l’un d’eux, Randall Schwerdorffer.
L’ancien anesthésiste n’avait pas de mobile, selon son conseil : il avait une vie de famille heureuse, un travail qui le passionnait, la notoriété et l’argent. La défense plaidera donc l’acquittement.