Jade Belleville
Le 9 avril, le pôle social du tribunal judiciaire de Montbéliard s’est prononcé sur une affaire opposant la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Doubs et Nordine El Mir, aujourd’hui salarié de Stellantis, à Sochaux. En 2020, Nordine El Mir sollicite la CPAM pour une prise en charge, « au titre de la législation professionnelle », de sa « pathologie constatée médicalement » et nommée « syndrome anxio-dépressif », comme on peut le lire dans le jugement rendu par le tribunal.
La CPAM rejette cette prise en charge, réfutant le « caractère professionnel » de la pathologie. Le tribunal estime donc que la maladie déclarée par le plaignant «doit être prise en charge au titre de la législation sur le risque professionnel» et demande à la CPAM d’établir «les droits» de Nordine El Mir en ce sens.
Tout commence en 2015, lorsque l’activité roulage de ce qui est encore le groupe PSA (aujourd’hui Stellantis) est externalisée à Segula Technologies. « Si on n’acceptait pas [cette externalisation], on n’était pas considéré comme licenciés », déplore encore Nordine El Mir, lors d’une conférence de presse organisée ce jeudi matin, dans les locaux de la CGT à Audincourt.
À ce moment-là, Nordine El Mir, alors délégué syndical à la CFTC, ne s’attend pas à subir «une descente aux enfers». « On nous a promis une commission de suivi, des avantages sociaux du [comité d’entreprise]. On nous avait aussi dit qu’on aurait la possibilité de revenir chez PSA après 3 ans », se souvient-il. Il regrette ensuite des promesses non tenues. « On nous a vendus du rêve », s’indigne-t-il. Après un changement de direction, Nordine El Mir explique qu’il se retrouve dans une « coquille vide [à Segula] ».
Nordine El Mir mis « au placard »
En arrivant à Segula, il était délégué syndical. « La CFTC de PSA avait été le syndicat qui a accompagné la direction lors de l’externalisation », dénonce Damien Geoffrey, secrétaire de la CGT. Nordine El Mir estime avoir été « lâché par la CFTC ». Ce que réfute le syndicat, joint par téléphone. «Il n’a pas répondu à mes mails [lorsque j’ai pris des nouvelles », indique Jean-Luc Ternet, délégué syndical CFTC à Stellantis Sochaux, étonné de cette mise en cause. «Je n’ai jamais laissé tomber personne », ajoute-t-il.
Pour Nordine El Mir, la situation est claire. Segula Technologies l’a « mis au placard ». Le délégué syndical explique que la qualité du matériel baissait, qu’on ne lui proposait pas de poste et qu’on le mettait à l’écart. Il dit également avoir été insulté et avoir subi des propos racistes. Il dénonce aussi avoir été victime de discrimination syndicale. La larme à l’œil, il explique son calvaire : « Je venais au travail la boule au ventre. » Petit à petit, les « humiliations » subies au travail empiètent sur sa vie personnelle. En janvier 2020, il demande alors la reconnaissance de son « burn-out » à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Qui la refuse alors.
Contactée, Segula Technologies réfute les accusations de Nordine El Mir. Selon l’entreprise, il avait durant ses années de travail à Segula Technologies « un accès à la direction générale ». En ce qui concerne sa mise au placard, la société explique que Nordine El Mir a suivi en juillet 2018 « une formation d’animateur d’équipe ». Et à l’époque de l’externalisation, la société assure que son « objectif premier était de réussir l’intégration des activités de roulage ». Pour ce qui est du jugement du tribunal judiciaire de Montbéliard, Segula annonce ne pas avoir eu « connaissance de la décision ».
Retour à Stellantis
En 2020, Nordine El Mir réussit à réintégrer ce qui est aujourd’hui Stellantis. Remonter la pente n’est, toutefois, pas facile, glisse l’intéressé. Surtout que Nordine El Mir déplore avoir perdu certains avantages. « J’ai énormément perdu en salaire », indique-t-il, confiant aussi la difficulté de se soigner. Et de rappeler: « J’ai perdu 5 ans de carrière. » Il travaille aujourd’hui comme électricien prototype à Sochaux. « Cela se passe bien, je suis dans une bonne équipe avec un très bon manager », convient-il.
Ces pratiques d’externalisation sont rejetées par la CGT. « Il y a beaucoup d’employés qui se mettent en arrêt [à cause de ces situations] », juge Damien Geoffroy. Aujourd’hui, Nordine El Mir voit certains de ses collègues lui demander des conseils au niveau de la sécurité sociale. « Le fait qu’il soit passé dans la presse, il devient un pôle de ralliement », apprécie Anthony Rue, délégué syndical CGT.
Pour Nordine El Mir, le dossier de son passage à Segula n’est pas clos. Il a saisi le parquet du tribunal de Montbéliard, pour lui donner une suite pénale, indique-t-il. La reconnaissance de la maladie professionnelle « ouvre d’autres portes », estime-t-il en se référant aux propos de son avocat. «Je défendrais mes droits jusqu’au bout», garantit Nordine El Mir.
Sollicitée, la CPAM n’a pas répondu à notre mail.