Loéva Claverie
Au milieu d’une clairière, sur une aire boisée de 70 hectares, la structure en pierre ressemble à une relique d’une époque révolue. Le vert de la porte est écaillé, les gonds rouillés, mais l’ouvrage, construit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, a résisté au temps. « C’est presque un monument historique », s’émeut Simon Bellec, responsable de l’Unité territoriale interdépartementale santé environnement Nord Franche-Comté, à l’Agence régionale de santé (ARS).
Situé sur la commune de Sermamagny, dans le département du Territoire de Belfort, ce puits gravitaire assure depuis plusieurs décennies un rôle essentiel pour l’agglomération de Belfort : capter l’eau potable des habitants. Invisibles à l’endroit de la clairière, les eaux de la Savoureuse coulent pourtant bien sous la surface. « On se trouve sur une zone saturée en eaux, alimentée par la rivière juste à côté », explique Simon Bellec.
À son ouverture, la porte en fer de l’édifice émet un grincement plaintif. Il faut traverser les toiles d’araignée qui s’étendent entre les parois pour découvrir, au cœur de l’ouvrage, l’endroit où commence le voyage de l’eau potable.
Un environnement hyper protégé
Le puits, creusé à plusieurs mètres de profondeur, est appelé « chambre de collecte ». L’eau y rentre naturellement par un « drain », pour passer ensuite dans la « crépine », un tuyau comportant un bouchon troué à son entrée pour filtrer une première fois les matières organiques.
« L’environnement de la zone de captage est hyper protégé, il n’y aucune activité humaine sur les 70 hectares de couverture végétale sans activité humaine. Avec en plus la composition du lit de la Savoureuse, faite de petits cailloux ronds qui épurent l’eau des micro-organismes présents dedans, l’eau est d’une clarté et d’une qualité remarquable », explique Simon Bellec.
Sur les murs en pierre abritant le puits, des tags sont néanmoins distinguables. L’agent de l’ARS le rappelle : la zone est strictement interdite d’accès. La visiter ainsi est exceptionnel. Avec un grillage en fer, de hauts portails et des panneaux indicatifs autour, impossible d’y pénétrer par inadvertance. « Rentrer dans une zone de captage sans autorisation est un délit, passible de 15 ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amendes. » La population est prévenue.
Itinéraire de l'eau, de Sermamagny à Belfort
Photos prises par Loéva Claverie
12 000 mètres cubes par jour
À Sermamagny, la zone de captage a une particularité : « c’est la plus grande de France », s’enthousiasme Simon Bellec. Elle comporte un second puits gravitaire ainsi que trois puits pompés. Comme leur nom l’indique, il s’agit pour ces derniers d’une grande pompe descendant dans un puits foré à dix mètres de profondeur. Des premières analyses de l’eau sont faites au moment de ces captages.
Le voyage de l’eau se poursuit du captage à l’usine de potabilisation, à travers deux grosses canalisations. En temps normal, 12 000 mètres cubes sont captés par jour, pour alimenter Belfort et sa première couronne jusqu’à Chatenois, soit 52 communes. Mais ce rythme n’est pas tenable tous les jours. Lorsque le niveau de la rivière est trop bas, le captage est abaissé à 5 000 m3. Le jour de la visite, le département de Belfort a d’ailleurs été placé en vigilance sécheresse (lire ici).
C’est dans la station des eaux du Grand Belfort, où débouchent les quatre kilomètres de canalisations, que commence véritablement le processus de potabilisation de l’eau captée. Le processus est précis, complexe. Alexandre Loichemol, responsable d’exploitation des pôles eaux potables de la station, nous guide à travers l’usine.
Un processus de potabilisation précis
« La première étape est une désinfection à l’ozone, injectée dans l’eau sous forme de gaz. Cet oxydant fort va détruire tout ce qui est matière organique, tout ce qui est vivant », débute Alexandre Loichemol. Avant d’être rendue potable, la qualité de l’eau est contrôlée selon plusieurs paramètres. Deux analyseurs sont chargés d’évaluer la turbidité (le caractère trouble), la conductivité (un indicateur de la minéralisation de l’eau, soit de la teneur en calcium et en magnésium) et l’acidité de l’eau (le pH) de l’eau arrivant dans les deux canalisations. Ce sont les indicateurs-clés, représentatifs de la qualité. « On ne peut pas rechercher en continu les micropolluants, personne ne sait le faire, précise Simon Bellec de l’ARS. On repère les problèmes quand il y a une dérive des indicateurs-clés. Il y a alors une intervention de la collectivité. »
L’ozone en excès est ensuite dégazé. Cette technique par l’ozone « est très spécifique à Belfort », selon Simon Bellec. « C’est un choix de méthode, par sécurité, pour avoir une filière la plus simple possible. »
La deuxième étape est une reminéralisation de l’eau. « On est sur une eau qui est naturellement très peu minéralisée, poursuit Alexandre Loichemol. On vient lui rapporter du calcaire en la faisant passer sur un lit de maërl. » Sous la forme de tous petits grains blancs, il s’agit du squelette calcaire d’une algue marine, aujourd’hui exploité en Islande. La station de Belfort est la seule à en utiliser encore en France.
Sous nos pieds, l’eau potabilisée est stockée dans une bâche de 6 000 m3, puis montée durant la nuit par des canalisations dans des bassins situés au-dessus de Belfort. Elle redescend ensuite dans les robinets des consommateurs pendant la journée.

L’aliment le plus contrôlé
« Notre pays est le plus gros consommateur d’Europe d’eaux embouteillées, alors que l’eau qui coule en France est de qualité. » Face à toutes les normes de potabilisation et tous les contrôles effectués sur le réseau, ainsi que régulièrement au robinet ou à la source, Simon Bellec s’étonne des défiances qu’il peut y avoir autour de l’eau potable.
Ces derniers mois, plusieurs pollutions de l’eau du robinet sont apparues au grand jour, dans différents endroits de France. « Il y a des problèmes, j’en suis conscient, répond-il franchement. Ce sont parfois des pollutions que nous découvrons en même temps que la population. Mais par exemple, la recherche de micropolluants s’intègre progressivement au fil des normes européennes et nationales. »
Parmi ces remises en question, un élément est cependant limpide : l’eau du robinet reste aujourd’hui l’aliment le plus contrôlé en France.