Les financements occultes du Parti socialiste. L’affaire ELF. Clearstream. Les frégates de Taïwan. L’affaire Cahuzac. Les époux Balkany. Ces affaires de corruption ont un point commun : leur juge d’instruction, Renaud Van Ruymbeke. La magistrat à l’iconique moustache s’est éteint le 10 mai, à l’âge de 71 ans. « Il incarnait l’image du juge d’instruction indépendant et courageux, et laissera une empreinte indélébile dans l’histoire judiciaire de notre pays », avait réagi sur X (ex Twitter), Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation.
Près de deux décennies après ces procès anti-corruption, un mouvement similaire de contestation naît contre l’évasion fiscale. « Cela ressemble beaucoup », convient la magistrate Éva Joly, qui est à Belfort ce mercredi soir (lire ci-dessous), pour participer à une table ronde autour de l’évasion fiscale et du combat syndical et à la projection, en avant-première, de Tax Wars. Le documentaire suit des experts militants « pour la taxation des profits des multinationales », indique la production. Éva Joly, avec notamment Thomas Piketty ou encore Joseph Stiglitz, est membre de la commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (Icrict).
Eva Joly a instruit, également, l’affaire Elf. Elle a été députée européenne (2009-2019) et candidate à l’élection présidentielle pour Europe Écologie – Les Verts, en 2012. Elle exerce comme avocate, au barreau de Paris. Elle défend notamment les syndicats de l’entité de turbines à gaz de General Electric, qui ont déposé une plainte auprès du Parquet national financier (PNF) pour évasion fiscale (lire nos articles). Comme la corruption en son temps, l’évasion fiscale est considérée comme « normale ». Ne parle-t-on par d’optimisation fiscale ? Elle appelle à « une prise de conscience » sur cette question.
L’évasion fiscale est estimée en France entre 80 et 100 milliards d’euros, par an. Et à l’échelle européenne, « on parle de 1 000 milliards d’euros », indique Éva Joly. C’est de l’argent qui fait « défaut » au budget des État et ce sont autant d’investissement « extrêmement nécessaires qu’on ne peut pas », notamment autour de la transition écologique. « Dans ce contexte, c’est particulièrement scandaleux », s’indigne la magistrate. Dans le cadre de l’entreprise, cette évasion fiscale peut justifier des résultats négatifs et limiter les investissements, encourager des plans sociaux ou réduire les primes de résultat des salariés.
Le rôle "central" des syndicats
Aujourd’hui, il y a des avancées. En 2021, 140 pays ont adopté un accord entré en vigueur dans l’Union européenne le 1er janvier 2024 : les bénéfices des entreprises doivent être taxés à hauteur de 15 % minimum, quel que soit le lieu où elles déclarent leurs profits. C’est une réalité qui crée de l’espoir. Et invite à s’engager. « Nous revenons de loin », valide Éva Joly. En 2015, l’organisation de coopération et de développement économique a aussi édité les règles BEPS, pour limiter l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices.
Dans cet espoir, certains disposent d’un pouvoir important : les syndicats. « Leur place est centrale », souligne Maximilien Malbête, micro-économiste, consultant et spécialiste en prix de transfert, ces transactions intra-groupes qui peuvent justement permettre de se soustraire à l’impôt, en déplaçant notamment les bénéfices. « Ce sont les seuls capables de tirer la sonnette d’alarme », acquiesce Séverine Picard, coordinatrice du réseau syndical international pour la justice fiscale, également présente ce mercredi soir. Les syndicats ont accès aux documents, lors de différentes consultations obligatoires des partenaires sociaux chaque année. La CFE-CGC doit justement mettre en place une formation pour permettre « la prise de conscience », explique Philippe Petitcolin, secrétaire du comité social et économique (CSE) de l’entité turbines à gaz de General Electric à Belfort, figure du combat contre la fraude fiscale du géant américain (lire nos articles). Le premier module vise à donner les moyens de « détecter les signaux faibles ». La deuxième étape vise à donner le modus operandi pour « démontrer la fraude ». La prise de conscience doit aussi permettre de limiter « la naïveté des élus », qui accordent beaucoup de cadeaux fiscaux dénoncent les intervenants, sans aucun suivi sur les retombées pour les salariés.
Aujourd’hui, les exemples similaires à celui de General Electric sont trop rares. « Il faut un alignement des planètes pour porter plainte », convient Éva Joly. Les procédures sont extrêmement longues, comme en témoigne celle de General Electric, engagée il y a deux ans. Mais ce parcours ne se fera pas sans volonté syndicale. Et c’est tout l’objet de la soirée proposée par le collectif reconstruire et le syndicat de la métallurgie Franche-Comté CFE-CGC. Une soirée qu’il est aussi possible de suivre en direct.
Mercredi 22 mai, théâtre Louis-Jouvet, dès 17 h, pour assister à la table ronde « Évasion fiscale et combat syndical ». Gratuit, sur inscription. https://www.helloasso.com/associations/cinemas-d-aujourd-hui/evenements/tax-wars-rencontre-et-film | projection du documentaire à 21 h.
Conférence à suivre en direct sur letrois.info : https://www.youtube.com/watch?v=Cn11Wis7QLk