Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rencontré les policiers de Belfort et de Montbéliard, ce lundi après-midi, dans le cadre de ses déplacements liés au Beauvau de la sécurité. La police française a besoin d’un second souffle. Et les sujets prioritaires sont nombreux : effectifs, matériels, formation, procédures… Reportage.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rencontré les policiers de Belfort et de Montbéliard, ce lundi après-midi, dans le cadre de ses déplacements liés au Beauvau de la sécurité. La police française a besoin d’un second souffle. Et les sujets prioritaires sont nombreux : effectifs, matériels, formation, procédures… Reportage.
« Nous voyons des policiers désenchantés de plus en plus tôt », s’étonne ce brigadier de la brigade anti-criminalité (BAC) de Belfort, 20 ans de boutique, en s’adressant, ce lundi après-midi, à Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur était à Belfort et Montbéliard pour écouter les doléances des fonctionnaires de police, alors qu’il entame le Beauvau de la sécurité, une vaste période de concertation organisée autour de tables-rondes tous les quinze jours, visant à repenser la police de demain et à mieux cerner le projet de loi de sécurité globale. À côté de lui, c’est un enquêteur, qui gère entre 120 et 150 dossiers, qui « tire la langue ».
Face au ministre de l’Intérieur, il a une vingtaine de policiers. Des agents en tenue, présents sur la voie publique. Des enquêteurs. Certains travaillent de jour. D’autres de nuit. Certains sont des agents des services techniques et scientifiques, alors que d’autres sont membres de la brigade anticriminalité. Certains sont officiers. D’autres gardiens de la paix. Tout le monde est là pour parler vrai. S’écouter. Et interpeller. On n’est pas dans une séance de câlinothérapie. Quand le ministre veut dire ce qu’il pense, il le fait. Il n’a pas hésité à pointer du doigt, par exemple, quelques manques, parfois, dans l’encadrement.
« L’exemple, ce n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul »
Ce qui pèse, poursuit le chef de la BAC, ce ne sont pas les cailloux, ni les crachats. C’est le manque de soutien et ces réflexions, autour du contrôle au faciès, qui laissent sous-entendre « qu’ils sont racistes ». « C’est insupportable », poursuit-il, rappelant au passage qu’ils n’interviennent que dans des cadres bien définis. « Nous pouvons être fiers de notre police », enchaîne celui qui a travaillé en ambassade à l’étranger, tout en reconnaissant un besoin « d’évolution » de la corporation. La capitaine Fadila Bouaraara, commandante en second de la sureté urbaine, rappelle sa fierté de porter l’uniforme. Mais glisse aussi souffrir « de cet amalgame ». Et remarque également que la police est à l’image de la population. Elle est variée. Mais aussi « tolérante » et « juste »
Le ministre a rappelé l’importance du rôle de la police. Concernant les dérives – il refuse l’expression de violences policières, car les agents disposent de la violence légitime, à appliquer de manière proportionnée – il faut prendre « une sanction » quand un agent « déconne ». « Les quelques-uns ne sont pas le tout », relève le ministre. Qui note, plus tard : « L’exemple, ce n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul. »
Sur le poids et l’utilisation des images, il est conscient que cela transforme radicalement la profession. Mais il veut en faire une force, d’où sa volonté de doter les fonctionnaires de caméras-piétons. « Elles vont vous protéger », poursuit-il. Elles doivent permettre de regarder à froid un évènement pour améliorer les rapports, qui amènent derrière une meilleure réponse pénale. « Un quart des amendes AFD (forfaitaires délictuelles sont retoquées, NDLR) pour une mauvaise rédaction », relève le ministre à ce titre. Cela permet aussi de ne pas rédiger les rapports sous tension, mais d’y revenir.
« On ne s’est vraiment jamais remis de la RGPP »
D’autres agents ont évoqué des problèmes de formation. Par exemple, un agent du service technique et scientifique commence dans le service avant même d’avoir suivi la formation. Un agent a attendu trois ans, en vain, cette formation. Plusieurs fois, les problèmes d’effectifs sont sur la table. La nuit, notamment. Et cela fait prendre des « risques » aux agents, interpelle cette fonctionnaire de police. Et la situation à flux tendu a des conséquences plus inattendues, observées par le responsable de la formation : les policiers délaissent l’entrainement.
La brigade canine se retrouve quant à elle dans une situation ubuesque. Pour sortir le chien, il faut qu’il y a ait deux conducteurs diplômés. Mais l’érosion des effectifs à Belfort et la non attractivité du territoire quand des postes s’ouvrent font que, parfois, les policiers ne peuvent pas sortir avec leur chien. « Plus de 165 jours par an, le chien est au box », regrette ce policier. Le tout, à cause d’une note de service. Le directeur général de la police nationale a répondu que la circulaire devrait être revue prochainement pour remédier à cette situation.
Renfort à Montbéliard
Neuf nouveaux policiers renforcent depuis ce lundi matin le commissariat de Montbéliard, qui compte maintenant plus de 130 agents. Un nouveau commissaire sera nommé avant l’été. Et trois adjoints de sécurité, attribués au Doubs, seront nommés à Montbéliard. Gérald Darmanin a également confirmé à Marie-Noëlle Biguinet, qu’une enveloppe de 70 000 euros sera ouverte pour renforcer le dispositif de vidéo-surveillance. En outre, 1,6 million d’euros sont engagés pour rénover le commissariat de Montbéliard.
Côté technique, un policier dénonce des radios qui ont plus de 20 ans, usées et qui parfois ne fonctionnent plus du tout. C’est un vrai souci en opération. « On ne s’est vraiment jamais remis de la RGPP » (politique publique insufflée par Nicolas Sarkozy, dans les années 2000, de réduction des effectifs des fonctionnaires avec le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui partait à la retraite, NDLR), poursuit ce policier.
« Ils méritent notre respect »
La lassitude gagne les rangs de la police. Les enquêteurs sont empêtrés dans une procédure pénale qui ralentit et surcharge les opérations. Techniquement, rien n’est fluide ; les outils numériques ne sont pas encore déployés totalement. Le ministre veut améliorer tout cela. Pourquoi ne pas faire appel, parfois, à des sociétés de sécurité privées pour certains transferts, notamment d’étrangers en situation irrégulière? Il invite aussi à revoir, éventuellement, certaines organisations internes, pour favoriser la présence sur le terrain. Il relève également que des mesures numériques (la pré-plainte et bientôt la plainte) vont alléger une partie de la charge administrative ; lors des prochaines élections, les officiers de police judiciaires ne seront plus mandatés pour les procurations, qui seront réalisées en ligne. Ce sont 10 minutes de gagnées.
Les policiers ont salué un échange « fluide », pour reprendre les termes de la capitaine Fadila Bouaraara. Sébastien Garcia, délégué départemental du syndicat Alliance, salue l’aspect « très volontaire ». Il tique sur les effectifs ; selon lui, ils ont baissé à Belfort. Aujourd’hui, « il attend des actes ». Pendant une heure trente, Gérald Darmanin a écouté les policiers de Belfort, puis pendant près d’une heure, ceux de Montbéliard. « C’est sur le terrain que l’on voit la vérité des choses », a souligné le ministre.
Quand il y a crise terroriste, « ce sont eux qui sont là. » Quand une femme est victime de violences conjugales, « ce sont eux qui sont là. » Quand l’enfant est martyrisé, « ce sont eux qui sont là ». Quand il faut écouter des victimes, « ce sont eux qui sont là », a énuméré le ministre, pour présenter un métier pas comme les autres, et pour lequel il voulait montrer qu’il était attentif. « C’est un très beau métier. Très difficile. Et tous les matins, quand ils vont travailler, ils ne savent pas s’ils vont revenir chez eux pour embrasser les gens qu’ils aiment. Et rien que pour cela, ils méritent notre respect. »
Mutualisation entre Belfort et Montbéliard
Et si on rapprochait les commissariats de Belfort et de Montbéliard ? La question se pose, notamment lorsque les uns ou les autres ont besoin d’aide. Pourquoi ne pas envisager un soutien de Belfort quand le quartier de la Petite-Hollande, à Montbéliard, subit un phénomène de violences urbaines. « C’est important de mutualiser un certain nombre de métiers qui sont très spécifiques », confirme le ministre. Il évoque la brigade canine. « On peut imaginer des opérations » où l’on renforce les forces. « Je suis très attaché à ce qu’il y ait des commissariats distincts, des directeurs de sécurité publique distincts et que chacun ait ses effectifs », modère toutefois le ministre. Sur la mise en place d’un contrat de sécurité à l’échelle de l’Aire urbaine, Damien Meslot, maire de Belfort, se dit « favorable ». Mais « cela ne doit pas se faire au détriment des effectifs intervenant à Belfort. Un tel dispositif ne peut fonctionner qu’avec une augmentation globale des effectifs et non en transférant les policiers d’un lieu à un autre », indique-t-il.