Magistrats, greffiers et avocats se sont associés ce mercredi 15 décembre à la mobilisation générale pour la justice. Les membres du tribunal judiciaire de Belfort dénoncent une justice déshumanisée, qui n’a plus de moyens pour travailler convenablement.
Magistrats, greffiers et avocats se sont associés ce mercredi 15 décembre à la mobilisation générale pour la justice. Les membres du tribunal judiciaire de Belfort dénoncent une justice déshumanisée, qui n’a plus de moyens pour travailler convenablement. mis à jour le 15 décembre à 21h10
Devant le tribunal, ce mercredi 15 décembre, les magistrats, greffiers et avocats se sont réunis pour dénoncer une « justice déshumanisée ». Manque de moyens matériels, humains, manque de considération : autant de raisons qui ont poussé les membres du tribunal à se joindre à la mobilisation nationale pour la justice, à la suite de l’appel de 17 organisations. Et ce, trois semaines après la publication d’une tribune dans Le Monde, qui a eu l’effet d’une véritable déflagration. En quelques semaines, ce sont 7 550 professionnels qui ont signé cette tribune intitulée « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout ». Un ras-le-bol national, puisque sur les 9 000 magistrats que compte la profession, près de 6 000 ont déjà signé la tribune.
Travail à la hache
Jérémy Mairel, juge aux affaires familiales au tribunal judiciaire de Belfort, dénonce « un travail à la hache ». Il explique : « Nous n’avons plus l’impression d’être juge. Dans des affaires de divorce avec enfants à charge, nous avons quinze minutes pour penser à tout. Tout est chronométré. Si l’on venait à prendre plus de temps, les comparutions immédiates prendraient du retard. » Une configuration qui n’est pas viable. L’ensemble du personnel du tribunal ne cache pas sa désolation.
« Les choses ont toujours été comme ça. Le malaise profond lié à la charge de travail est devenu la normalité. Pour ne pas être submergé, nous devons travailler durant nos soirées, nos week-ends. Travailler chez soi est devenu la norme », témoigne Pauline Combier, juge des enfants. « Et si on ne le fait pas, on sait qu’il n’y aura personne pour nous remplacer », renchérit Agnès Gorce, juge de l’application des peines.
Derrière : des dossiers traités rapidement, trop rapidement. Et des décisions qui ne sont pas toujours comprises par les justiciables. « C’est ce fait qui donne l’impression que la justice est arbitraire. En fait, nous n’avons juste pas le temps », expose Pauline Combier. Si pour le justiciable, le dossier est souvent celui de sa vie, pour les juges, chacun des dossiers représente une charge de plus sur une pile qui ne cesse de s’emplir. « Aujourd’hui, les gens n’ont plus confiance en la justice en raison de cela. Les gens ne se sentent plus valorisés et ont l’impression que la justice est expéditive », argue Adrienne Aubert, juge des contentieux de la protection.
Si la charge de travail est si importante pour les juges, mais aussi pour les greffiers, c’est que le manque de moyen est important. « Au tribunal de Belfort, il nous manque, au minimum, 30 % de greffiers », témoigne Jean-Philip Ghnassia, juge d’instruction et délégué régional de l’union syndicale des magistrats (USM). Pour travailler avec plus de sérénité, Jérémy Mairel estime qu’il faudrait pouvoir passer de 10 à 15 juges au tribunal judiciaire de la Cité du Lion. Mais rien de tout cela n’est prévu.
Désagrément en cascade
Le bâtonnier de l’ordre des avocats, maître Jean-Charles Darey, souligne qu’il était important que les avocats soutiennent cette mobilisation. « Aujourd’hui, le manque de moyens humain et l’empilement des réformes rendent illisible la justice. Nous avons du mal à nous en saisir nous-même. Nous sommes dans l’impréparation totale. Et nous aussi, les avocats, le vivons au quotidien », analyse maître Jean-Charles Darey. Pour lui, aucune solution n’est trouvée pour désengorger la justice. À part, peut-être, celle-ci : « Aujourd’hui, il est devenu si compliqué de saisir la justice que les gens la saisissent de moins en moins. Il s’agit peut-être d’une stratégie pour désengorger la justice. Mais c’est loin d’être la bonne », pointe le bâtonnier de l’ordre des avocats.
Quant aux États Généraux de la Justice, pour les membres du tribunal de Belfort, la réponse est unanime : « C’est de la poudre aux yeux. Il y a une véritable perte de sens. » Tous dénoncent une « justice déshumanisée ». Où toutes les procédures viennent à être dématérialisées, alors même que le logiciel sur lequel le personnel travaille est actualisé « une fois par an ». « Même le soutien informatique, nous ne l’avons pas. Lenteur, pas de trame… Le logiciel n’est jamais mis à jour », regrettent les juges.
« Aujourd’hui, toute l’institution souffre. Nous aimerions travailler correctement. Mais là, nous devons travailler en mode dégradé. Au plus vite possible, chacun dans notre bureau. Alors que le cœur de notre métier, c’est quand même l’humain », s’indigne Jérémy Mairet.
Le garde des Sceaux, maître Éric Dupond-Moretti, a tenté de calmer la fronde, en annonçant lundi l’augmentation du nombre de places au concours de l’école nationale de la magistrature pour permettre l’arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de quelque 1 400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité.
Dans un message adressé mardi aux magistrats et agents judiciaires, le ministre s’est dit “déterminé à améliorer durablement (les) conditions de travail et le fonctionnement de la justice”. Des propos qui ont au mieux amusé, sinon agacé, les membres du tribunal qui se sentent lésés par l’État. Selon des remontées partielles d’environ 80% des juridictions, 673 magistrats s’étaient déclarés en grève à 14 h sur un effectif de 7 357 magistrats, a indiqué à l’AFP le ministère de la Justice dans la soirée.