« Nourriture à partager. » L’écriteau trône dans une jardinière, à l’entrée d’une belle longère en pierres typiques de la région, dans le bourg de Danjoutin. Des plantes aromatiques se côtoient et s’offrent aux passants. Dans le village, plusieurs demeures ornent leur entrée de ces pancartes invitant à se servir. Une initiative du mouvement mondial des Incroyables comestibles, lancée dans cette commune de l’agglomération belfortaine par l’élu écologiste Alain Fousseret, décédé subitement ce lundi soir.
Ils sont nombreux à avoir croisé cet écriteau en allant boire le café dans la cuisine d’Alain Fousseret, élu au conseil régional de 1998 à 2014. Il aimait recevoir. Prêt à échanger. Il prenait le temps. Toujours. Il parlait systématiquement de politique en évoquant un copain ou une copine. C’était l’esprit « camarade », comme le résume Marie-Guite Dufay, présidente socialiste du conseil régional Bourgogne-Franche-Comté. Cet ami ou cette amie n’était pas forcément du même bord politique. C’était souvent une personne avec qui il avait ferraillé, travaillé, échangé. Mais il avait toujours un bon mot à son égard. Et quand on se souvient de lui, c’est souvent en évoquant un bon gueuleton et « la tendresse amusée dans ses yeux », témoigne l’écologiste Dominique Voynet, ancienne ministre de l’Aménagement du territoire et de l’environnement (1997-2001), acolyte d’Alain Fousseret pendant plus de 40 ans.
« Un homme de dialogue »
« Il avait une vision du monde de demain », replace Marie-Guite Dufay, qui s’est liée d’amitié avec Alain Fousseret après que, lui, ait quitté l’institution, en 2015. Alain Fousseret est un écologiste historique. Il est présent lorsque le parti Les Verts est lancé, en 1984. Déjà, en 1982, il était avec Dominique Voynet et quelques autres pour fonder la fédération écologiste de Franche-Comté ; ils s’étaient rencontrés quelques années auparavant, à la fin des années soixante-dix, quand Alain Fousseret militait chez Les Amis de la terre. En 1983, il se présente aux élections municipales à Besançon. Il enregistre 9,01 % des suffrages exprimés et pousse la gauche à échanger avec cette jeune force politique.
« C’était un homme de convictions », convient l’ancien président du conseil général du Territoire de Belfort, Christian Proust. C’est en 1992, au cours d’élections cantonales, que Les Verts s’invitent dans les débats de la gauche belfortaine. « Ils ont affiché une détermination à se faire respecter », se souvient-il. Ils ont toujours une amitié certaine, mais des différends politiques existaient entre les deux hommes. Sans surprise. La construction européenne. La question nucléaire. « Mais je ne me suis jamais fâché avec Alain », confie-t-il. C’est une autre caractéristique qui ressort de la personnalité d’Alain Fousseret. « Avec ses adversaires, il a toujours été d’un très grande tolérance, à l’écoute, décrit Marie-Guite Dufay. C’était un homme de dialogue. » Un dialogue que confirme l’ensemble de la classe politique, de gauche comme de droite, qui salue depuis ce mardi matin l’homme politique qu’il était. Un dialogue qui lui aussi a permis d’opter pour le pragmatisme plus que pour le dogmatisme, « pour faire avancer sa cause », soulignent plusieurs voix.
À l’écoute, il n’en aimait pas moins les joutes politiques. « Il discutait et débattait. En mettant souvent les pieds dans le plat », rappelle Mathilde Regnaud, élue d’En commun pour Belfort, qui a rencontré Alain Fousseret lors des dernières élections municipales. Mais toujours dans la bonne humeur. « Alain, c’était la politique joyeuse », ajoute-t-elle. Il appréciait particulièrement les élections. « Il adorait les négociations », convient l’ancienne ministre. « Il essayait d’aller le plus loin possible avec ses interlocuteurs », se remémore-t-elle, après avoir conté ces années sans le sous, dans les années quatre-vingt, à sillonner les routes de France pour manifester contre un projet ici, un autre là-bas. Leur amitié s’est particulièrement soudé dans le combat d’une vie, celui contre le projet de canal de grand gabarit, qui devait relier le Rhône au Rhin. Une vingtaine d’années de luttes pour avoir raison du projet. « Il aimait se battre avec les autres ! » résume Marie-Guite Dufay. « Il était un peu joueur », sourit également une élue, à tel point qu’on pouvait le qualifier de « Baron vert », comme le glisse affectueusement Mathilde Regnaud. Un qualificatif qui dit autant du soutien que pouvait accorder Alain Fousseret à un compagnon de route que du fin connaisseur de la politique qu’il était.
Dans le Sud Territoire, où il a travaillé de nombreuses années comme agent territorial, il a laissé son empreinte, témoigne Christian Rayot, président de la communauté de communes Sud Territoire (CCST). Sur le projet touristique des étangs Verchat, par exemple. Sur la mise en place des contrats rivières. Mais aussi sur la réouverture de la ligne Belfort-Delle, qu’il a portée lorsqu’il était vice-président en charge des transports, à la Région Franche-Comté. « C’était un type qui avait beaucoup d’idées et qui n’avait pas peur de sortir des sentiers battus », apprécie Christian Rayot, qui se souvient aussi d’échanges un peu musclés.
Fibre sociale
S’il savait écouter, Alain Fousseret savait aussi convaincre. Comme ce jour où il arrache à Christian Rayot un parrainage en faveur de l’écologiste Dominique Voynet, pour l’élection présidentielle de 2007. Elle manquait de soutiens. L’élu écologiste a appuyé sur l’importance de la participation de toutes les idées au débat démocratique et sur la fibre républicaine du maire de Grandvillars, qui a signé le document.
Aujourd’hui, il s’était détourné des cercles politiques nationaux. Il se recentrait sur le local. Un poil fatigué, peut-être, des évolutions du débat. Mais pas résigné. « Il voulait continuer à fédérer », souligne Daniel Feurtey, ancien maire écologiste de Danjoutin, ému par la disparition. En témoigne cette marche climatique devenue iconique, reliant Chaux à Frais, qu’il a organisée pour alerter sur les dangers du réchauffement climatique, au mois de juin. Un projet porté par l’association Hé ! Changeons pour notre planète (lire notre article). « Il voulait transmettre », relève Éric Oternaud, conseiller régional Europe-Écologie Les Verts. On l’a vu, ces dernières années, soutenir des jeunes lycéens qui portaient les marches pour le climat. « Alain agissait », insiste Mathilde Regnaud.
Mais l’écologie n’était pas le seul combat de l’élu. Dominique Voynet rappelle son féminisme. Il l’avait soutenue lorsqu’elle portait l’idée de la parité. Il était aussi très engagé dans l’insertion sociale. Il a créé l’association Intermed, participé au projet Chacasol, à Delle, qui porte le café-épicerie d’insertion de la gare internationale de Delle. « Son humanité donnait de la force à ses idées », estime Dominique Voynet. « Il avait un sens du commun », résume Marie-Guite Dufay. C’était l’esprit du partage.