Le Trois –

« On vous rabaisse toujours à votre état de femme »

Manifestation en défense des droits des femmes. | ©Adobe stock – illustration
Analyse

La publication de notre édito du vendredi 6 décembre manifestant notre réprobation vis-à-vis d’un propos sexiste tenu à l’égard de notre collègue Eva Chibane a engendré de nombreux témoignages, notamment d’élues. Nous en avons recontacté quelques-unes, pour chercher à mieux comprendre ce qu’est le sexisme dans l’univers politique. Elles témoignent, anonymement ou non, illustrant toujours cette chape de plomb qui pèse sur la question.

La scène se passe dans le bureau d’une élue du nord Franche-Comté. Elle accueille un homologue, à la tête d’un exécutif. Ils échangent. Puis une remarque part. « Il m’a dit que j’étais vilaine et que je méritais une fessée », confie-t-elle, à demi-mot, encore gênée. Comme souvent, c’est la sidération qui prime alors. 

Le sexisme, Mélanie Welklen en a aussi été la cible. Cela motive, entre autres choses, sa démission de son poste de maire de Châtenois-les-Forges, qu’elle occupait depuis le printemps 2020. Deux ans et demi après son élection, elle jette l’éponge. Lasse. « Ton corps est une œuvre d’art », lui lance-t-on notamment lors d’une réunion de travail, en faisant allusion à ses tatouages. « On vous regarde de la tête au pied », souffle-t-elle, après la publication de notre édito (lire notre article ici). « Ces éléments prenaient beaucoup trop de place », avoue Mélanie Welklen, et pesaient pour beaucoup dans le sentiment de surcharge. « Ce qui m’énerve, c’est qu’on ne sait pas quoi répondre, poursuit l’ancienne élue. Je n’avais aucune réaction et en arrivant chez moi, j’étais hors de moi. » Elle voulait prendre part à la vie de la cité. « J’étais là en tant qu’élue et pas là pour parler de mes tatouages. » Et ces remarques sont vraiment le fait de l’univers politique. Rien de tel avec les entreprises, les services de l’État ou les organisations comme le service d’incendie et de secours, détaille-t-elle.

« J’ai pu avoir des remarques très sexistes, sans avoir réagi, peut-être à tort », note, de son côté, Sandrine Larcher, maire de Delle. Des propos plus ou moins ambigus, plus ou moins grivois. La première magistrate est convaincue que la société est à « un tournant ». « Depuis la vague #MeToo, la parole se libère. Aujourd’hui, les femmes n’acceptent plus les remarques sexistes dans le quotidien, ni les grivoiseries à leur égard », analyse Sandrine Larcher. Avec son engagement politique, il y avait comme une forme d’acceptation ou de résignation de cet univers politique, « très masculin ». Selon elle, notre édito « permet d’ouvrir les yeux sur ce que je tolère et ne devrais pas », même si elle souligne ne pas être dans la « revendication ».

Toutes les femmes élues n’ont pas non plus vécu ces expériences. C’est le cas de Marie-France Bottarlini, maire d’Hérimoncourt et vice-présidente de Pays de Montbéliard Agglomération. « Je n’ai jamais fait l’objet, sur le plan professionnel ou en tant qu’élue, de ce type de propos », témoigne-t-elle par téléphone, glissant aussi au passage qu’elle ne s’attarde jamais dans les soirées politiques ou autres vernissages.

« Tu ne peux pas y échapper »

Une élue de droite du Territoire de Belfort, qui souhaite conserver l’anonymat, ne relate pas ce type de « débordements », selon son expression. Elle remet en place s’il le faut. Mais des propos sexistes quant aux compétences, elle en a subi de nombreux. « Quand je suis arrivée en politique, ce fut très compliqué. Cela ne l’aurait pas été autant si j’avais été un homme », assure cette élue, avant d’ajouter : « On se permet plus de choses quand on a une femme en face de soi, en politique. » Il faut toujours prouver sa légitimité.

« Quand je suis arrivée en politique, témoigne pour sa part Samia Jaber, élue d’opposition au conseil municipal de Belfort, j’ai vu les regards de travers. En substance : « Qu’a-t-elle fait pour arriver là ? » Une manière de douter des compétences. Encore. D’ajouter, le rire jaune, toujours : « [Selon la rumeur] j’ai été la maîtresse de tous les hommes politiques. » Une idée reprise par Mathilde Regnaud, engagée depuis la campagne municipale de 2020, aujourd’hui élue d’opposition à Belfort. « Dès le début, j’ai eu des remarques que « je n’aurais pas les capacités pour mener la campagne ou encore pour être maire », se souvient-elle. De poursuivre : « En tant que femme, forcément, j’étais téléguidée. » Le détournement des affiches de campagne de Mathilde Regnaud témoigne parfaitement de ce sexisme ambiant, rappelle-t-elle. « Tu ne peux pas y échapper », avait confié Gilberte Marin-Moskovitz, ancienne députée chevènementiste, à Samia Jaber, lors de ses débuts.

« Une femme doit sacrément maîtriser ses dossiers pour avoir le droit à la parole », convient Sandrine Larcher. Au départ, on la coupe dans ses prises de parole, décrit-elle. Puis on chuchote pour la déstabiliser. « Quand une femme tient une position ferme, forte, on lui reproche de « l’hystérie », que l’on caractériserait comme « du charisme » chez un homme, poursuit Samia Jaber. Notre parole est démonétisée. » Ce que confirme Mélanie Welklen. « J’étais là pour faire la potiche, résume celle qui ne s’attendait vraiment pas à ça en s’engageant en 2020. Je n’étais pas venue pour cela. Je voulais être reconnue pour mes compétences. »

L’univers « débridé » de la politique

Samia Jaber regrette aussi de ne pas réagir de la meilleure des façons. « On s’en veut, même quand on est aguerri et que l’on connaît le phénomène », avoue-t-elle. À rebours, elle le fait également pour ne pas apparaître comme « une pleureuse » et « une victime ». « On dit qu’on n’est pas capable « d’encaisser » des choses fortes, « violentes », des « décisions fermes », image-t-elle. Le poids des représentations.

Si les politiques sont en premières lignes, Samia Jaber n’exonère pas la presse et la manière, parfois, de rendre compte des échanges, où elle ressent justement une invisibilisation de sa parole. Et de se souvenir qu’un jour, elle a été comparée à Rachida Dati, dans les colonnes d’un média. « Cette comparaison était problématique, car je n’ai pas eu de passe-droit; on ignore mon parcours et on délivre une image d’ambitieuse tout en soulignant l’origine. » Elle avait téléphoné au journaliste pour s’étonner de ce propos rapporté par le Landerneau politique, pour lequel elle n’avait pas non plus été sollicitée pour réagir.

En juin 2019, lors d’un table-ronde qui précédait une manifestation des salariés de General Electric, elle avait pris la parole. À la fin, un homme politique « de premier plan », qu’elle ne connaît pas personnellement, vient par derrière et la saisit dans ses bras, sans consentement, la tutoie et lui dit « qu’il est en phase [avec ses idées] ». Elle s’écarte. Interdite. « On vous rabaisse toujours à votre état de femme », s’étonne-t-elle, toujours. Pourquoi, cinq ans plus tard, ne le nomme-t-elle pas ? Un exemple parfait de l’omerta qui règne, convient-elle. « On n’a pas le droit de le dire, reprend Samia Jaber. J’ai toujours été tétanisée d’être mise dans une boîte, d’être comparée à une petite fille qui se plaint. »

« Il n’y a pas besoin d’être engagée longtemps pour voir [ce sexisme] », embraye Mathilde Regnaud. Son engagement féministe a été « décuplé », par ce qu’elle a découvert en politique. « Les premiers temps, on a plus regardé ce que j’étais que ce que je voulais porter comme idées. » C’est sans compter, qui plus est, sur les remarques, plus ou moins subtiles, sur la tenue ou le physique.

Féministe dites-vous !

Des femmes ont pourtant percé en politique. Selon l’élue belfortaine, soit elles se « blindent » pour y faire face, soit elles « épousent » les codes en place. Aujourd’hui, certaines femmes « réussissent » en politique en se saisissant, aussi, de ce sujet. Elles prônent la cause féministe. Un vocable qui peut également intervenir comme un repoussoir, y compris chez les élues qui ne veulent pas être catégorisées comme telles. Ce qui n’est pas sans étonner Mathilde Regnaud : « Être féministe, c’est juste revendiquer l’égalité homme-femme*. On ne peut donc pas être une femme et ne pas estimer qu’on ne peut pas avoir la même égalité qu’un homme. » De convenir ensuite : « Le degré de militantisme, c’est autre chose. » Et l’engagement de chacune et chacun peut varier. Elle est aussi convaincue que le système tient car « des femmes contribuent, elles aussi, à le faire perdurer ». Il se maintient aussi par la peur, estime-t-elle, et la crainte de l’esclandre si on le rend public. « La visibilité de la lutte féministe permet de faire avancer, appuie Mathilde Regnaud. On dérange et on oblige à revoir les comportements. »

Pourquoi l’univers politique serait-il alors plus prompt au sexisme ? « C’est un monde de pouvoir, donc de domination, répond Mathilde Regnaud. Le sexisme s’y exprime d’autant plus facilement. » « En politique, tout est accentué, complète Samia Jaber. Il y a une posture de domination par les fonctions que [les hommes] occupent. » « Il y a un côté débridé », abonde Mélanie Welklen. Mathilde Regnaud cite alors Gisèle Halimi : « Les mots ne sont pas innocents. Ils traduisent une idéologie, une mentalité, un état d’esprit. Laisser passer un mot, c’est le tolérer. Et de la tolérance à la complicité, il n’y a qu’un pas. »

« S’il n’y avait pas eu la loi qui impose la parité en politique, on n’aurait jamais eu notre place », conclut cette élue de droite du Territoire de Belfort, citée plus haut. En effet, « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », peut-on désormais lire dans l’article 3 de la Constitution, modifiée en 1999. Plusieurs lois ont ensuite renforcé l’application de ce principe. Mathilde Regnaud confirme l’existence de progrès. D’autres sont encore à faire. « La société change », note Sandrine Larcher. L’univers politique doit suivre.

  • *Le Larousse définit le féminisme ainsi : « Courant de pensée et mouvement politique, social et culturel en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. » 

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