La question des économies réellement réalisées en France s’est posée dès le changement d’horaire saisonnier de 1976, entre les deux premiers chocs pétroliers. Il s’agissait de faire concorder les heures d’activité avec les heures d’ensoleillement afin de réduire l’utilisation de l’éclairage artificiel. Cette question “fait partie des sujets qu’on ramène comme un marronnier d’automne depuis 30 ou 40 ans, le fait qu’il y aurait des économies de faites, mais les mesurer localement, c’est impossible”, répond un praticien de terrain, Jean Revereault, vice-président de l’agglomération du grand-Angoulème (Charente), chargé des questions d’énergie.
Sur le chauffage, les dépenses varient très peu en fonction de l’heure d’hiver : “On n’attend pas que les agents soient dans les ateliers ou les bureaux pour mettre le chauffage à leur arrivée, il est mis avant, l’heure d’hiver ne change pas grand chose. Dans les écoles, c’est pareil”, déclare-t-il. Sur l’éclairage, notamment public, le constat est plus nuancé. D’autant qu’il représente 40% de la consommation d’électricité des collectivités avec 11 millions de points lumineux sur l’ensemble du territoire soit l’équivalent de la puissance d’un réacteur nucléaire, relève Enedis, filiale d’EDF qui gère le réseau de distribution d’électricité.
Crise violente
Pour l’agence de la transition écologique Ademe, en matière d’éclairage, les gains du changement d’heure étaient de l’ordre de 440 GWh en 2009 au plan national, dernière année où les incidences ont été quantifiées précisément. Ces dernières années, ils s’établissent autour de 351 GWh, soit 0,07% de la consommation d’électricité totale, selon ses estimations. Critiqué pour les perturbations qu’il entraîne sur les comportements humains ou animaux, le changement d’heure est toutefois revenu en grâce avec la sobriété imposée par la crise énergétique qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Ainsi la consommation d’électricité liée à l’éclairage public a reculé de 12% entre l’hiver 2020-21 et celui de 2022-23, selon Enedis. “On a subi une crise énergétique violente l’hiver dernier, le gaz et l’électricité ont subi une augmentation de 20 à 40%, ce qui a eu un impact très dur sur notre budget”, rappelle Thomas Fromentin, président de l’agglomération de Foix-Varilhes dans l’Ariège et élu de Foix (9.700 habitants).
Dépassé
Cette crise a révélé un “phénomène intéressant”, observe-t-il : les extinctions nocturnes d’éclairage public, pour réaliser des économies d’énergie et protéger la biodiversité, sont désormais “bien mieux acceptées” par les populations. “C’en était presque amusant, notre syndicat d’énergie a été dépassé l’hiver dernier par les demandes des communes voulant faire modifier leur système d’éclairage public pour permettre l’extinction nocturne”, sourit l’élu. “Avant la crise énergétique, dans nos territoires ruraux, l’extinction nocturne était parfois difficile à décider”, ajoute M. Fromentin, “c’était souvent vécu comme un retour en arrière parce qu’on a toute une génération qui a attendu l’éclairage public de sa rue, de sa ferme”.
Au total, 22 communes sur les 42 que compte l’agglomération de Foix ont décidé presque naturellement d’éteindre les lampadaires au coeur de la nuit. Et 162 communes au total sur les 326 du département, précise Nicolas Trembloy, conseiller en énergie pour les collectivités locales.
Les extinctions nocturnes ou le fait de remplacer les éclairages publics par des leds sont néanmoins “bien plus intéressants” en terme d’économie d’énergie que le seul changement d’heure, relève M. Fromentin. Le changement d’horaire, instauré pour la première fois en France en 1916 avait été abandonné en 1944, puis réintroduit par un décret en septembre 1975. Depuis 1998, il a été harmonisé dans tous les pays de l’Union européenne. Sous la pression des opinions publiques nationales, le Parlement européen a voté sa suppression en 2019, mais celle-ci n’a pas été mise en oeuvre à ce jour. L’idée originelle venait du physicien, écrivain et diplomate américain Benjamin Franklin qui avait rédigé un article en 1784 dans le but d’économiser… les bougies et les chandelles.