Le sénateur, vice-président de la commission des affaires économiques au Sénat et rapporteur d’une mission d’informations sur Alstom et la stratégie industrielle du pays en 2018, livre son analyse sur le dossier General Electric.
Le sénateur socialiste du Doubs Martial Bourquin, vice-président de la commission des affaires économiques au Sénat et rapporteur d’une mission d’informations sur Alstom et la stratégie industrielle du pays en 2018, livre son analyse sur le dossier General Electric. Il regrette l’absence d’une politique industrielle à l’échelle du pays et du nord Franche-Comté. Et il rejette la logique financière qui guide ces décisions. Entretien.
Que vous évoque la décision de General Electric, à Belfort, de supprimer près de 50 % des effectifs de l’entité turbines à gaz ?
C’était une décision attendue, à la fois à la suite des déclarations formulées par le nouveau p-dg de General Electric Larry Culp, mais aussi parce que nous savions que l’accord signé entre General Electric et le gouvernement français ne serait pas respecté. General Electric n’a pas créé les 1 000 emplois promis, mais il opère surtout un démantèlement programmé de Belfort. C’est un non-respect flagrant des engagements. La cause profonde est la volonté de se recentrer sur les États-Unis et sur les pays à faible coûts de main d’œuvre. C’est intolérable.
Qu’est-ce que cela traduit de la politique industrielle française ?
Nous venons d’éviter la vente d’Alstom transport à Siemens, pour 0 euros. Et heureusement. On sent depuis un certain temps avec Emmanuel Macron – d’abord comme ministre de l’Économie puis comme président de la République – que l’on réalise des accords capitalistiques. Il n’y a plus de projets industriels, qui sont pourtant indispensables. L’État se désengage de l’industrie. On le voit dans la loi PACTE, avec la privatisation d’Engie, de la Française des jeux et d’Aéroport de Paris. General Electric est un dossier important, car il concerne la politique énergétique de la France. Quand j’ai rencontré l’intersyndicale, je me suis aperçu que c’était eux qui portait l’intérêt national. La question énergétique et l’indépendance alimentaire sont pourtant les questions essentielles de nos sociétés et nous avons un gouvernement qui les règle de manière capitalistique. Il ne faut, en aucun cas, que nous baissions la garde sur l’industrie énergétique.
Le gouvernement a d’abord relayé les arguments de General Electric. Aujourd’hui, il joue le timing du géant américain sans remettre réellement en cause le plan social, contrairement aux promesses formulées le 3 juin…
Ce que je ressens de ce gouvernement – et je l’avais déjà ressenti dans le dossier d’Alstom transport – c’est que l’on gère seulement de manière financière la politique industrielle, qui doit pourtant se voir à moyen et long terme. On voyait déjà cette logique quand Emmanuel Macron était ministre de l’Économie. Et pour moi, le Macronisme a commencé sous François Hollande. On ne veut pas que le plan social soit diminué de 100 emplois. On veut un projet industriel autour de la Vallée de l’énergie, avec les sites de Belfort au cœur. J’ai été impressionné par la qualité de la démarche de l’intersyndicale, qui regroupe des cadres et des ouvriers. Elle montre comment on peut régler beaucoup de choses avec 40 millions d’euros et créer beaucoup d’emplois, en peu de temps. La question est la suivante : General Electric veut-il rester à Belfort ? Si la réponse est oui, on n’accepte pas le plan social et on demande un projet industriel à la place. Aujourd’hui, ce que propose GE, c’est une saignée de l’emploi, y compris chez les sous-traitants.
Quelles sont les perspectives à envisager ?
La désindustrialisation est croissante. L’emploi dans l’industrie manufacturière ne représente que 11 % de l’économie. Certes, on recrée des emplois dans ce secteur, mais il faut faire attention aux chiffres. Quand on regarde le nombre d’entreprises industrielles en difficulté, on réalise que l’on n’a plus le périmètre pertinent(1). J’ai toujours pensé qu’il fallait une politique industrielle française liée à une stratégie européenne. C’est là que le bât blesse. Sur Alstom je proposais proposait par exemple qu’il y ait une alliance avec une entreprise de signalétique et que l’on travaille sur l’hydrogène. Il faut que la Caisse des dépôts et consignations entre au capital d’Alstom et que l’on regarde à une stratégie française, avec l’entreprise la plus innovante sur les transports. On y calque ensuite le projet Airbus. Pourquoi est-ce le projet européen qui a le mieux marché ? Car il y a deux États et deux entreprises à parts égales. C’est ça une politique industrielle. Aujourd’hui, on pense que le marché va tout régler, mais il faut un État fort, interventionniste et qui investit, car l’industrie rapporte à long terme. Barack Obama est intervenu pour sauver General Motors de la faillite aux États-Unis, alors que c’est le pays des Libéraux. En Allemagne, les Länder investissent massivement dans les entreprises.
Ce plan est une catastrophe pour Belfort, mais concerne aussi le nord Franche-Comté. Comment peut-il se structurer pour avoir une politique industrielle efficiente ?
À Montbéliard, à Audincourt ou ailleurs dans le nord Franche-Comté, vous avez des salariés travaillant à General Electric. L’avenir de nos communautés d’agglomération est un avenir commun. De ce point de vue, je constate une certaine panne du Pôle métropolitain. Des projets industriels comme celui-là devraient alimenter le Pôle métropolitain. Il faut que l’on retrouve un autre souffle, en partie sur les questions industrielles. L’avenir du nord Franche-Comté sera industriel et 4.0. Que ce soient les grands groupes ou les nombreux sous-traitants. Pour cela, nous avons besoin d’un écosystème productif, où l’enseignement général, universitaire et productif sera essentiel. Les grandes entreprises et les PME auront besoin du soutien des élus. Les projets industriels du nord Franche-Comté seront autour du transport, de l’énergie et de l’automobile, surtout avec l’électronique et l’intelligence artificielle qui arrivent dans ces secteurs. Il faut que nous construisions un projet pour un territoire de plus de 300 000 habitants. Il faut l’écrire. L’État doit garder ce triangle industriel et y développer l’industrie du futur.
- Selon l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee), au 31 décembre 2017, 2,8 millions de salariés travaillent dans le secteur de l’industrie manufacturière, soit 11 % de l’ensemble de l’économie. Ce secteur recrée des emplois (+ 5 400, soit + 0,2 % en un an) pour la première fois depuis 2000.