« Attention à ne pas perdre le nord. » Ainsi termine l’introduction de Jean-Louis Étienne, dans son ouvrage La complainte de l’ours. Ne pas perdre le nord face aux défis qui attendent l’humanité, menacée par le dérèglement climatique. Ne pas perdre le nord, non plus, zone la plus touchée, déjà, par les conséquences de ce même dérèglement climatique. On enregistre une hausse des température de + 4 °C en 70 ans dans l’Artique, rappelle le médecin et aventurier, qui a commencé à explorer le monde à la fin des années 1970. Une zone qui accueille 80 % de réserves d’eau douce de la planète et qui est « une clé de [la] machine climatique », pour reprendre ses mots. « On a ouvert la porte du frigo », image-t-il. L’heure est grave. Son message est clair. Et il est venu le rappeler ce mardi 3 octobre, en début de soirée, au quelque 420 participants de cette 4e édition* du forum Hydrogen business for climate, qui se tient à l’Atria à Belfort ; l’édition se termine ce mercredi 4 octobre au soir.
Jean-Louis Étienne est le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, en 1986. Il l’a fait en 63 jours, en tirant lui-même son traineau. Ça vous pose le bonhomme. Et sa crédibilité. « J’ai vu, donc j’ai une légitimité », convient-il, alors qu’on l’interroge sur sa dimension de précurseur. Mais sa modestie est à la hauteur de ses exploits. Immense. Car de rappeler : « Il ne faut pas aller loin pour se rendre compte du dérèglement climatique. » Il cite la mer de Glace, à Chamonix, qui recule. Il évoque les campagnes et ces canicules qui dessèchent déjà les arbres et les haies. « Nous avons atteint la limite de la civilisation carbone », tranche l’homme âgé de 76 ans, qui convient que « la prise de conscience est plus forte ». Pour autant, « la sauce tomate, ça ne mène à rien », tance-t-il, en ciblant quelques actions de militants écologistes. Il regrette que cela n’amène pas de réflexion à « des solutions à la complexité du problème ». « La solution est dans l’action », insiste-t-il, rappelant que l’enjeu est la décarbonation de l’énergie. C’est la clé de voûte.
« Une technologie que je suis depuis très longtemps »
Pour l’explorateur, le salut vient de deux composantes. La première est comportementale : sobriété, nouvelles manières de consommer. La seconde est technologique. Et ce mardi après-midi, il a pris le temps de déambuler dans les allées du forum hydrogène pour rencontrer les ingénieurs et les innovations proposées par les entreprises et autres start-up, notamment la pile à combustible autonome et verte des Bisontins de Clhynn, qui limite le recours aux métaux rares et qui n’a pas besoin de réservoirs d’hydrogène (à découvrir ici). « Quand vous voyez toutes ces entreprises, ces ingénieurs, cela progresse », observe Jean-Louis Étienne. « C’est de la très haute technologie », souligne-t-il, impressionné, aussi, par « la concentration » de cet écosystème hydrogène à Belfort. « C’est une découverte. »
L’hydrogène n’est pas une inconnue pour l’aventurier. D’avril à juillet 2002, Jean-Louis Étienne mène l’expédition Mission Banquise. Il est déposé au pôle Nord. La banquise le conduira vers le nord-est du Groenland, en dérivant. Sur la glace, son camp est alimenté par des panneaux photovoltaïques, mais aussi par une pile à combustible, avec un réservoir contenant de l’hydrogène conditionnée à 300 bars. « C’est une technologie que je suis depuis très longtemps », confie-t-il. « C’est un vecteur, un moyen de stockage. C’est très adapté à la production alternative des énergies renouvelables », argumente l’aventurier, qui glisse, tout sourire, qu’elle n’était pas très fréquentable à l’époque !
Jean-Louis Étienne va bientôt repartir en expédition, avec Polar pod. Le début de l’aventure est planifiée en juin 2025. Avec son équipe, il va voguer pendant trois ans autour de l’Antarctique. « En orbite autour de l’Antarctique, le Polar Pod, entrainé par le Courant Circumpolaire, fera le « tour du monde » entre 50° et 55°S », détaille le site de la mission. 24 000 km de navigation sont prévus. « Nous allons étudier l’océan austral, très méconnu », détaille-t-il. La communauté scientifique a besoin de mesures. 43 institutions scientifiques de 12 pays sont impliquées dans le projet. Polar Pod va étudier le principal puits de carbone de la planète. Il absorbe la moitié du gaz carbonique absorbé par l’ensemble des océans. « Nous allons étudier les échanges entre l’atmosphère et les océans et donc la quantité de CO2 absorbée », explique l’aventurier. Et le bateau, silencieux, qui dérive, va aussi faire un inventaire de la faune, de manière acoustique, par écoute passive. La mission va naviguer dans un bateau vertical, de plus de 100 mètres de haut. La seule manière de rester dans des conditions de « sécurité » et de « confort », explique-t-il. Les équipes seront relayées et ravitaillées tous les deux mois grâce à un voilier, Persévérance.
Pour pouvoir garder le nord, l’aventurier met donc le cap au Sud. Pour mieux connaître le pôle Sud. « On pourrait penser que la connaissance des milieux polaires ne sert qu’un savoir marginal, loin des réalité de notre civilisation, écrit-il dans La Complainte de l’ours. Ce serait oublier que l’équilibre de la terre, comme celui de tous les êtres vivants, est régi par une mécanique ondulatoire, une succession de balancements entre des pôles opposés. » Jean-Louis Étienne veut comprendre. Inlassablement. Puis transmettre. Constamment. Entendez la complainte de l’ours. Agissez. « Les Trente glorieuses sont devant nous », assure-t-il, convaincu.
- La première édition, en janvier 2021, s’est tenue de manière numérique. La première édition en présentielle s’est tenue à l’automne 2021 à Belfort, puis en novembre 2022 à Montbéliard et enfin en octobre 2023 à Belfort.